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De la retraite au Royaume, les deux mois qui ont tout changé pour Cantona

Maxime Dupuis

Mis à jour 06/08/2019 à 17:01 GMT+2

Avant de devenir le roi du football anglais et une légende à Manchester United, Eric Cantona a emprunté quelques chemins détournés pour traverser la Manche. Du Stade des Costières un soir de décembre 1991 à sa renaissance du côté de Leeds deux mois plus tard, en passant par une retraite sportive décidée sous le coup de la colère, il s’en est passé des choses.

Eric Cantona et les deux mois qui ont tout changé

Crédit: Eurosport

Décembre 1991. Les fêtes approchent. Et Michel Platini est chiffonné. Pas à cause des Bleus, dont il est désormais le brillant sélectionneur. Avec ses ouailles, Platoche s’est somptueusement qualifié pour l’Euro 1992 en réalisant un Grand Chelem inédit. Huit matches. Huit victoires. Remarquable alors que l’équipe de France restait sur deux compétitions manquées : l’Euro 1988 et le Mondial 1990. Platini n’est pas plus chagriné de voir Jean-Pierre Papin lui succéder au palmarès du Ballon d’Or. Pour lui, comme pour JPP, c’est du pain béni.
Non, ce qui attriste l’ancien numéro 10 de la Juve concerne l’autre fer de lance des Bleus, un certain Eric Cantona. Avec JPP et Canto, le sélectionneur à l’imper possède deux joueurs de classe mondiale - les seuls de son équipe, comme il le dira bien plus tard - qui portent les Bleus depuis près de deux ans et laissent augurer du meilleur pour l’Euro suédois. Problème, Cantona est fâché. Surtout, Cantona a décidé de mettre un terme à sa carrière. A 25 ans.
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Eric Cantona avec les Bleus

