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Newcastle et "l'exigence d'honorabilité" : Comment la Premier League a accepté l'inacceptable

Philippe Auclair

Mis à jour 14/10/2021 à 15:55 GMT+2

PREMIER LEAGUE - Officiellement, le royaume d'Arabie Saoudite n'a rien à voir avec le Public Investment Fund, ou PIF, qui a récemment pris le contrôle sur le club de Newcastle. Vous avez le droit de le croire mais vous pouvez aussi en douter. Mais alors, comment la Premier League a-t-elle accepté de cette manière ce qu'elle avait refusé il y a un an et demi ? Eléments de réponse.

"Pour Newcastle, on sera plus sur un mercato Coutinho - Lingard que Salah ou De Bruyne"

Le Public Investment Fund, ou PIF, fond souverain du royaume d'Arabie Saoudite, président: SAR Mohammed ben Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, ou MBS, n'a donc rien à voir avec le royaume d'Arabie Saoudite, gouverné par le prince héritier SAR Mohammed ben Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, ou MBS.
Ce doit être vrai, puisque c'est la Premier League qui le dit.
Il est vrai que si ce n'était pas le cas, la Premier League aurait eu du mal à avaliser l'achat de Newcastle United par un consortium dont le PIF contrôle 80%, comme elle le fit ce 7 octobre. En effet, le royaume saoudien ne satisfait pas les "exigences d'honorabilité et de compétence" dont tout propriétaire d'un club de PL est contraint d'apporter la preuve. Dans son cas, au vu de leur sinistre bilan en termes de droits de l'homme - et de la femme -, cela aurait été impossible aux Saoudiens.
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Les fans de Newcastle célèbrent le changement d'ère

Crédit: Getty Images

Mais alors, comment donc, par quel tour de passe-passe une prise de contrôle qui avait été refusée par la Premier League il y a un an et demi est-elle devenue possible "avec effet immédiat" ?
Parce que le PIF, voyez-vous, n'a rien à voir avec le Royaume d'Arabie Saoudite et son prince héritier. Ce n'est donc qu'un hasard si les barbouzes saoudiennes qui enlevèrent, torturèrent, tuèrent et démembrèrent le journaliste Jamal Kashoggi à Istanbul en octobre 2018 avaient voyagé d'Arabie Saoudite en Turquie et, besogne faite, de Turquie en Arabie Saoudite, dans deux avions appartenant au PIF.

Complice, la Premier League ?

Si la Premier League le dit ! Et si la figure de proue du consortium Amanda Staveley, dont la firme PCP détient désormais 10% des parts de Newcastle United (*), assure que c'est bien le cas ! "La Premier League a reçu des assurances juridiquement contraignantes que le Royaume d'Arabie Saoudite ne contrôlera pas Newcastle United", lut-on dans le communiqué publié par la PL le 7 octobre.
Car si les Saoudiens le disent, comment ne pas les croire ?
Nous voilà donc dans une situation qui a quelque chose de - presque - comique. La PL sait que les "assurances"' de Staveley et de ses tout-puissants associés ne valent pas un penny. Staveley et les Saoudiens savent que la PL n'est pas dupe. Je sais que tu sais qu'il sait que tu sais, ad infinitum, mais "faisons comme si", car il ne s'agit que de cocher des cases, pas d'établir une vérité connue de tous, d'emblée. En fait, la PL est complice. Et un brin gênée, semble-t-il.
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Des supporters de Newcastle, jeudi 7 octobre 2021 devant St James' Park, à l'annonce du rachat de leur club

Crédit: Getty Images

Toutes les demandes d'explication qui lui ont été faites, par les journalistes comme par les associations de défense des droits de l'homme, sont demeurées jusqu'à présent sans réponse. Incroyablement, les dix-neuf autres actionnaires de la PL - puisque la PL est une SARL dont chaque club de l'élite possède une action, la FA en ayant la 21e - n'avaient été mis au courant de l'opération qu'une fois celle-ci conclue, sans jamais avoir été consultés (**).
L'implication du futur actionnaire majoritaire de Newcastle United dans des actes contraires aux plus élémentaires des droits humains, que ce soit en Arabie Saoudite ou au Yémen, où ses avions de chasse ont bombardé la population civile, n'était de toute façon pas l'obstacle sur lequel avait buté la première tentative d'achat de Newcastle par le même consortium en 2020. Cet obstacle était le piratage des images de la PL par le réseau beOUTQ en Arabie Saoudite, avec l'assentiment du régime de MBS.

