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Mort de Robert Herbin : Il était une fois le Sphinx

Laurent Vergne

Mis à jour 28/04/2020 à 10:54 GMT+2

Incarnation suprême des Verts des années 70, Robert Herbin et sa crinière rousse ont façonné en quelques années une des plus formidables équipes de l'histoire du football français. Entraîneur révolutionnaire sur le fond et fascinant par son côté secret sur la forme, "Le Sphinx" laisse une empreinte indélébile dans le Forez. Mais c'est tout le football français qui le pleure.

Robert Herbin est décédé lundi 27 avril à 81 ans

Crédit: Getty Images

C'est une sale période. Vraiment. On les reconnait souvent à la façon dont elles ajoutent de l'ironie à la tristesse. Le 26 mars Michel Hidalgo, disparaissait. Un mois et un jour plus tard seulement, Robert Herbin vient de le rejoindre. Deux immenses figures, deux entraîneurs attachés à une légende, bleue pour l'un, verte pour l'autre. Deux techniciens qui, chacun à leur manière, ont transformé et transfiguré le football français.
Lorsque, en 1983, contraint de quitter Saint-Etienne, il s'attelle à son autobiographie, c'est à Hidalgo qu'il demande de rédiger la préface. Il y parlait de l'entraîneur, bien sûr. "Gagneur, exigeant dans les rapports humains et les résultats. Un état d'esprit orienté vers le travail, la lutte, l'effort." Mais de l'homme, plus encore : "L'humanisme de Robert Herbin n'a rien de factice, de superficiel et, s'il se garde bien d'afficher ses sentiments, c'est qu'il est timide et pudique, écrivait le patron des Bleus. On le dit froid, alors qu'il est sensible à tout, mais ses joies sont intérieures."

Robby le rouquin

S'il restera un sourire du Nordiste Hidalgo, c'est d'abord une tignasse que la mémoire conservera de l'Azuréen Herbin, cette crinière rousse, bombée et frisée, reconnaissable entre mille. Lorsque Michel est nommé à la tête de l'équipe de France au début de l'année 1976, Robert, sur le point d'atteindre son apogée personnelle, est engagé avec Saint-Etienne dans la plus formidable aventure de l'histoire des clubs français. L'épopée verte, qui mènera l'ASSE jusqu'en finale de la Coupe des champions, à Glasgow. Les poteaux carrés, le coup franc de Roth, ce maudit Bayern, le Forez inconsolable et la France entière qui pleure avec lui. Mais à seulement 37 ans, Herbin avait déjà sa place assurée dans le gotha.
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Robert Herbin

Crédit: Getty Images

A l'instar d'Hidalgo, avant d'être un mythe du banc, il fut un joueur à la carrière prolifique. L'homme d'un seul club, déjà. Il a 18 ans lorsqu'il pose ses valises à Saint-Etienne. Avec environ 500 matches, une centaine de buts, cinq titres de champion et trois Coupes de France, sans oublier 23 sélections en équipe de France (dont une phase finale de Coupe du monde, en 1966), "Robby le rouquin", s'il n'est pas encore "Le Sphinx", est un milieu défensif incontournable de l'Hexagone. Mais bientôt, l'entraîneur laissera dans l'ombre la carrière pourtant remarquable du joueur. Il passe sur le banc sans transition, en 1972, à seulement 33 ans.