Crédit: Getty Images

L’année qui se termine n’a pas été très clémente pour l’enfant terrible du football français. Dès les premiers mois de 1991, son rabibochage de raison avec l’OM a tourné au vinaigre. Et l’a conduit au divorce. La faute à une blessure qui l’a éloigné des terrains durant l’hiver et à un printemps qui l’a irrémédiablement vu sortir du onze marseillais. Il faut dire que, durant son absence - de celles qui donnent tort -, Goethals a pris la suite de l’éphémère Beckenbauer et décidé que Canto n’était pas un atout pour l’OM, qui se débrouille bien mieux avec la triplette Papin - Waddle - Pelé qu’avec la doublette qu’il forme avec JPP. Difficile de donner tort au sorcier belge, alors que Marseille se hisse jusqu’en finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions.
Du coup, le sang de Canto ne fait qu’un tour. Comme toujours. Le Marseillais de naissance quitte les rangs des vice-champions d’Europe à l’été 1991. Fini Marseille. Direction Nîmes, promu ambitieux et dispendieux. Il y retrouve notamment Philippe Vercruysse, autre Olympien déçu, ou des connaissances montpelliéraines, comme Laurent Blanc. "J’ai senti que c’était bon pour moi… J’ai senti un truc…", dit-il, avec ses mots et son style à nul autre pareil, le jour de sa présentation. Le début de saison se passe couci-couça pour Canto et les Crocos. Blessé, il manque une partie d’une phase aller qui ne le verra faire trembler les filets qu’à deux petites reprises. Le public le lui en tient un peu rigueur, ce qui l’agace prodigieusement. La suite est gravée dans la légende.
Il faut qu’il comprenne que beaucoup de gens l’aiment
Stade des Costières. 7 décembre 1991. Nîmes - Saint-Etienne. Un duel aérien anodin à l’entrée de la surface stéphanoise. Une charge sifflée à l’encontre de l’international aux 20 sélections. Et le destin qui bascule. Le rouge du maillot gardois ne lui va pas aussi bien au teint que celui qu’il portera à Manchester. Cantona pète un plomb, s’empare du ballon et, à deux mains, le balance sur l’arbitre du match, Jean-Pierre Blouet. Geste fou. Carton rouge. Dehors. Pour de bon.
Canto a déconné. Ce n’est pas la première fois de sa carrière. Ni la dernière. Ce n’est pas la première fois, non plus, qu’il doit faire face à ses juges. Lui, l’homme du "sac à merde", du tacle assassin sur Der Zakarian, du jet de maillot de l’OM, est de nouveau dans l’œil du cyclone. La commission de discipline de la Ligue lui inflige une suspension de quatre matches. Pas du goût de Canto. Le jour de son audition et du verdict, il se lève, se dirige vers ceux qui l’ont jugé et qualifié de "marginal". Il les traite, un par un, "d’idiots". Le feu avait déjà bien pris, Cantona a balancé de l’huile dans le foyer.
Résultat : deux mois de suspension. Eric Cantona n’accepte pas, prend ses cliques, ses claques et débarrasse le plancher. Dans la foulée, il annonce qu’il met fin à sa carrière de footballeur professionnel. Il en avait déjà marre, avant ça. Jean Bousquet, maire de la ville et président du club de Nîmes, ne tombe pas des nues : "Je crois que cela faisait longtemps que Cantona avait dans la tête d’arrêter le football. A mon avis, la commission de discipline a été la goutte d’eau. Il ne supportait plus le milieu".
Michel Platini est tout autant peiné qu’il est embêté. Pour le joueur. Pour lui. Pour l’équipe de France. "Il faut qu’il comprenne que beaucoup de gens l’aiment. Arrêter sa carrière, je crois qu’il le regrettera toute sa vie. Prendre une telle décision à chaud, ce n’est pas bien", lance-t-il. Dans la coulisse, le triple Ballon d’Or va s’activer pour remettre Eric Cantona dans le droit chemin. Une chose est certaine : la France, c’est fini pour lui. Le Nîmes Olympique lui propose de prendre du recul, une année sabbatique. Niet. Cantona casse son contrat. Et s’engage à rembourser le club.
Eric Cantona disparait à l’occasion de fêtes de Noël. Et réapparait, à la surprise générale, là où personne ne l’attendait vraiment. Dans le nord de l’Angleterre. A Sheffield. Pourquoi Sheffield, fringant promu en D1 anglaise ? Gérard Houllier, adjoint du sélectionneur Platini, s’en souvient comme si c’était hier : "L’idée part de Michel, qui souhaitait récupérer Eric Cantona pour l’équipe de France. Il fallait qu’il puisse rejouer, à l’étranger. Michel pensait que le jeu là-bas était fait pour lui. Il m’a dit ‘peux-tu lui trouver un club en Angleterre ?’" Houllier, ancien prof d’anglais et futur manager des Reds, sent aussi que l’air d’outre-Manche ira comme un gant à Canto, même si les talents venus du continent y sont encore rares. Cantona ne parle pas un mot d’anglais ? Pas grave. Il est également et irrésistiblement attiré par l’île. Sa culture, son football, sa passion et son indépendance. Tout colle.
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Gérard Houllier en 1991

Crédit: Getty Images

Liverpool ne voulait pas d’un "gars à problèmes"

C’est Graeme Souness, entraîneur de Liverpool, qui se voit proposer le jeune Eric en premier. Mais, franchement, il n’en a pas envie. "On avait joué Auxerre en Coupe de l’UEFA et Michel Platini est venu me voir. Il m’a dit qu’il avait un joueur, un gars à problèmes mais un footballeur correct. Je lui ai dit que la dernière chose dont j’avais besoin était un autre joueur à problèmes. J’ai dit ‘non merci’". Eric Cantona à Liverpool. Chez le rival de Manchester United. Vous imaginez ?
Deuxième essai, du côté de Sheffield Wednesday cette fois. Gérard Houllier est à la manœuvre. Il faut convaincre Trevor Francis, que Platoche connait puisque les deux hommes ont évolué en Serie A durant les mêmes années, de 1982 à 1987. Francis tente le coup. Pour faire plaisir à Michel et à son ancien agent, Dennis Roach. Après tout…
Cantona portera le maillot des Owls floqué du numéro 12 à l’occasion d’un tournoi en salle et un match face à un adversaire improbable : Baltimore Blast, équipe US de foot indoor. Trevor Francis n’a pas d’idée arrêtée concernant l’attaquant formé à l’école Guy Roux. Mais il a juste envie de le voir gambader sur un vrai gazon anglais, avant de prendre une décision. "Les médias n’étaient pas aussi développés qu’aujourd’hui et Trevor ne connaissait pas bien Cantona", se rappelle Gérard Houllier.
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Eric Cantona à Sheffield