Les fans aussi ont fait le choix de se mentir à eux-mêmes

Et maintenant que l'Arabie Saoudite s'est rabibochée - pour le moment - avec le Qatar, et que beIN Sport, détenteur légitime des droits du championnat d'Angleterre dans la région, peut à nouveau diffuser ses programmes sur le territoire saoudien, il n'y avait plus de raison pour que la PL refuse que le PIF acquière le club de Mike Ashley. Sauf ces maudits droits de l'homme, décidément bien gênants. Mais comme le PIF est indépendant du régime...
Dans cette drôle de pièce de théâtre, tous les personnages et tous les acteurs sont des Tartuffes, des Tartuffes qui sont pleinement conscients que leur hypocrisie et leurs mensonges ne trompent personne dans le public - à une exception : ces spectateurs qui veulent jouer le jeu, parce qu'il y va de leur intérêt de le faire, même si tout au fond d'eux-mêmes, ils ne sont pas dupes et savent qu'on se joue d'eux. Mais eux l'acceptent, eux seront les "idiots utiles" de l'entourloupe. Ces spectateurs, ce sont ces fans de Newcastle - pas tous, loin s'en faut - qui, si le PIF, Staveley et la PL mentent à tout le monde, ont fait le choix de se mentir à eux-mêmes.
Cela les conduit à des contorsions dont ils auraient été incapables il y a deux semaines. Le groupe qui représente la communauté LGBTQ+ affiliée à Newcastle United, United With Pride, s'est ainsi fendue d'un communiqué lunaire dans lequel on peut lire, entre autres, que "le fait que, dans cet investissement, [les Saoudiens] aient collaboré avec Amanda Staveley indique qu'ils sont influencés par notre culture de respect, d'égalité et de tolérance".
Pas un mot dans ce texte, par contre, de Mohammed Al Bokari, condamné à 10 mois de prison pour avoir "violé l'ordre et la morale publique" par un tribunal saoudien. Son crime ? Un tweet. "Tout le monde a des droits et devrait pouvoir les exercer librement, y compris les gens qui sont gay", avait-il osé écrire.

Tout le monde a décidé de mentir

Et c'est ainsi que fonctionne le sportswashing. Les fans - ceux qui se laissent ensorceler par la perspective de devenir "le club le plus riche du monde" - accomplissent cette étrange métamorphose par laquelle ils ne sont plus - seulement - fans de leur club, mais également de ses propriétaires. Désormais, parler de MBS comme d'un dictateur leur causera offense.
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Des supporters de Newcastle

Crédit: Getty Images

Tout journaliste de football qui osera questionner l'implication du régime saoudien deviendra la cible de campagnes orchestrées sur les réseaux sociaux, comme c'est depuis longtemps le cas pour quiconque fait de même pour le régime des Emirats Arabes Unis et est illico attaqué par les bataillons de défenseurs de Sheikh Mansour, le propriétaire - à tout le moins nominal - de Manchester City.
Certains ont déjà ajouté un drapeau saoudien à leur profil sur Twitter. D'autres s'étaient déguisés en Bédouins (croyaient-ils) pour aller fêter la prise de contrôle de Newcastle à Saint James Park. Ils ont franchi le seuil de cet univers dans lequel "fan" est bien le diminutif de "fanatique", et la mauvaise foi s'est muée en déraison.
On dit être entré dans l'âge de la "post-vérité". L'expression est trompeuse dans ce cas, car, ici, tout le monde connait la vérité. Mais tout le monde a aussi décidé de mentir.
(*) Les 10% restants sont la propriété du groupe RB Sports & Media des frères David et Simon Reuben, détenteurs de deux des plus grosses fortunes du Royaume-Uni, et qui n'ont pas pipé mot dans l'affaire. Les Reuben préfèrent faire fructifier leurs milliards dans l'ombre : leur dernière interview qu'ils aient accordée remonte à 2003.
(**) Cela les a d'ailleurs conduits à exiger que la PL organise une réunion d'urgence, comme The Guardian l'a révélé vendredi dernier.
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