Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Premier League - Avant Tottenham-Arsenal : Martin Odegaard, l'artiste qui provoque les "Oh !"

Philippe Auclair

Mis à jour 27/04/2024 à 10:07 GMT+2

Auteur de deux passes décisives et d'un nouveau match de très, très haut niveau contre Chelsea mardi soir (5-0), Martin Odegaard n'en finit plus d'éblouir ses supporters et la Premier League, dans une saison qui est loin d'avoir rendu son verdict. Le Norvégien est un véritable artiste, dont notre consultant Philippe Auclair loue les productions dans sa chronique.

Martin Odegaard of Arsenal applauds after the Premier League match between Arsenal FC and Chelsea FC.

Crédit: Getty Images

L'art de commenter un match en direct est en partie de savoir quand parler en majuscules, et quand ponctuer son narratif de points d'exclamation; quand se taire, aussi. Mais il y a aussi des moments quand même le plus expérimenté des commentateurs ou des analystes ne peut plus se reposer sur des automatismes affinés de match en match. Et c'est ce qui est arrivé mardi soir à l'un des tout meilleurs dans ce rôle, Ally McCoist, à qui TNT Sports avait confié le soin de faire vivre la démolition de Chelsea à l'Emirates.
Une demi-douzaine de fois durant la rencontre, McCoist ne put qu'émettre un petit cri, un "Oh!", lui qui, d'ordinaire, a le don de trouver illico les mots justes pour partager son ressenti. C'est qu'il n'y avait rien d'autre à dire que "Oh!" et d'en rester là, la bouche ouverte pendant quelques secondes, histoire de se convaincre que ce qu'il avait vu n'était pas un mirage.
Chaque fois, Martin Ødegaard avait été la cause de ce mutisme temporaire. D'un mouvement des hanches et de deux caresses du ballon, il s'était extirpé d'un mouchoir de poche que lui disputaient trois joueurs en bleu prêts à lui mordre les chevilles. D'une passe fusant comme un galet ricochant sur la surface d'un lac, ou d'une louche dont la parabole parfaite pouvait faire croire qu'il savait dompter la gravité, il avait trouvé un partenaire qu'il n'avait pas le droit de voir d'un geste qu'il n'avait pas le droit d'imaginer.
A de tels moments, dire "Oh!" suffit. On n'applaudit pas un virtuose en plein milieu de son concerto. On attend le silence pour l'ovationner.
Les joueurs capables de nous époustoufler ne manquent pas en Premier League. Son compatriote Erling Haaland, par exemple, auquel il ressemble autant que Gilberto Silva pouvait ressembler à Hulk. Les joueurs capables de nous surprendre sont, eux, bien plus rares. Une mine dans la lucarne, un ciseau retourné frappé à la perfection nous font nous dresser de nos sièges, mais nous surprennent-ils pour autant ?
Non. Notre réponse est "Wow!", pas le "Oh!" de McCoist. Or l'art d'Ødegaard est un art de la surprise, la surprise étant qu'il donne à un geste incompréhensible pour le commun des mortels l'apparence d'une évidence. Il nous faut un instant qui semble distordre le temps dans sa fugacité pour nous dire : mais évidemment, c'était la bonne solution. Mais évidemment, cette passe-là était le choix qui s'imposait. Sauf que cette passe, lui seul l'avait vue; et que presque personne d'autre n'aurait su l'exécuter.
picture

Pourquoi, cette fois, Arsenal devrait lutter jusqu'au bout pour le titre

Comme Bergkamp...

Comme Dennis Bergkamp, tout autant qu'un artiste, il est un géomètre capable de calculer en une fraction de seconde des angles improbables qui n'acquièrent de sens qu'après coup, et qu'il sait pourtant anticiper. Comme Dennis Bergkamp, il est un manipulateur de l'espace-temps que seule une poignée de joueurs peuvent explorer, et pour lequel il n'est pas de carte qu'on puisse apprendre par coeur dans les écoles de football. L'évidence inattendue de ses choix a un équivalent musical : c'est le changement d'accord que personne n'avait vu venir, mais qui, délicieusement, prend notre attente à contre-pied. C'est une forme de vérité du jeu à laquelle on n'accède que le temps d'un éblouissement.
Comme si cela ne suffisait pas, Ødegaard abat aussi davantage de travail que quelque autre de ses coéquipiers - même l'admirable Declan Rice. Il est Nijinsky, il est Stakhanov. C'est lui qui a le doigt sur la gâchette pour déclencher le pressing des Gunners, du coup d'envoi au coup de sifflet final. C'est lui qu'on voit encore s'exténuer dans les dernières secondes d'un match plié depuis longtemps et qui, immanquablement, ira applaudir ses supporters aux quatre coins du terrain alors que les tribunes sont en train de se vider.
En cela, ce n'est pas que le souvenir ému de Dennis Bergkamp qu'il évoque dans l'esprit des fans d'Arsenal, c'est aussi celui de Cesc Fabregas, promu capitaine des Gunners à l'âge de 21 ans, quand Ødegaard reçut le brassard alors qu'il en avait 23. Dans l'un comme dans l'autre cas, ce n'est que lorsque son entraîneur lui fit confiance pour devenir un leader que le joueur s'épanouit pleinement. Cesc marqua 19 buts lors de sa première saison de capitanat, contre trois la saison précédente (il est vrai en partie gâchée par une blessure) et Ødegaard 15, contre sept un an plus tôt, alors que son temps de jeu n'avait augmenté que d'un dixième. Il en est à onze aujourd'hui. Il y a des chiffres qui ne trompent pas, ce qui ne les empêche pas d'être trompeurs sur un autre plan : ils en disent moins sur ce qu'est devenu Ødegaard que le "Oh!" de McCoist.
Le récital contre Chelsea n'était pas le premier qu'il avait offert cette saison. L'identité de l'adversaire, le contexte du match, l'ampleur du score - et le fait qu'aucun autre match de Premier League n'était au programme ce soir-là - firent qu'on y prêta davantage attention. Il a pris l'habitude d'être choisi comme Player of the Match, en Angleterre comme en Europe (l'homme du match du 2-2 contre le Bayern, c'était lui). C'est quand l'extraordinaire devient ordinaire que les footballeurs d'exception se distinguent des autres. Il est de ceux-là aujourd'hui.
picture

Martin Odegaard

Crédit: Getty Images

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Plus de détails
Publicité
Publicité