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Pour Newcastle, tout est fait, tout reste à faire

Philippe Auclair

Mis à jour 22/04/2020 à 21:48 GMT+2

PREMIER LEAGUE - Le rachat de Newcastle par un fonds d'investissement saoudien est une affaire conclue pour la presse anglaise. Sauf qu'il n'en est rien, et que la transaction traîne d'une façon qui devient anormale.

Les joueurs de Newcastle contre Crystal Palace en Premier League le 22 février 2020

Crédit: Getty Images

Laissons de côté, pour le moment, et encore que cela ne soit pas facile, la dimension éthique de l'acquisition d'un nouveau club de premier plan par le fonds souverain d'un état ; et qui plus est, d'un état dont la lourde réputation en matière de droits de l'Homme, ou plutôt de leur violation, devrait au moins faire réfléchir ces supporters de Newcastle dont beaucoup trop se sont transformés du jour en lendemain en apologistes du prince héritier Mohammed bin Salman.
Réservons cette discussion nécessaire pour plus tard, quand la transaction entre l'actuel propriétaire de NUFC Mike Ashley, le Public Investment Fund saoudien (PIF) et les associés de ce dernier aura été conclue pour de bon - une transaction bien moins transparente qu'il y parait, qui mérite qu'on s'attarde sur elle.
Car quoi qu'aie pu en dire le Times de ce lundi, cette transaction n'est pas encore "faite", ce fameux adjectif qu'on utilise à tort et à travers dans les fameuses "infos" chères au monde du football. Le transfert de Robinho à Chelsea, c'était "fait". Hazard au Real Madrid, c'était "fait" six mois avant que cela se fasse, quand Eden en personne (et cela, je puis vous le garantir) n'était pas encore sûr lui-même de sa future destination.
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Quand la presse évoquait l'arrivée d'Eden Hazard au Real Madrid

Crédit: Eurosport

Le désir d'être le premier à lancer la fameuse "info" est bien plus puissant que celui d'être le premier à avoir raison. Il est possible qu'un accord sera finalement conclu entre Ashley et le PIF ; toutes les infos qui nous parviennent vont dans ce sens ; si tel est le cas, il appartiendra à la Premier League d'y accorder sa bénédiction, ce qui devrait prendre pas loin d'un mois.
Nous n'en sommes pas encore là. Pour le moment, ce qui est "fait", si l'on en croit les sources - anonymes - qui se sont confiées au Times, est que les parties en présence ont pris des engagements formels dont elles ne peuvent plus se désister sans encourir un gros préjudice financier. "Les documents ont été signés, et le dépôt de garantie [de 17 millions de livres, assurent certains] a été payé", pouvait-on lire dans le quotidien britannique. Le montant total de la transaction serait de 300 millions de livres, soit 343 millions d'euros, comme le Financial Times l'avait annoncé il y a une semaine de cela.

Mutisme saoudien

De tout cela, il n'y a pas lieu de douter, encore que ces fameuses "sources" ne semblent appartenir qu'à deux des quatre camps en présence tout au plus, à savoir celui de la négociatrice et actionnaire en puissance Amanda Staveley, et celui, peut-être, de l'entourage de Mike Ashley, lequel est actuellement confiné fort loin de St James's Park, puisque c'est en effet depuis sa villa de Miami, son palais devrait-on dire, que le patron de la chaîne de magasins Sports Direct négocie la vente du club pour lequel il paya un peu plus de 130 millions de livres en 2007.
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Mike Ashley lors de Newcastle - Rochdale en FA Cup le 14 janvier 2020

Crédit: Getty Images

Le fond saoudien PIF, censé acquérir 80% du club, et dont le gouverneur Yasir Othman al-Rumayyan devrait devenir président de Newcastle United FC, a gardé un mutisme absolu sur les tractations. Tout juste sait-on qu'une SARL portant le nom de NCUK Investment Ltd, dont il est co-gérant, a été enregistrée auprès du registre britannique des sociétés le 21 janvier dernier. L'autre co-gérant, un comptable nommé Vincent Cheshire, n'est là que pour assumer un rôle d'accompagnement juridique, comme il le fait pour des dizaines d'autres sociétés.
Un autre investisseur - à hauteur de 10% du capital -, la holding immobilière Reuben Brothers qui associe les frères Simon et David Reuben (tous deux milliardaires, tous deux connaissances de Roman Abramovitch et habitués de Stamford Bridge), s'est contenté de confirmer son implication dans les discussions et s'en est tenu là. Jamie Reuben, 32 ans, le fils de David (et un allié de Boris Johnson dans sa campagne pour la mairie de Londres en 2012), devrait rejoindre le conseil d'administration du 'nouveau' Newcastle, lui qui est déjà membre du board de...Queen's Park Rangers. "Devrait". Lui aussi a gardé son quant-à-soi.

Pourquoi autant de temps ?

