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"Tu sais ce qu'il s'est passé à Arsenal cette saison ? On a fermé la bibliothèque !"

Philippe Auclair

Mis à jour 09/11/2021 à 14:35 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Arsenal est de retour parmi les équipes les plus excitantes du Royaume-Uni ces dernières semaines. Et, tout sauf une coïncidence, l'Emirates Stadium d'ordinaire réputé cathédrale sans âme, se mue en enceinte vibrante, comme nous le raconte notre consultant et spectateur privilégié, Philippe Auclair.

Les supporters d'Arsenal à l'Emirates Stadium, contre Norwich le 11 septembre dernier

Crédit: Getty Images

C'est Stewart qui parle, Stewart qui suit Arsenal depuis un demi-siècle. Et c'est vrai que l'Emirates a changé. J'y suis allé à huit reprises cette saison, et je n'ai pas encore entendu les supporters adverses y entonner le célèbre 'shall we sing a song for you?' une seule fois. Ils n'auraient eu aucune raison de le faire. L'Emirates, accrochez-vous, est des plus bruyants en 2021-22.
Même contre Crystal Palace, à la mi-octobre, quand ce n'est que par miracle que les Gunners sont parvenus à prendre un point (immérité, d'ailleurs), jamais le stade réputé le plus froid d'Angleterre n'a perdu la voix qu'il s'était trouvée au sortir de la pandémie. Les rares huées qui ont parfois parcouru ses tribunes depuis étaient réservées aux arbitres ou aux joueurs adverses, pas à Mikel Arteta et à son équipe. Le reste du temps, et presque sans relâche, on a entendu cette chose qu'on n'avait jamais associée auparavant à une arène qui, quinze ans après, n'est toujours pas parvenue à gagner un pouce du terrain qu'occupait Highbury dans le coeur des fans : du bruit. Des chants. De la ferveur.
Au début, les habitués - les seuls à avoir aussitôt pris conscience que les choses n'étaient plus tout à fait comme avant - avaient mis cela sur le compte du retour du public dans les stades après le long hiatus occasionné par la Covid. Ce qu'on hurlait, ce qu'on chantait, à l'Emirates comme partout ailleurs, c'était sa joie d'en avoir fini avec le confinement et ses frustrations. Passé quelques matches, lorsqu'aller au stade serait redevenu une habitude, les choses reprendraient leur cours normal, et le home des Gunners redeviendrait le lieu si tranquille d'antan, le théâtre où l'on applaudit du bout des doigts, la fameuse 'bibliothèque'. Et bien non.
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Emirates Stadium

Crédit: Getty Images

Ces mêmes habitués, dont je suis, vous diront que ce surnom n'était de toute façon pas totalement mérité. Il arrivait que l'Emirates s'embrasât. Je n'oublierai jamais le quadruple fortissimo qui fit trembler le stade, et sans doute le quartier de Highbury and Islington tout entier avec lui, quand Andreï Archavin marqua le but du 2-1 contre le meilleur Barça de Guardiola, celui de 2011. Je n'ai jamais rien entendu qui ressemblât à cette explosion dans quelque autre stade que ce soit, en Angleterre ou ailleurs.
Mais ce public était aussi capricieux, volontiers râleur, gavé et gâté par le caviar qu'on lui avait servi durant la première décennie du règne de Wenger. Un règne dont il avait empoisonné les dernières années au point de devenir l'une des causes du malaise du club, plus qu'un de ses symptômes. Très vite, il s'était retourné contre Unai Emery. S'il lui arrivait de se réveiller, le reste du temps, il choisissait de se cloisonner dans un presque silence, guère aidé, il est vrai, par l'architecture d'une arène d'où le bruit s'évapore aussi rapidement que de l'eau versée sur une plaque de métal chauffée au rouge (*).
L'Emirates n'était pas si différent de beaucoup d'autres stades anglais en la matière, cela dit. Stamford Bridge, Old Trafford et, contrairement à une légende tenace, Anfield, n'ont rien de chaudrons la plupart du temps. Visitez-les lorsque l'invité du jour est, disons, Watford ou Crystal Palace, et que les choses se passent plus ou moins comme attendu, et vous serez peut-être surpris par la placidité des gens présents. Et ne parlons pas de l'Etihad. Mais telle était et est toujours la (mauvaise) réputation du home des Gunners. Une 'bibliothèque', vous dit-on.

Le début d'un nouveau chapitre ?

