Ligue 1 - Match en retard - FCN - Paris SG - Que reste-t-il du Nantes de 1995 ?

Peut-être que le Paris Saint-Germain finira la saison en Ligue 1 invaincu. Auquel cas il fera mieux que le FC Nantes de la cuvée 1994-95, qui n'avait subi qu'une seule défaite, concédée lors de la 33e journée. Il n'en reste pas moins que le souvenir de l'équipe de Jean-Claude Suaudeau, séduisante, jeune et pétillante, reste marquant. Retour sur un champion pas comme les autres.

Le FC Nantes de 1995, irrésistible et séduisant.

Crédit: Getty Images

La célébration du 30e anniversaire du sacre d'un des champions de France les plus inoubliables de l'histoire aura-t-elle un petit parfum d'amertume ? Une Madeleine de Proust avec un arrière-goût un peu acre. 1995-2025. Il y a pile 30 ans triomphait un maillot jaune pas comme les autres, celui du FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau et d'une certaine conception du football. Ces Canaris-là étaient bien plus qu'une affaire de statistiques, mais c'est un nombre qui contribua à l'inscrire dans la légende : 32. Soit le nombre de matches sans défaite, jusqu'à l'unique revers de la saison 1994-95 du FCNA, à Strasbourg, lors de la 33e journée.
Or ce record-là, bien ancré dans les mémoires et les livres d'histoire, s'apprête peut-être et même sans doute à valdinguer. Le Paris Saint-Germain est si bien lancé, si sûr de lui en ce début de printemps et tellement loin devant une concurrence évoluant plus au ras des pâquerettes quand Paris tutoie les étoiles, que l'équipe de Luis Enrique a tout pour dépasser les 32 matches sans défaite du Nantes de 95. En réalité, le PSG a déjà fait mieux, mais à cheval sur deux saisons : 36, entre le 20 mars 2015 et le 20 février 2016. Mais sur une seule campagne, la chose est plus frappante encore.
Le rendez-vous est fixé au 11 mai, lors du déplacement parisien à Montpellier pour le compte de la 33e et avant-dernière journée. Si Dembelé and Co n'ont pas trébuché d'ici là, c'est dans l'Hérault qu'ils remplaceront Nantes, 30 ans après. Nul doute qu'on lira alors un peu partout que le PSG 2025 a effacé le Nantes de 95. Le verbe traditionnellement utilisé lorsqu'un record tombe. Mais si on peut effacer un record, on n'efface pas une équipe. Une mémoire. Une trace. Alors, quelle est celle de ces Canaris, trois décennies plus tard, bien au-delà de ces 32 matches ?
Elle porte d'abord le sceau d'une vision, celle de la "Pension Mimosa", alias la Jonelière, où des jeunes gens ont appris au fil des époques à pratiquer un même football. Du Nantes de 95, on parle d'ailleurs souvent du "Nantes de Suaudeau", plus que de celui de Patrice Loko, de Christian Karembeu, de Reynald Pedros, de Japhet N'Doram, de Nicolas Ouedec ou de Claude Makelele. Cette génération était peuplée d'individualités remarquables, de la pépite à gogo, mais c'est sa patte collective qui frappait à l'époque et demeure aujourd'hui. D'où le "Nantes de Suaudeau". La véritable incarnation, c'est le coach.

Le legs du Nantes de 95 n'est pas dépendant de son record

Guy Roux, complice et admirateur de Coco, utilisait souvent la même formule quand son AJA repartait bredouille de la Beaujoire : "Nous avons pris une leçon de football à la Jean-Claude Suaudeau". Pourtant, le technicien nantais ne fut pas un inventeur mais un descendant. Un héritier. Celui de José Arribas, dont Suaudeau avait été le joueur dans les années 60. Parce qu'il l'avait vécu et compris de l'intérieur, il a pu l'affiner depuis le banc de touche. "Je suis un admirateur de ce qu'il a fait. De ce qu'ils ont fait. Car l'ouvreur de cette histoire à Nantes, c'est José Arribas. Arribas, c'était la racine. Suaudeau, c'est le corps", nous avait confié Guy Roux il y a quelques années.
Tous ceux qui ont connu cette équipe des années 90 vous le diront : elle pratiquait un football d'un esthétisme incontestable. Suaudeau possède en prime le sens de la formule. Le football nantais, il l'a résumé en deux phrases. Une à l'époque, et une autre plus tard :
. "Ce n'est pas le joueur qui doit courir, c'est le ballon."
. "Au lieu de faire dix passes, on en faisait trois. Mais pas n’importe lesquelles."
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Jean-Claude Suaudeau en 1995.

