Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Premier League - Leeds - Manchester City - Josep Guardiola et Marcelo Bielsa, au delà du respect

Philippe Auclair

Mis à jour 03/10/2020 à 12:13 GMT+2

PREMIER LEAGUE - C'est un duel qui promet un feu d'artifice. Le choc entre Leeds et Manchester City samedi (18h30) opposera deux apôtres du jeu, Marcelo Bielsa et Josep Guardiola. Deux entraîneurs qui entretiennent une relation unique.

Marcelo Bielsa et Josep Guardiola, en 2012

Crédit: Getty Images

Alexandre le Grand prit la précaution d'aller consulter la pythie de Delphes avant de s'embarquer dans la conquête du monde. Celle-ci, après s'être fait prier - et traîner par les cheveux (assure Plutarque) lorsque sa réponse se fit tarder - lui dit ces quatre mots : "ἀνίκητος εἶ ὦ παῖ". "Mon fils, tu es invincible". Les doutes qui pouvaient habiter Alexandre s'évanouirent, et il se lança dans la campagne qui l'amena jusque sur les bords de l'Indus.
Vingt-trois siècles plus tard, en octobre 2006, Pep Guardiola, parvenu au terme de sa carrière de joueur (*), sur le point d'embrasser celle d'entraîneur, s'en alla consulter un oracle d'un autre type, en Argentine, cette fois : Marcelo Bielsa. Bielsa, qui, deux ans plus tôt, avait quitté la tête de la sélection argentine et était toujours en attente d'une nouvelle mission, convia son visiteur à un asado dans sa maison de Buenos Aires. Guardiola avait fait le voyage de 7 000 kilomètres en compagnie de son ami intime, le réalisateur David Trueba.
Bielsa s'adressa en ces mots au jeune Catalan. "Pourquoi toi, qui sais tout des inepties du football, de la malhonnêteté des gens qui vivent en lui, veux-tu revenir dans cet environnement et devenir entraîneur ? Tu aimes le sang tant que ça ?". "J'ai besoin de ce sang", répondit Guardiola. Bielsa lui donna sa bénédiction. Le 21 juin 2007, Guardiola était nommé entraîneur de la réserve du Barça. Deux saisons plus tard, Barcelone était champion d'Espagne et d'Europe.

Une relation d'un autre type

Affabulation, mythe, légende dorée, comme celle du jeune Alexandre ? Au vu de ce qu'ont accompli les deux hommes, et, surtout, de la manière dont ils l'ont fait, probablement pas. Quelles que soient leurs limites, leurs différences, et même leurs travers, tous deux sont des quêteurs d'absolu. Et c'est bien Bielsa qui ouvrit la route sur laquelle Guardiola chemine depuis treize ans.
picture

L'hommage de Guardiola à Bielsa : "Personne ne peut l'imiter"

Une telle communauté d'esprit est rarissime, voire unique dans le football de haut niveau. Il existe des filiations, telle que celle qui, de l'Ajax à Barcelone, lie Vic Buckingham, Rinus Michels, Johan Cruyff et - de nouveau - Pep Guardiola, ou, à Nantes, José Arribas et Coco Suaudeau. La relation Bielsa-Guardiola est d'un autre type, elle, en ce que, malgré une différence d'âge de quinze ans et demi, le maître et son disciple sont aussi des rivaux qui croisèrent le fer pour la première fois le 6 novembre 2011, pour un haletant 2-2 entre l'Athletic et le Barça à San Mames, et se retrouveront donc ce samedi, pour un match que l'Angleterre n'est pas la seule à attendre comme l'un des sommets de la saison, un must-see qui fera passer au second plan des rencontres aux enjeux bien plus significatifs dans l'immédiat.
La raison n'en est pas seulement le jeu que ces deux managers savent proposer, encore qu'il paraisse impossible qu'on assiste à autre chose qu'à un feu d'artifice. Manchester City a pu encaisser cinq buts face à Leicester, mais a aussi produit des séquences de jeu de rêve depuis le début de la saison. Leeds, le promu, a fait trembler Liverpool en prenant le champion à la gorge. Le spectacle sera au rendez-vous, c'est une certitude. Mais ce spectacle ne sera que la prolongation d'un dialogue fascinant entre deux hommes dont l'obsession pour le football - 'leur' football - est telle qu'on pourrait croire qu'elle mène immanquablement à une forme de solipsisme. Autrement dit, ce dialogue, ils ne l'ont qu'avec eux-mêmes, le reste du temps. Il en ira autrement ce week-end.