Crédit: Getty Images

La météo, catastrophique, et Cantona, fier comme Artaban, ne lui en laisseront pas l’opportunité. "On ne pouvait pas s’entrainer sur la pelouse du centre d’entrainement, regrette Trevor Francis. Au bout de deux jours, on m’a demandé si j’allais le signer. J’ai dit : ‘Je ne pense pas. On aimerait d’abord qu’il reste quelques jours de plus pour s’entrainer avec nous’. Je pense que son agent l’a pris comme une insulte". Canto et essai, ça ne rime pas.
Ferme les yeux et prends-le, tu vas recruter un très bon joueur
Finalement, la grande aventure débutera par un petit voyage, une cinquantaine de kilomètres au nord de Sheffield. Toujours dans le Yorkshire. A Leeds. Grâce à un petit coup de pouce du destin. "Je connaissais l’entraineur de Leeds, Howard Wilkinson, explique Houllier. Un jour, il appelle mon assistante à la Fédération pour me parler. J’étais alors aux Antilles. Par le plus grand des hasards, j’appelle la FFF d’une cabine téléphonique et je tombe sur mon assistante qui me dit : ‘Il y a un monsieur Wilkinson qui a appelé, il souhaiterait vous parler.’ J’ai appelé Howard. Il me dit ‘Gérard, on se connait et je te fais confiance, puis-je prendre Cantona ?’ Je lui ai répondu : ‘ferme les yeux et prends-le, tu vas recruter un très bon joueur’. Michel Platini l’a eu quelques minutes au téléphone et Leeds a été champion d’Angleterre avec Eric."
Howard Wilkinson n’est pas effrayé par le profil atypique du joueur. Surtout, il a senti que le jeu en valait la chandelle. Par le passé, il a déjà donné sa chance à un certain Vinnie Jones (qui deviendra d’ailleurs l’ennemi juré de Cantona), alors pourquoi pas tenter le coup avec ce Marseillais au sang chaud ? "Il lit de la poésie, il lit de la philosophie, il peint, il aime pêcher. Il est peut-être différent mais ce qu’il fait en dehors du terrain, je m’en fiche tant qu’il se comporte bien avec nous", assure-t-il au moment du recrutement du Français.
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Eric Cantona lors de ses débuts à Leeds

Crédit: Getty Images

La suite, c’est Canto qui la raconte. "Il m’avait invité à regarder le match entre Leeds United et Notts County. Notre conversation a duré un peu moins d’une heure. On n’a pas signé de contrat mais on savait qu’on allait bientôt vivre une aventure mutuelle. Il n’y aurait pas de période d’essai. Mon examen, je le passerai sur la pelouse". 8 février 1992. Devant une nuée de photographes venus à Oldham pour accueillir l’oiseau rare, Eric Cantona prend place sur l’un des bancs de touche de Boundary Park. Les continentaux sur l’île ne courent pas les rues. Ils deviendront la norme quand "Eric The Brat" - comme le surnomme une partie de la presse à son arrivée - deviendra "Eric The King"… sous un autre maillot. Celui de Manchester United.
Ça non plus, Gérard Houllier ne l’a pas oublié : "A l’automne 1992, je me retrouve devant un match de Ligue des champions entre Glasgow et Leeds avec Andy Roxburgh et Alex Ferguson. Wilkinson sort Cantona alors qu’il avait été plutôt bon, je me dis ‘oh, il va y avoir problème’." Ça n’a pas loupé. Cantona veut partir. "J’appelle Alex, il me dit ‘ne dis rien à personne, je vais le signer’". Il parlait alors d’un échange avec Denis Irwin. Finalement, Ferguson a gardé Irwin. Et a juste payé 1,2 millions de livres pour Canto. L’affaire du siècle.
Et Michel Platini dans tout ça ? Ses efforts ne seront guère récompensés. L’été suivant, les Bleus et Eric Cantona sont piteusement éliminés au premier tour de l’Euro. Platini rend son tablier. Pour de bon.
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Eric Cantona félicité par Alex Ferguson en 1996.

Crédit: Getty Images

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