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Premier League - Avant Tottenham - Chelsea : Jimmy Greaves, le génie oublié

Joffrey Pointlane

Mis à jour 22/02/2020 à 15:12 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Chelsea et Tottenham se retrouvent à 13h30 pour un choc capital dans la course à la C1. Si les relations entre les deux clubs restent fraîches, ils seront liés à jamais à l’avènement d'un serial-buteur d'exception, Jimmy Greaves, dont la carrière à la fois heureuse et tumultueuse ne fut pas récompensée par les honneurs. Histoire d’un héros oublié.

Jimmy Greaves sous le maillot de Tottenham en 1967

Crédit: Getty Images

Les médias anglais avaient tourné en boucle sur l’exploit réalisé par Sergio Agüero lors de la démonstration de Manchester City à Villa Park (6-1, 22e journée), le 12 janvier dernier. Auteur d'un triplé, l’Argentin dépassait alors Thierry Henry (177 buts contre 175), devenant le meilleur buteur étranger de la Premier League, et battant même le record d’Alan Shearer en nombre de hat-tricks marqués (12 contre 11). De quoi comparer l'Argentin aux meilleurs réalisateurs de l’ère Premier League, alors que Wayne Rooney (208 buts) et surtout Shearer (260) possèdent encore une confortable avance sur le Kun.
Cet évènement a eu le don de faire bondir le célèbre Jeremy Wilson, chef des sports au Telegraph, le lendemain, dans une tribune assassine : "Le football anglais n’a pas commencé en 1992, il a seulement été rebaptisé. Comment peut-on oublier 104 ans d’existence, quand cette chère Premier League fut renommée en 1992 pour plus de business et de visibilité ? De tous, Jimmy Greaves est le vrai buteur de référence. Et l’histoire l’a complètement oublié."

Londres dans la peau

Greaves, un nom que le temps a injustement effacé des mémoires britanniques. Réputées sans égales, seraient-elles incapables de rendre honneur à l'un des plus grands héros anglais d'après-guerre ? Pourtant, Jimmy Greaves a laissé une grande trace dans les annales du football britannique et européen, qui tient autant à son extraordinaire capacité à empiler les buts saison après saison qu’à une histoire personnelle plus sombre, pendant et après sa carrière de joueur.
Né en 1940 à Londres, Jimmy ne met pas longtemps à franchir toutes les étapes du processus de formation à Chelsea. Et ses débuts en A ne se font pas attendre. Il fait ses premiers pas chez les professionnels lors de la saison 1957-1958, où il réussit à marquer pour sa première apparition face à Tottenham (1-1). Il ne sort plus de l’équipe et enchaîne les exercices à 20 buts minimum, terminant même sa quatrième saison pro à 41 pions en 40 matches.
La barre des 100 buts, atteinte à seulement 20 ans et 290 jours, attise les regards et la convoitise. Alors que les Blues ne peuvent lui offrir que le milieu de tableau, le grand Jimmy s’envole pour Milan à l’été 1961. Mais l’expérience italienne tourne court. Greaves a le mal du pays et les relations avec l’entraîneur rossonero Nereo Rocco tournent au vinaigre. Son fief londonien lui manque et, après 14 matches et 9 buts, il est transféré pour 99.999 livres six mois plus tard, du côté de Tottenham. Les Spurs de Bill Nicholson, qui viennent d’être les premiers en Angleterre à réaliser le doublé FA Cup-First Division au XXe siècle, ne regrettent pas leur investissement. En neuf saisons à White Hart Lane, Jimmy retrouve le plaisir de martyriser les défenses : 266 buts à son actif (meilleur buteur de l’histoire du club, dont 220 en championnat) en 379 apparitions, et en prime la couronne de meilleur buteur de First Division à quatre reprises (1963, 1964, 1965, 1969), en plus de celles déjà acquises sous le maillot des Blues (1959, 1961).

Messi avant l’heure

Aux trophées individuels, déjà collectés lors de sa période à Chelsea, s'ajoutent les trophées collectifs : FA Cup 1962 (buteur en finale contre Burnley), 1967 et surtout la Coupe des coupes 1963, où il ne se gêne pas pour inscrire son nom deux fois au tableau d’affichage face à l’Atlético Madrid (5-1) et ainsi ramener à Londres le premier trophée européen pour un club anglais. Malgré deux Charity Shield supplémentaires (1962 et 1967), Greaves ne remporte cependant jamais le Championnat, se contentant avec les Spurs d’une place de deuxième en 1963.
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Jimmy Greaves

Crédit: Imago

Mais cet exploit des 366 buts inscrits en championnat (357 en Angleterre, 9 en Italie), dépassé depuis par Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, traduit bien le talent inné et le côté glacial de Greaves devant les cages adverses, bien en avance sur son temps. C'est Harry Redknapp, dans son autobiographie, en parle le mieux : "Nous étions à l’entraînement à QPR, et Sky repassait un but de Messi. Il pénètre dans la surface, prend son temps, attend que tous les défenseurs et le gardien anticipent, puis la glisse dans le petit filet opposé. Je leur ai dit que Greaves en marquait un comme ça tous les week-ends, et parfois plus. Quand il avait la balle dans la surface, c'est comme si quelqu'un avait appuyé sur pause." Avant de compléter : "Il est le plus grand buteur que je n’aie jamais vu. Un génie. C’était comme si le monde entier s’arrêtait quand Jimmy avait le ballon dans la surface."

Oublier le sacre de Wembley

Son ancien coéquipier en attaque chez les Spurs, Alan Gilzean, n’y va pas non plus par quatre chemins pour décrire le "Messi des temps anciens", lors d’une interview pour le Telegraph : "Sa conscience et son calme sous la pression étaient impressionnants. Quand je regarde Messi aujourd’hui, c’est comme regarder Greaves ces années-là. Il était tout aussi bon et très vif." L’intéressé le disait lui-même : il fonctionnait à l’instinct, comme la Pulga, ne calculait rien, faisant fonctionner au maximum son génie : "Si tu penses à ce que tu vas faire, tu ne le feras pas aussi bien. Quand j’arrivais sur le terrain, j’étais une personne totalement différente de celle qui était assise dans le vestiaire. Quand je passais dans le tunnel, je me transformais." Mais la vie d’un footballeur échappe rarement aux moments sombres et douloureux. Et Jimmy Greaves n'a pas fait exception à la règle, bien au contraire. L'Anglais connaît une tragédie familiale, avec la perte de son fils Jimmy Junior, décédé à quatre mois des suites d’une pneumonie.
Puis vient le temps des problèmes sportifs, au fil d'une histoire contrariée avec la sélection nationale. Après une première participation à la Coupe du monde 1962 au Chili, Greaves est bien sûr de la partie pour le Mondial 1966 à domicile, et se retrouve titulaire dans le onze d’Alf Ramsey, à côté de Bobby Charlton et Roger Hunt. Mais une blessure causée par le milieu des Bleus Joseph Bonnel contraint Greaves à laisser sa place à Geoff Hurst face à l’Argentine, en quarts de finale. Ce dernier restera titulaire jusqu’au bout d’un tournoi remporté par les Three Lions, malgré la remise sur pied du buteur des Spurs pour la finale. De quoi assister au sacre des siens dans la peau d’un étranger : "Je dansais sur le terrain comme tous les autres, mais même durant ce moment de triomphe et de joie, au fond de moi, je ressentais de la tristesse. Durant toutes mes années de footballeur professionnel, j'avais rêvé de disputer une finale de Coupe du monde. J'avais laissé passer le match d'une vie et cela faisait mal." Comble de la dramaturgie, seuls les titulaires à cette époque se voyaient remettre les médailles promises au vainqueur. Sa présence dans le groupe pour l’Euro 1968, mais sans pouvoir influer sur le résultat de sa sélection, met un terme à son aventure pour la Perfide Albion, ponctuée d’un bilan très honorable de 44 buts en 57 capes.
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Jimmy Greaves avec l'Angleterre face à l'Argentine lors du Mondial 1966

Crédit: Getty Images

Alcool, gloire télévisuelle et AVC

Son passage forcé à West Ham, où il reste seulement une saison et demie (1970-1971, 13 buts en 40 matches), est venu ternir sa fin de carrière au plus haut niveau, et annoncer le début d’une longue traversée du désert. A peine la trentaine passée, Greaves raccroche les crampons et sombre dans l’alcool et l’oubli général. "Je suis complètement passé à côté des années 70. J'ai été bourré de 1972 à 1977. Cela m'arrivait de boire 20 pintes de bière durant la journée, puis une bouteille de vodka entière avant de me coucher", confie-t-il en 2003 au Guardian. Remis sur pied, Greaves est engagé comme présentateur TV pour former un duo mythique avec l’ancien de Liverpool Ian St John à la fin des 70s, pour l’émission Saint and Greavsie sur ITV.
Assez peu pour honorer la carrière du plus grand attaquant du football anglais, absent des plus grandes distinctions footballistiques et honorifiques. Inimaginable pour son acolyte St John : "Je ne veux pas dénigrer les autres joueurs, mais Jimmy évoluait sur une autre planète que la plupart d’entre eux. Jimmy est tout simplement l’un des meilleurs joueurs à avoir un jour tapé dans un ballon de football." Trente-cinq ans plus tard, son pays fut à peine plus ému lors d’une campagne de récolte de fonds lancée par son entourage pour payer le lourd traitement nécessaire pour l’ancien artificier, victime d’un AVC en mai 2015. Par son édito, Jeremy Wilson a souhaité réveiller les consciences et les mémoires. En espérant que celui qui aurait dû s’appeler "Sir Jimmy Greaves" ne soit pas oublié. Une seconde fois.
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Jimmy Greaves

Crédit: Getty Images

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