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C'était le Nantes de Suaudeau, oui. Le dépositaire d'une identité. D'un savoir-faire. D'un savoir-être. Exigeant, perfectionniste, il savait libérer la créativité de ses joueurs, comme l'a rappelé Nicolas Ouedec récemment dans Ouest France :
"Coco a été un joueur offensif, c’était un n°10. Il aimait dribbler, il avait besoin de fantaisie. Les joueurs trop scolaires, ça le barbait. Il avait besoin d’être challengé par ses joueurs. Je me souviens d’entraînements où il mettait un schéma en place, un premier exercice et d’un seul coup, bim ! Il changeait tout. Dès fois, il te disait : 'C’est bon, rentrez au vestiaire, j’ai vu ce que j’avais à voir', ça durait 20 minutes. A contrario, l’entraînement pouvait aussi durer 2 heures et demie parce qu’on ne comprenait rien à ce qu’il voulait."
Le souffle de ce jeu, son dynamisme, sa jeunesse, son brio, tout ceci a frappé à l'époque et marqué à travers le temps, sans doute au-delà des supporters nantais. Le legs du Nantes de 95 n'est pas dépendant de son record. "Les records sont faits pour être battus. Mais les gens parlent plus de notre jeu que du record. Je pense que ce titre est tout en haut des titres de champion de France des 30 ou 40 dernières années", estime Ouedec.
Je n'ai jamais vu une équipe jouer aussi bien au football. Mais je n'ai jamais vu une équipe aussi naïve
Pour autant, c'était une équipe très imparfaite. Notamment en raison de sa jeunesse : 23 ans de moyenne d'âge. Elle possédait une certaine forme de candeur qui contribuait à son charme mais a limité la portée de ses résultats. Cela semble absurde de dire cela de la part d'une équipe n'ayant perdu qu'un seul de ses 38 matches cette saison-là, mais Nantes aurait pu et dû faire beaucoup mieux. L'équipe de Suaudeau a terminé avec 21 victoires et 16 nuls. Mais elle n'a pas sauvé son invincibilité par miracle en arrachant ces nuls. Au contraire, elle a laissé filer des victoires et des points sur le fil, mois après mois. Quatre exemples presque caricaturaux :
8e journée - Martigues-Nantes : 3-3, après avoir mené 3-0 en seconde période.
11e journée - Nantes-Bordeaux : 3-3, après avoir mené 2-0 et concédé l'égalisation dans le temps additionnel.
17e journée - Monaco-Nantes : 2-2 après avoir mené 2-0 à moins d'un quart d'heure de la fin
31e journée - Lens-Nantes : 1-1. Egalisation lensoise au bout du temps additionnel.
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Reynald Pedros (Nantes) face à Eric Di Meco (Monaco) en mai 1995.

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C'était le péché mignon des Canaris. En Coupe de l'UEFA, la bande à Suaudeau a chuté en quarts de finale contre le Bayer Leverkusen. Un naufrage à l'aller (5-1), alors que l'équipe avait perdu successivement ses… trois gardiens sur blessure (Marraud, Casagrande et Loussouarn). C'est le... coach de ce poste, Jean-Louis Garcia, qui avait dû s'y coller. Le FCNA s'était aussi retrouvé à 10 dès la première période.
Pourtant, à l'heure de jeu, il n'était mené que 2-1 et pouvait limiter la casse. Au lieu de quoi les intrépides se sont jetés vers l'avant et pris trois pions en contre dans le dernier quart d'heure. Dragoslav Stepanovic, l'entraîneur du Bayern, résumera tout d'une formule : "Je n'ai jamais vu une équipe jouer aussi bien au football. Mais je n'ai jamais vu une équipe aussi naïve."

La vraie référence, c'est le Nantes de... 1983

Jean-Claude Suaudeau considère même qu'il y a méprise dans notre perception du Nantes de 95. Pour lui, ce n'est pas l'équipe la plus technique qu'il a pu avoir sous ses ordres. Malgré N'Doram, Pedros, Loko et les autres et en dépit de la maestria de ce jeu. En revanche, c'est celle qui jouait le plus vite. Elle possédait une explosivité très largement supérieure à la moyenne et c'est sa dimension physique et athlétique qui a généré sa vitesse sur le pré et accentué son brio technique.
Coco Suaudeau considérait que la plus grande équipe nantaise qu'il a connue est celle de 1983, sacrée championne de France elle aussi, lors de sa toute première saison au poste d'entraîneur. Celle-ci possédait une dimension technique plus affinée mais aussi un vécu nettement supérieur. L'ensemble était plus abouti. "J'arrivais du Mondial en Espagne, a raconté le technicien. Moi, j'avais opté pour regarder le Brésil. Je n’avais jamais encore entrainé les pros, et on a joué à la brésilienne. Quelle équipe, celle de 1983. Quel jeu on avait. Ça a été super. Irrésistible. Donc individuellement, collectivement ce n'était pas loin de la perfection."  
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Christian Karembeu contre Lens.

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L'équipe de 1995 était une version modernisée mais avec un côté diamant brut que jamais Suaudeau ne pourra finir de polir. A l'été 1995, Karembeu et Loko s'en iront. Un an plus tard, ce sera au tour de Pedros et Ouedec. Puis Ndroam et Makelele en 1997. Une vraie fuite des cerveaux. L'immense regret de la vie de Coco est là. Il n'avait pas exploité la moitié du potentiel de cette génération.
Le génie collectif nantais a été démantelé, sans toujours s'adapter ailleurs, comme si ces joyaux de la couronne n'étaient pas totalement transposables dans d'autre schémas. Ce n'est sans doute pas un hasard si ceux qui ont fait les plus belles carrières n'étaient pas les plus purs techniciens, à savoir Karembeu et Makelele. Les autres avaient besoin d'une liberté que jamais ils ne trouvèrent loin de la Jonelière.
Trente ans après demeure le souvenir puissant d'un football à part, générateur d'un plaisir pur qui ne ressemblait qu'à lui-même. Rien ne le symbolise plus que le but contre le PSG en août 1994, avec le fameux une-deux aérien entre Pedros et Loko, sans que le ballon ne touche le sol. Un jeu inventif, précis, rapide, mais surtout libre. Suaudeau y revenait toujours. Pour lui, c'était le mot-clé. Laissons-lui le dernier mot, dans le livre Le Chant des Canaris, comme un résumé de cette approche quasi-philosophique : "Discipline, c'est un terme que je n'aime pas. La discipline, c'est l'armée. Ce n'est pas le football qui, lui, est d'abord synonyme de liberté, d'évasion." Il y a trente ans, les Nantais s'évadaient à chaque sortie. Et nous avec eux.
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