Reste le troisième acquéreur potentiel, PCP Capital Partners, dont la figure de proue est Amanda Staveley, connue, entre autres, pour avoir servi d'intermédiaire pour Sheikh Mansour lors de l'acquisition de Manchester City par les Émirats Arabes Unis, dont le nom avait déjà été associé à au moins une autre tentative d'achat de Newcastle United, et qui, à l'automne 2017, était également au coeur de la bizarre tentative d'acquisition de Liverpool FC par un investisseur dont le nom ne fut jamais révélé, peu de temps avant que la même Staveley ne fasse une première proposition de 300 millions de livres à Mike Ashley.
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En 2008, Amanda Staveley avait servi d'intermédiaire pour Sheikh Mansour lors de l'acquisition de Manchester City

Crédit: Other Agency

Je pourrais consacrer un livre au parcours de Staveley dans le monde des affaires comme dans celui du football, un livre que je serais bien incapable de résumer dans une simple chronique ; aussi m'en tiendrai-je là aujourd'hui, si ce n'est que pour ajouter que Staveley, à la différence des autres acteurs de cette saynète, sait se montrer loquace quand elle considère qu'il faut l'être.
La question que je ne suis pas le seul à me poser est : pourquoi donc cette opération qui devrait être des plus simples prend-elle autant de temps ? Le Daily Mail affirmait mardi qu'Ashley était prêt à rendre la nouvelle publique la semaine passée, mais en avait été empêché par les Saoudiens, en raison d'une "coutume locale" - je cite le journal anglais - qui veut qu'on ne parle pas d'une transaction avant qu'elle ait été conclue pour de bon ; ce qui signifie, dans ce cas précis, qu'elle ait reçu l'aval de la Premier League.
Renseignements pris auprès de contacts qui connaissent fort bien la région, cette "coutume locale" n'existe que dans l'esprit du journaliste du Mail. "Ils [les Saoudiens] n'aiment certainement pas parler des détails, me dit-on. Et ils aiment être dans une position qui leur permette de se retirer jusqu'à la dernière minute. Ce n'est pas vraiment une coutume, c'est une tactique de négocation". Ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
Et pourquoi tant de fuites, aussi, sachant que, dans ce milieu, et dans ce type de transactions, toute fuite est orchestrée ? Or l'opération devrait bien être "des plus simples", en effet. Ashley, aujourd'hui haï des supporters, veut vendre, et pas d'hier. Les Saoudiens, qui avaient flairé du côté de Manchester United, tournent aussi autour d'autres clubs dans d'autres championnats (dont la L1 n'est pas exclue), souhaitent emprunter la voie ouverte par le Qatar (l'ennemi) et les EAU (l'allié) dans le monde du sport en général, et celui du football en particulier.
Les moyens dont ils disposent sont colossaux, puisque le PIF pèse plus de 320 milliards de dollars. Newcastle n'a peut-être pas gagné quelque trophée que ce soit depuis la Coupe des Villes de Foire de 1969, cela n'empêche qu'ils demeurent un nom qui compte, un maillot qu'on reconnait du premier coup d'oeil, un de ces "géants endormis" qu'on peut réveiller à coups de millions. Le club de Keegan, Beardsley, Ginola et Shearer. Le club qui, dans quelque division que ce soit, remplira un stade de 50 000 places.
Matt Ritchie lors de Newcastle - Burnley en Premier League le 29 février 2020

Un prix finalement exorbitant ?

Voyez ce que Wolves est (re)devenu avec le concours de capitaux chinois et l'entregent de Jorge Mendes. Imaginez ce que Newcastle pourrait être. Un vendeur qui veut vendre, un acheteur qui veut acheter et qui, dans un marché déprimé, est prêt à payer des centaines de millions pour un club de football qui a passé ces dernières saisons à se bagarrer pour ne pas être relégué ; et vaudra sans doute une fraction de ce prix dans quelques semaines, lorsque le football anglais prendra enfin conscience de l'énormité de la crise dans laquelle il a été projeté.
Et pourtant, tout cela traîne, quand tout cela aurait pu être réglé en l'espace de quelques jours, sans que la presse en fasse son feuilleton depuis le mois de janvier, quand il filtra pour la première fois que les Saoudiens, les frères Reuben et Staveley s'intéressaient de très près au club de la Tyneside. Se pourrait-il que ces Saoudiens se disent que le prix qu'on leur avait donné lorsque le coronavirus ne troublait pas encore la vie de la vieille Europe est tout compte fait exorbitant, au vu des pertes colossales que le football anglais va devoir assumer ?
Se pourrait-il que quelques-uns qui ont beaucoup à perdre si la transaction ne se faisait finalement pas redoublent d'efforts pour que les médias affirment qu'elle se fera, mieux, qu'elle est "faite" ?
Souvenez-vous de ce qu'avait dit Mike Ashley lorsque s'étaient ébruitées les rumeurs d'un achat de son club en 2017 (par un consortium dont Amanda Staveley était déjà la figure de proue) : "ce qui est la réalité dans ce genre de transactions, c'est que, une fois qu'on en a parlé [dans les médias], si ce n'est pas déjà fait, cela ne se fera probablement pas."
Et quand Ashley avait dit "fait" il entendait bien "fait".
Pas comme le transfert de Robinho à Chelsea.
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