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De Newcastle à Manchester City - La Premier League, champ de bataille du Golfe

Philippe Auclair

Mis à jour 04/06/2020 à 19:54 GMT+2

PREMIER LEAGUE - Alors que Newcastle est toujours en cours d'acquisition par un fond souverain saoudien, dirigé en coulisses par le pouvoir en place, la Premier League s'expose à une bataille dont elle peut sortir abîmée, avance notre chroniqueur Philippe Auclair. Et qui dépasse très largement le cadre du football.

De Newcastle à Manchester City - La Premier League, champ de bataille du Golfe

Crédit: Getty Images

Le sort de Newcastle United s'est peut-être joué le 5 juin 2017.
Ce jour-là, après des mois d'escarmouches, l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l'Egypte et plusieurs de leurs alliés, dont Bahrein, rompaient leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé par eux de soutenir le terrorisme international, et entamaient un blocus de l'émirat, lequel n'a toujours pas été levé aujourd'hui.
Le football avait été mêlé à la querelle d'emblée. Sur le terrain : l'édition 2017 de la Gulf Cup, qui devait se jouer au Qatar après que l'Irak, puis le Koweït s'étaient vu retirer son organisation, revint finalement au Koweït après que l'Arabie Saoudite et les EAU, entre autres, avaient dit qu'ils la boycotteraient. Sur les écrans de télévision ensuite : dès juin 2017, beIN était frappé d'une interdiction de vente de ses abonnements en Arabie Saoudite (*). Quelques mois plus tard, commençait la plus grosse campagne de piratage de l'histoire de la télévision. Un mystérieux réseau nommé beoutQ avait trouvé le moyen de s'approprier les images de beIN, pour les proposer ensuite à des prix dérisoires, voire gratuitement, aux possesseurs de décodeurs mis en vente ouvertement sur le territoire saoudien.
Il ne fait guère de doute pour les investigateurs indépendants qui ont tâché d'établir qui se cachait et se cache encore derrière beoutQ que la responsabilité du régime saoudien, de facto dirigé par le prince héritier Mohammed bin Salman, était lourdement engagée dans sa création et son fonctionnement. Au pis, c'était sur un ordre du prince que beoutQ était né. Au mieux, c'était grâce à sa bénédiction tacite que les pirates pouvaient opérer.
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Le Prince Mohammed bin Salman, Gianni Infantino et Vladimir Poutine

Crédit: Getty Images

Leeds bientôt de la partie

De toutes les images que beoutQ avaient volées, les plus précieuses, et certainement les plus chères à acquérir, étaient celles de la Premier League, dont le Al Jazeera Sport de Nasser El Khelaïfi et son successeur beIN sont le diffuseur exclusif dans les pays arabes depuis 2013. La Premier League elle-même était donc aussi une victime du pirate, tout comme l'UEFA, dont les compétitions figurent également dans l'offre de beIN.
En autorisant la vente de Newcastle United au consortium dont le partenaire majoritaire est le fond souverain saoudien - président : SAR Mohammed Bin Salman -, la Premier League deviendrait donc la complice du vol dont fut et demeure victime l'un de ses meilleurs clients. Tel est en tout cas l'argument qu'a fait valoir beIN à la PL dans une lettre que reçurent également les vingt présidents des clubs de l'élite anglaise - Newcastle United compris.
L'argument des Qataris pesait d'autant plus qu'il était appuyé par un rapport de la World Trade Organisation long de 130 pages qui sera publié à la mi-juin, mais dont la PL a déjà pris connaissance, et dans lequel il est écrit noir sur blanc que le royaume saoudien a contrevenu aux lois internationales sur la protection de la propriété morale. Un joli casse-tête pour le directeur exécutif de la PL Richard Masters et son tout nouveau président Gary Hoffman, qui vont bien devoir trancher un jour et qui savent que, quelle que soit leur décision, ils se seront fait un puissant ennemi dans ce champ de bataille que la Premier League est devenue pour les frères ennemis du Golfe.
Les Qataris pourrait le rejoindre très bientôt en acquérant Leeds United - lorsque le club actuellement leader du Championship aura assuré sa promotion. Si Leeds est toujours la propriété d'Andrea Radrizzani, le vice-président de MP & Silva, une entreprise très active dans le domaine des droits TV, dont les liens avec Doha sont anciens et profonds, l'implication future de l'émirat dans le club du Yorkshire ne fait guère de doute, que ce soit sous la forme d'une prise de contrôle de tout ou partie du club ou d'un contrat de sponsoring des plus conséquents avec Qatar Airways. La troisième pointe du triangle est évidemment Abou Dhabi, autrement dit le plus puissant des Emirats Arabes Unis, qui acheta Manchester City en 2008 et en fit la machine à gagner que l'on sait. Qatar, Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite : un sacré trio, qui devrait se montrer plutôt encombrant pour les gestionnaires de l'élite du football anglais s'il devait transposer son conflit sur les terrains de Premier League. Et comptez bien qu'ils le feraient si les Saoudiens obtenaient leur laisser-passer pour Newcastle.
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Le logo de Newcastle et celui de la Premier League

Crédit: Getty Images

Guêpier dont il faut ressortir indemne

Il ne s'agit pas que de soft power en ce cas précis, encore que cette dimension soit évidemment essentielle si l'on veut comprendre les raisons pour lesquelles ces nations du Golfe se sont données rendez-vous sur les terrains anglais. Mais dans ce cas précis, au-delà de la propagande, le plus important est de poursuivre sur l'aire de jeu une confrontation dont les racines sont purement politiques : pour Saoudiens et Emiratis, le soutien et la protection prodigués par le Qatar aux 'terroristes' des Frères Musulmans, ainsi que ses relations privilégiées avec l'Iran chiite et la Turquie d'Erdogan, avec toutes les ramifications dans la guerre civile en Syrie et le conflit au Yemen que de telles alliances supposent.
Et quand se profile de plus en plus clairement à l'horizon la Coupe du Monde de 2022, quoi de plus naturel que ce qui est bien plus qu'une querelle familiale déborde sur les terrains de football ? Saoudiens et, en particulier, Emiratis ont d'ailleurs tout fait pour que le Mondial soit retiré aux Qataris, que ce soit en exerçant des pressions diplomatiques ou en procédant à une campagne de désinformation anti-qatarie dans les médias ou via des comptes créés spécifiquement à cet effet sur les réseaux sociaux, sur Twitter en particulier. Précisons de suite que le Qatar a procédé de même.
Voilà donc le guêpier dans lequel la Premier League doit plonger et tâcher de ressortir indemne. Ne vous étonnez donc pas qu'il lui ait fallu tant de temps pour homologuer - ou refuser - la vente de Newcastle United, comme je pressentais que de ce serait le cas ; et ne soyez pas non plus étonné si elle traînait tellement que l'une des parties - l'Arabie Saoudite - finirait par se retirer de l'accord et fasse passer la caution de 17m£ déjà payée à Mike Ashley au rayon 'pertes et profits'. Enfin, si l'achat était conclu, ce ne serait que le début d'une autre bataille, dans lequel le football est tout compte fait accessoire, ou un accessoire, si vous préférez, une arme à déployer dans une bataille qui le dépasse.
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