Pourquoi donc a-t-elle fermé ses portes ? Certaines des raisons sont conjoncturelles, et liées à la pandémie et à son impact. Le Royaume-Uni est demeuré isolé du reste du monde plus longtemps que quelque autre partie de l'Europe, en raison des réglementations draconiennes auxquelles étaient assujettis les visiteurs étrangers pour entrer sur le territoire britannique. La Premier League est bien connue pour attirer les football tourists en masse (environ 1,5 million par saison avant le COVID, selon une enquête de VisitBritain), au point qu'ils sont devenus une cible de choix pour les responsables du marketing de ses clubs.
Arsenal, avec sa tradition, son 'cachet' (en anglais dans le texte), si facile d'accès, si sûr, confortable, si proche du cœur de la capitale, était l'une des destinations de choix de ces touristes du ballon. Quelques-uns d'entre eux sont revenus depuis la levée des mesures de contrôle les plus rigoureuses, début octobre; mais en nombre si faible que leurs voix - ou leur silence - ne se font plus remarquer. Ceux et celles qui ont pris leurs places sont, pour la plupart, des Londoniens, des fans qui peinaient à trouver des billets autrefois et ne vont pas cracher dans la soupe maintenant qu'on la leur sert enfin. Ils sont heureux d'être là, et entendent le faire savoir. Les revendeurs à la sauvette qu'on voyait les jours de match du côté d'Avenell Road et de Holloway ont eux aussi disparu. Pour le moment. Quant aux râleurs professionnels qui pourrissaient l'ambiance de l'Emirates et faisaient la queue pour être interviewés par Arsenal Fans TV, ceux-là sont semble-t-il partis pour de bon. On ne les regrettera pas.
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Aaron Ramsdale, Gabriel Martinelli, Takehiro Tomiyasu and Sambi celebrate Arsenal's equaliser

Crédit: Getty Images

Si les chiffres officiels ne sont pas encore disponibles - et si je ne parle ici que du point de vue d'un season-ticket holder qui connait de vue ou de nom quasiment tous les autres abonnés cinquante places à la ronde, et a évoqué le sujet avec d'autres season-ticket holders assis ailleurs dans le stade -, il semblerait qu'il y ait eu un profond renouvellement du public d'habitués, qui a considérablement rajeuni. Contrairement à un autre mythe qui a la vie dure, le prix des places proposées à l'Emirates n'est pas aussi prohibitif qu'on le dit et qu'on continue de le répéter (**). Il en coûtait l'équivalent de 23€ pour assister, et d'une place plus que convenable, au huitième de finale des Gunners contre Leeds en League Cup; et de 45€ pour leur troisième victoire consécutive en PL, dimanche dernier contre Watford. Ce n'est pas donné. Ce n'est pas exorbitant non plus. Ce n'est en tout cas pas un obstacle aussi insurmontable qu'on le dit.
Renouvellement, rajeunissement, deux mots qu'on pourrait aussi appliquer à ce que Mikel Arteta tâche de mettre en pratique, et dans lequel ce public qui change se reconnait. Les problèmes systémiques du club, souvent évoqués dans cette chronique, n'ont jamais été le fait du jeune manager espagnol, mais de sa hiérarchie, qui aura au moins eu le mérite de le soutenir généreusement lors du dernier marché des transferts - et avec raison, au vu de la façon dont Sambi Lokonga, Nuno Tavares, Takehiro Tomiyasu (désormais 'Super Tom' pour le public de l'Emirates), Ben White et, surtout, Aaron Ramsdale ont aussitôt trouvé leurs marques dans le squad le plus jeune du Top 10 de la PL.

Le 12e homme s'éclate

Ce que l'on sent aujourd'hui à l'Emirates, ce qu'Arteta et ses joueurs n'ont cessé de souligner dans leurs interviews depuis le début de la présente campagne (sans que les médias britanniques y prêtent attention), est quelque chose qui ressemble à une communion entre des joueurs qui prennent plaisir à être et jouer ensemble, et en font preuve par leur combativité et leur solidarité, et un public qui prend plaisir à ce plaisir; qui, en fait, n'attendait que cela, depuis si longtemps. Du plaisir, oui, enfin. De l'émotion. De l'espoir. Ne plus aller au stade l'estomac noué par la crainte, mais des papillons dans le coeur.
Cette équipe est imparfaite. Il lui arrivera de trébucher. Elle ne sait toujours pas comment maîtriser ses fins de match. Mais à aucun moment son public ne s'est retourné contre ses joueurs ou son manager comme ce fut hélas, le cas pour Granit Xhaka et Unai Emery en d'autres temps, pas même lorsque les trois premières rencontres de PL de cette saison se soldèrent par trois défaites, des vilaines avec ça. Lorsque Aubameyang vit son pénalty repoussé par Ben Foster ce dimanche, la réponse du North Stand fut de chanter le nom du capitaine des Gunners. Il n'en aurait pas toujours été ainsi.
Si Arsenal a repris des couleurs, ce n'est pas seulement à cause de l'explosion de Bukayo Saka et d'Emile Smith-Rowe, du retour de Thomas Partey ou des parades et du charisme d'Aaron Ramsdale. C'est aussi parce que, chaque fois qu'Arsenal jouera devant les siens, Arsenal sera porté par leurs voix.
La bibliothèque est fermée, voyez-vous.
(*) Et cela, comme j'en ai fait l'expérience, au point que les spectateurs du troisième niveau n'entendent quasiment rien des chants des supporters du premier, qui ne sont pourtant qu'à quelques dizaines de mètres d'eux.
(**) Cette perception découle en partie du fait que les abonnements d'Arsenal incluent aussi les matches de FA Cup et, quand cela est applicable, de compétitions européennes, pas seulement les 19 matches à domicile d'une saison de Premier League.
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