Le Sphinx protecteur

Si les mots sont parfois galvaudés, il en est deux qui résument bien son apport non seulement à son club, mais au foot français dans son ensemble : légendaire, et révolutionnaire. Le technicien Herbin va profondément revisiter l'approche du haut niveau. Sur tous les plans. A commencer par la préparation physique, à laquelle il attache une importance alors inédite en France. Pour s'épanouir les soirs de match avec le ballon, il faut suer la semaine sans lui. A la salle, à travers la musculation. Tactiquement, Herbin va trouver un subtil équilibre entre un certain romantisme et un indispensable pragmatisme.
Voilà pour le fond. Sur la forme, il est ce personnage impassible, impavide, qui le rend presque inaccessible. Quand la France devient folle de ses Verts au cœur de ces années 70 où le football tricolore n'existait plus, ni à travers ses clubs ni à travers son équipe nationale, lui demeure impavide. Il sera "Le Sphinx". Son côté secret tranche dans la fièvre verte, irriguée par les Larqué, Rocheteau, Piazza, Curkovic, Janvion ou les frères Revelli. Mais il ne forçait pas sa nature, ne jouait pas un rôle. C'était, là aussi, une manière à ses yeux de tendre vers l'excellence.
"Je pense que l'on a souvent confondu mon souci de protéger mes joueurs contre les agressions extérieures avec un certain attrait pour le mystère, écrira-t-il. Ma discrétion a été mal interprétée car pour moi, la priorité des priorités a toujours été de dresser une barrière entre les vestiaires et la place publique. Les médias n'y ont peut-être pas trouvé leur compte, mais, dans une optique de performance, cette attitude m'apparaissait indispensable."
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Robert Herbin et les Verts en 1976

Crédit: Getty Images

L'argent et la truelle

La symbiose entre la flamboyance de ses jeunes troupes et l'apparente âpreté du taiseux manitou de Geoffroy-Guichard sera en tout cas parfaite. Ce sera Split, Kiev, Chorzow, Eindhoven. L'épopée. Cette équipe était vraiment la sienne. Ce ne fut plus forcément vrai par la suite. A la fin des années 70, lorsque le président Roger Rocher et Pierre Garonnaire, le recruteur en chef, génial dénicheur de talents, se mettront en quête de vedettes, politique symbolisée par les arrivées de Michel Platini ou Johnny Rep, Herbin aura du mal à s'y retrouver, comme il l'avouera après son départ : "Je fus dès lors dépassé par les évènements et les exigences de dirigeants qui détenaient les cordons de la bourse et pouvaient se payer même à prix d'or des joueurs sans doute talentueux, mais qui ne possédaient pas l'esprit ASSE."
Saint-Etienne s'accroche certes au sommet et remportera un dernier titre de champion en 1981, mais de cette dernière ligne droite, Robert Herbin gardera la désagréable impression d'un édifice mal construit, où les fondations s'effritent et les finitions sont bâclées.
"On s'acharna à combler des trous dans des compartiments de jeu que l'on estimait défaillants, regrettera-t-il encore dans son livre. Un travail de replâtrage, avec un plâtre de qualité, peut-être, mais qui ne pouvait résister aux effets de la tempête. On ne me laissait pas la possibilité de renforcer le ciment d'un mur patiemment édifié avant d'entreprendre quoi que ce soit. On jouait de l'argent comme on joue de la truelle."
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Robert Herbin et Roger Rocher sur les Champs en mai 1976

Crédit: Getty Images

Tout une époque, tout un football, tout un esprit

Cette histoire-là ne pouvait donc que mal se terminer. Ce fut la déchirure avec Rocher. La caisse noire. Le départ du président et, bientôt, le sien. Il y aura des ailleurs. A commencer par... Lyon. Ou Strasbourg, après une pige en Arabie Saoudite, et le Red Star, d'autres Verts, pour finir. Il y eut, aussi, un retour dans le Forez, entre réussite et frustrations, à la fin des années 80. Mais au fond, tout était fini depuis longtemps.
Robert Herbin a arrêté d'entraîner en 1995, à seulement 56 ans. C'était bien jeune, mais ce n'était plus son football. On ne le voyait d'ailleurs que rarement venir en spectateur de luxe à Geoffroy-Guichard, où il se faisait rare. Reste que, en dépit de ses quelques insignifiantes "infidélités", rarement un entraîneur aura à ce point incarné son club. En cherchant bien, parmi les institutions du football français, Jean-Claude Suaudeau à Nantes et Guy Roux à Auxerre supportent-ils cette comparaison.
Les Verts d'Herbin. Les Bleus d'Hidalgo. Toute une époque. Tout un esprit. Tout un football. En une grosse décennie, ils ont façonné une ère glorieuse, enchanteresse, même. Ils ont insufflé de l'espoir et du plaisir et si quelques peines ont été grandes, c'est d'abord parce que les joies qui les avaient précédées l'étaient aussi. En un mois, leur double disparition a emporté tout cela. Ou plutôt non. Même la mort est impuissante face aux souvenirs.
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