Balotelli à Liverpool : une bonne affaire pour tout le monde?

A vendre: attaquant international italien pouvant jouer dans l’axe ou sur les côtés, 24 ans, treize buts en trente-trois sélections, vice-champion d’Europe; champion d’Angleterre et triple champion d’Italie, vainqueur de la Ligue des Champions, de la Coppa Italia et de la FA Cup. Prix: 20m€ (inclut 40% de discount ‘soldes d’été’).

Il y en aura qui crieront à la tromperie sur la marchandise quand ils auront lu ma petite annonce. 20 millions d'euros pour le bad ragazzo en série de l’Inter, de Manchester City, de Milan, grazie mille! Mais un ‘pigeon’ s’est laissé tenter, malgré ce que Brendan Rodgers avait dit lors de la tournée américaine des Reds, il y a trois semaines de cela: "je veux vous assurer catégoriquement que Mario Balotelli ne viendra pas à Liverpool". Ce pigeon s'est fait plumer.

Pas selon moi. Il s’agit d’un pari qui, comme tout pari, comporte des risques, ce que Rodgers n’a d’ailleurs pas essayé de cacher. Il est exact que jusqu’à présent, un seul entraîneur peut revendiquer être parvenu à trouver la clé du mystérieux Mario: Cesare Prandelli. Mais même Prandelli n’est parvenu à remonter le mécanisme que par à-coups. Survient toujours un moment où la machine s’enraye – et explose.

Encore que…a-t-elle explosé si souvent que cela? Passons sur les fameux feux d’artifice, qui n’ont tué personne, mais fait rire beaucoup de monde. Les fléchettes? Un peu moins drôle, certes, mais rien de plus qu’une blague de gamin. La Ferrari sur le circuit de karting? Pourquoi pas? Le circuit lui appartenait. Et la plupart des autres histoires qui circulent sur son compte sont apocryphes. S’il n’a rien fait pour se créer une réputation d’ange, il n’a non plus commis de crime qui lui fasse mériter l’image d’un démon. Il n’a pas volontairement brisé la jambe d’un autre joueur, comme Roy Keane ; il n’a pas failli rendre un coéquipier aveugle en le bourrant de coups de poing, comme Joey Barton.

Balotelli n’est pas un ‘fou furieux’. Il est aussi très loin d’être l’imbécile qu’on dépeint, vous savez, celui qui s’empêtre dans sa chasuble ? Et qu’il s’habille comme le pingouin de Wallace et Gromit si ça lui chante. Une insulte au bon goût est plus facilement pardonnable que les SMS de Malky Mackay.

Si Liverpool a parié, ce n’a pas été sans prendre ses précautions. Le contrat de l’Italien (a priori un bail de trois ans, avec l’option d’une saison supplémentaire, qui n'a pas été confirmé par le club), qui a été paraphé ce lundi, lui rapportera 80 000 livres brut par semaine, soit l’équivalent de 5,1 millions d'euros annuels, moins que ce que Manchester United continue de payer Nani, prêté pour la saison au Sporting, une ironie qui n’a pas échappé aux fans des Reds. 5,1 millions d'euros, c’est aussi à peu près la moitié de ce que Super Mario percevait en Italie, la preuve que l’enfant terrible du calcio – et son agent Mino Raiola – se rendent compte que des sacrifices doivent être consentis pour relancer une carrière qui a heurté un butoir l’an dernier. A Balotelli de grossir le pactole par ses performances et par son comportement. Le jeu en vaudra la chandelle: ses primes de bon élève pourraient peser près de 2,5 millions d'euros. Par an.

Or Brendan Rodgers, malgré ses faux airs de Ricky Gervais dans la série The Office (pour ce qui est de son discours), est un patron parfois inspiré quand il s’agit de gérer des employés dits ‘difficiles’. Daniel Sturridge n’avait coûté que 15 millions de livres, en raison d’une réputation de grosse tête qu’il avait largement méritée, à Manchester City comme à Chelsea; après un an et demi passé au contact du manager des Reds, le voilà avant-centre de la sélection anglaise. Raheem Sterling était aussi arrivé à Anfield, précédé d’une réputation d’’ingérable’, d’un habitué des tribunaux comme des boîtes de nuit de Londres. Et il y a le cas Suarez, bien sûr. Si Rodgers a su calmer le Cannibale pour en faire le ‘joueur de l’année’ en Angleterre, pourquoi n’accomplirait-il pas un petit miracle du même type avec Balotelli, lequel n’a pas besoin de muselière, lui?

Pour Milan, qui a besoin d’équilibrer ses comptes, se séparer de l’un de ses joueurs les mieux payés a du sens. Pour Liverpool, qui a retrouvé une belle santé sur le plan économique, un investissement de cet ordre ne représente pas un coup de folie, mais un choix raisonné, qui pourrait rapporter gros. Même si les choses tournaient moins bien qu’espéré, Balotelli, à 24 ans, trouverait facilement repreneur à bon prix. Et pourquoi sont-elles destinées à mal tourner? A force d’évoquer le Balotelli fauteur de trouble de sa troisième saison à City, on oublie celui qui marqua dix-neuf fois en quarante matchs de championnat pour les Citizens lors des deux précédentes – et délivra la passe décisive pour Kun Agüero, le jour de leur incroyable sacre de 2011-12. Même à Milan, ses statistiques ne furent pas celles d’un raté: 26 buts en 43 rencontres de Serie A lors de deux années pourtant bien compliquées à San Siro.

Enfin, un autre facteur, qui n’a rien de négligeable, plaide en faveur d’un retour réussi en Angleterre: ce n’est pas sur les stades de Premier League que le fils adoptif de Francesco et de Silvia sera la cible des insultes racistes qui l’ont accompagné presque partout, hélas, dans ceux de l’Italie où il est né. Personne ne peut affirmer avec certitude que l’immense promesse de ce joueur hors-normes, évidentes dès ses débuts avec Lumezzane – il n’avait que quinze ans! -, va enfin se concrétiser sur la durée à Liverpool. Mais s’il s’agit d’un coup de poker, une mise de 20 millions d'euros n’a rien d’insensé, si c’est "pour voir".