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Avant Burnley - Tottenham : Harry Kane, génie exceptionnel... et anonyme

Philippe Auclair

Mis à jour 23/02/2022 à 16:30 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Harry Kane n'a pas seulement inscrit le but de la victoire au bout du temps additionnel, samedi chez Manchester City (2-3). Il a aussi fait parler sa science de la passe et son sens rare du jeu, comme le souligne notre chroniqueur Philippe Auclair. Un retour au firmament bienvenu, après un début de saison compliqué pour l'international anglais.

Harry Kane (Tottenham) a marqué face à Manchester City (2-3), le 19 février 2022. / Premier League

Crédit: Getty Images

Il faudrait peut-être repenser par ce qu'on entend par "passe décisive". Selon la définition habituelle, l'auteur de celle qui ouvrit le chemin du but à Dejan Kusulevski pour l'ouverture du score par Tottenham à l'Etihad, samedi dernier (2-3), était Heung-Min Son. Mais c'était bien la passe précédente, celle qui avait lancé le Coréen vers le but d'Ederson, qui avait emporté la décision.
Cette passe, Harry Kane l'avait exécutée en première intention, sans effort apparent, faisant face à son propre but, dix mètres à l'intérieur de son camp, ayant décroché de sa position en pointe pour offrir un meilleur angle de transmission à son arrière gauche. Il avait dévié le ballon - de 120 degrés, et derrière lui, exactement l'angle qu'un géomètre aurait préconisé - avec juste ce qu'il fallait de force et d'effet pour qu'il se place dans la course de Son au point d'intersection idéal entre la trajectoire de la balle, décrivant un arc délicieux sur la pelouse détrempée, et celle du joueur lancé à pleine vitesse vers le but de Manchester City.
Seul un joueur ayant une appréhension hors du commun de l'espace pouvait concevoir une telle passe. Un demi-mètre plus près ou plus loin, une fraction de seconde plus tôt ou plus tard, et la brèche éphémère dans le dispositif de City aurait été comblée. Mais cette passe, Kane sut l'imaginer et l'exécuter, à la perfection.
Une passe comme celle-là, seul Harry Kane est capable de la réussir
C'était un de ces moments, bien plus que le but de Kusulevski, qui suscitent deux types de réaction, et deux seulement : un silence ébahi, ou un cri inarticulé, un de ces moments qui font comprendre que certains joueurs ont une autre perception du temps que la nôtre. Pour eux, ce temps peut se ralentir, se distendre comme s'ils en étaient les maîtres. Le miracle est qu'en accomplissant le geste qui, à l'instant "T", est la seule solution à un problème dont les autres ignoraient l'existence, ils nous donnent l'illusion que leur rapport au football est aussi le nôtre. Ce qu'on ne pouvait concevoir se présente comme une évidence.
Le commentateur-maison de la chaîne de Manchester City en oublia son devoir d'allégeance. "Une passe comme celle-là, seul Harry Kane est capable de la réussir", dit-il, ce qui, venant d'un supporter du club de Kevin de Bruyne, était tout de même osé. Osé, mais pas faux. Cette passe brossée de l'intérieur du pied, à ras de terre, d'une trentaine de mètres, portait la griffe de l'attaquant de la machine à marquer qu'on n'a pas de mal à imaginer reculer d'un cran pour devenir un authentique numéro 10, si tant est que le football de 2022 ait encore une place pour ce genre de poètes.
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Manchester City - Tottenham

Crédit: Getty Images

Kane, cela dit, n'est ni Zidane, ni Dennis Bergkamp, ni Roberto Baggio. Il y a du génie en lui, mais il n'en est pas un pour autant, pas comme eux. Sa grandeur est ailleurs, dans la complétude de son registre, dans la justesse de ses choix, dans sa capacité de combiner les rôles en un tout harmonieux. Contre Manchester City le week-end dernier, il en donna sans doute la plus belle démonstration, au point que les supporters des Spurs se posaient cette question après la rencontre : quand avaient-ils vu un de leurs joueurs faire une telle démonstration pour la dernière fois ?

Une bouderie et un début de saison raté

Le Lucas Moura du triplé contre l'Ajax ? Non. Le Brésilien avait été la star d'un invraisemblable scénario, mais il n'avait pas survolé le match comme Kane l'avait fait contre les Citizens, dans tous les registres. Gareth Bale, alors, dans une autre fameuse soirée européenne, contre l'Inter, le 28 octobre 2010, le soir où il martyrisa le pauvre Maicon. La barre est placée très haut.
Le paradoxe est que le match-chef d'œuvre qu'il proposa contre Manchester City n'était pas au diapason de ce qu'on a vu de lui depuis le début de la saison. Mal, très mal conseillé par son frère agent Charlie, lequel s'imaginait pouvoir embobiner les dirigeants des Spurs, il s'enferma tout l'été dans une bouderie qui fut à deux doigts de lui coûter l'affection des supporters londoniens, et précipita le pire début de campagne de sa carrière, avec un seul but marqué lors de ses treize premiers matches de championnat.
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Tottenham and England striker Harry Kane in action against Chelsea.

Crédit: Getty Images

Le transfert qu'il appelait de ses vœux demeura lettre morte, une lettre adressée à Pep Guardiola dont il aurait dû comprendre plus vite qu'elle serait renvoyée à l'expéditeur après que Daniel Levy y aurait apposé son cachet. Kane était-il habité, samedi dernier, par le désir de montrer à l'entraîneur des Citizens ce qui lui avait échappé, et de lui rappeler qu'à 28 ans, il était encore temps de faire aboutir le transfert avorté ? En partie, sans doute. Mais il nous avait surtout rappelé, à nous tous, que, malgré 238 buts en 370 matches pour les Spurs, et 48 en 67 pour l'équipe d'Angleterre, nous ne l'estimions toujours pas à sa juste valeur.

Briller sans éblouir

Les raisons en sont multiples, de son apparence physique à son manque de charisme hors du terrain. C'est qu'il n'est ni le plus élégant des joueurs, ni le plus éloquent des capitaines. Il peut paraître un brin gauche, emprunté, ce qui est un comble quand on considère un bagage technique qui vaut bien celui de quelque autre numéro 9 de notre temps.
Mais rien en lui ne fait crier au génie, ou alors, si rarement. La pelouse ne devient pas une scène de théâtre quand il s'y produit : il est à la fois exceptionnel et anonyme, il brille sans éblouir. Sa normalité le dessert, quand bien même il n'y ait rien de "normal" dans ses statistiques ou dans son jeu. Et il n'a toujours pas remporté le moindre titre, que ce soit en club ou en sélection. Son Soulier d'or du Mondial de 2018 ? Pour un peu, certains diraient que la distinction avait été dévaluée par le fait que Kane l'eût reçue. En fait, certains l'ont dit.
Le vrai Kane est pourtant bien celui que l'on vit contre Manchester City, qui était éblouissant, celui-là. Génial, même, à sa drôle de façon, comme on finira bien par s'en rendre compte un jour, en espérant juste que ce ne soit pas trop tard pour lui.
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Harry Kane, héros de Tottenham face à Manchester City

Crédit: Getty Images

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