Bielsa, ce pur d'entre les purs

L'admiration est mutuelle, et d'un tout autre type que celle qui caractérise la relation plus complexe, mais tout aussi chaleureuse, qui peut lier un Louis van Gaal et un José Mourinho. Peut-être est-ce dû à la générosité fondamentale de Bielsa, en qui il est difficile de ne pas voir un 'innocent' du football, même lorsqu'il dépêche l'un de ses adjoints pour aller espionner un futur adversaire. Peut-être est-ce dû au fait que Bielsa ne s'est jamais fait leurrer par ce qu'il y a d'imposture dans un palmarès, ce qui n'est peut-être pas le cas du serial winner Guardiola, et qu'il voit constamment au-delà, comme un poète sait voir au-delà des mots et trouve ainsi leur plein sens.
picture

Guardiola : "Bielsa est la personne que j'admire le plus dans le monde du football"

L'humanité de Bielsa est palpable, et parvient même à transcender la barrière du langage. Il n'inspire pas que le respect et l'admiration. Il inspire un authentique amour. Allez plutôt demander aux supporters de Leeds, comme vous pourriez le demander à ceux de l'OM ou de l'Athletic. Regardez-les fondre devant leur Marcelo adoré, qui n'a pourtant jamais seulement suggéré qu'on lui dresse des autels ou qu'on lui tresse des lauriers. Autant l'avouer de suite si vous ne l'avez pas deviné : moi aussi suis de ces amoureux, et comprends mal comment, aimant le football, on peut ne pas aimer Bielsa, ce pur d'entre les purs qui, à la différence de bien des purs aveuglés par leur pureté, n'a jamais fait de mal à personne.

"Je ne suis pas le mentor de Guardiola"

Bielsa admire Guardiola. Ecoutez-le. "Ses équipes ne jouent comme aucune autre équipe ne joue". "D'abord, il est imaginatif. Il est capable de trouver des solutions aux problèmes qu'il rencontre, et de les mettre aussitôt en pratique". "Guardiola imagine le football en termes de liberté". "Je ne suis pas le mentor de Guardiola. S'il est un manager qui est indépendant dans ses idées, c'est Guardiola".
Guardiola, qui, lorsqu'il était au Bayern, assommait Javi Martinez de questions sur son ancien manager de l'Athletic, admire Bielsa. "Marcelo est en haut de la liste. Absolument, tout en haut de la liste". "Il est unique dans le football mondial. Il est quelqu'un d'incroyable, [un homme] à part". "A la fin de votre vie, ce n'est pas des titres dont vous vous souvenez, mais des expériences que vous avez vécues".
picture

4e j. - Bielsa : "Pas un mentor pour Guardiola"

Nous sommes au-delà de l'admiration, en fait, au-delà du respect. Nous sommes les témoins d'une affinité presque inexplicable, dont la source est une passion pour le jeu qui défie la compréhension, mais qui, au plus profond de nos enfances et de nos rêves, est également celle qui nous habite tous et toutes. Ce samedi, Bielsa aura rendez-vous avec Guardiola. Nous aurons aussi tous rendez-vous avec nous-mêmes, avec ce que notre amour pour le ballon a de plus essentiel, et de meilleur. Ne nous loupons pas.
(*) Un terme particulièrement mouvementé, et à beaucoup d'égards indigne du grand joueur qu'il avait été pour le Barça. Après un séjour controversé en Italie, où il joua pour Brescia et la Roma et fut suspendu pour dopage à la nandrolone, il prit le chemin d'Al-Ahli, au Qatar, et finit sa carrière à Dorados de Sinaloa, au Mexique, où son manager n'était autre que son adjoint actuel, Juanma Lillo.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité