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Premier League - Liverpool - Jürgen Klopp, le plus extraordinaire des hommes ordinaires

Philippe Auclair

Mis à jour 31/01/2024 à 18:49 GMT+1

Jürgen Klopp a annoncé qu'il quittera Liverpool en fin de saison, après neuf ans de (très) bons et loyaux services. Au-delà de l'aspect purement sportif - l'entraîneur allemand a ramené les Reds sur les toits de l'Angleterre et de l'Europe -, l'ancien coach de Mayence laissera la trace d'un homme si ordinaire... et si extraordinaire, comme l'explique notre chroniqueur Philippe Auclair.

Pourquoi Klopp quitte Liverpool : "Annoncer son départ cinq mois avant l'échéance, ça interroge"

Voilà quelques années de cela, mon collègue de France Football Thierry Marchand et moi-même nous étions donnés pour mission de concocter un dossier sur la 'face cachée' de Jürgen Klopp, une tâche plus ingrate qu'il y parait; car nous avions beau chercher, nous avions beau poser question sur question à des personnes qui l'avaient cotoyé, nous ne trouvions rien que d'ordinaire, rien qui n'aie déjà été publié et re-publié et qui nous permette d'en savoir vraiment plus sur l'entraîneur le plus charismatique de sa génération. Comme nous n'avions aucun désir de colporter des ragots sur sa vie privée - de toute façon, même les torchons du groupe Springer, qui valent bien le Sun, n'avaient jamais rien trouvé sur le sujet qui puisse titiller leurs lecteurs -, nous semblions devoir nous en tenir à faire découvrir aux nôtres ce qu'on avait dit de lui en Allemagne.
Ce dont nous ne rendions pas compte - à tout le moins dans un premier temps - est que le vrai sujet était là. Jürgen Klopp était un homme ordinaire. Un homme ordinaire qui faisait des choses extraordinaires, s'entend, sur le terrain, mais pas seulement. Les exemples en sont légion. Un ami allemand, qui connait Klopp depuis qu'il jouait pour Mainz 05, m'a raconté comment, ayant appris qu'un de ses amis, un musicien fan de Liverpool, se remettait plutôt mal que bien d'une grave opération, il en toucha un mot au manager. Un jour plus tard, le convalescent recevait un message vidéo de ce dernier, qui le fit fondre en larmes.
Des messages comme celui-là, Klopp en a envoyé des dizaines, sans se faire prier, sans en parler publiquement, sans en rajouter. Beaucoup d'histoires comme celle-là ont fait surface depuis jeudi dernier, quand Liverpool entama un deuil qui va durer quatre mois. C'est comme si chacun ou presque avait la sienne. Mais, au bout du compte, Klopp demeure un homme ordinaire, un être de chair et de sang qui ne présentait ni l'une ni l'autre de deux caractéristiques parmi les plus communes chez ceux qui pratiquent son métier : l'égocentrisme et la paranoïa.
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Jürgen Klopp

Crédit: Getty Images

L'art de convaincre

Klopp, c'était l'inverse. Klopp pouvait se lire comme un livre ouvert, même si certains aspects de sa vie privée demeureraient jalousement gardés - sa foi chrétienne, par exemple, qu'il assume sans jamais la mettre en avant, même si elle guide sa vie et l'exercice de son métier (*). Attention: cela ne l'empêchait d'avoir un côté calculé, voire un tantinet manipulateur, notamment dans ses rapports avec les médias. J'en avais eu souvent la preuve moi-même, quand je le croisais régulièrement dans les zones de flash interviews à l'issue des matches de Premier League.
Arrivant au bout de la queue, je pouvais l'entendre répondre aux questions de mes confrères anglophones d'autres diffuseurs avant que je puisse poser les miennes; et quelles que soient ces questions, les réponses étaient toujours les mêmes, parfois aux mots et à l'éclat de rire près. Ces réponses étaient cela dit franches, et l'éclat de rire n'était pas - trop - forcé. Il entendait contrôler le narratif, mais il n'allait pas mentir pour cela. S'il parlait les yeux dans les yeux, il ne cherchait pas à intimider pour autant, car son but n'était pas d'embrouiller ou de faire peur, mais de convaincre, un art dans lequel il était passé maître. A notre modeste échelle, ce que nous vivions, nous autres journalistes, était le reflet de ce que devaient vivre ses joueurs dans le vestiaire.
Il lui arrivait de perdre son sang-froid, comme cela arrive à tout mauvais perdant. Quelques confrères (et au moins un interprète) en firent les frais au fil des ans; mais Klopp savait quand il avait dépassé les bornes. Ayant retrouvé son calme, il s'excusait de son débordement, parfois même en public. De la même façon, Ilkay Gundogan a raconté comment, après avoir reçu une monumentale engueulade de Klopp pour s'être présenté souffrant d'un problème musculaire à l'entraînement du Borussia Dortmund, son manager l'avait pris à part un peu plus tard pour lui dire: "Mon ami, tu sais pourquoi j'étais si furieux? Je tiens à toi, c'est tout. Et je ne veux pas que tu te blesses".
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Jürgen Klopp

Crédit: AFP

Je ne sais pas ce qu'est une vie normale
Presque tous les nuages passaient vite dans le ciel de Jürgen Klopp. Tous, sauf un, qui l'obscurcissait de plus en plus. “Je ne veux pas attendre d'être trop vieux pour avoir une vie normale", dit-il lors de son point-presse avant la victoire 5-2 de ses Reds sur Norwich en FA Cup ce week-end. "Je ne sais pas ce que c'est qu'une vie normale. Je dois le découvrir". Cette déclaration poignante, combien d'autres managers de son calibre (il est vrai que ceux-là ne sont pas légion) auraient pu la faire?
C'est un sentiment étrange que fait naître la rédaction d'une chronique sur Jürgen Klopp à l'imparfait. Il n'a que 56 ans. Il lui reste quatre titres à gagner cette saison. On a beau avoir pleuré à Liverpool, où il est vrai qu'on pleure un peu plus facilement qu'ailleurs en Angleterre, on ne parle pas d'une tragédie, mais d'un aboutissement, aux deux sens du terme. Ce qu'il a accompli pour son club, sa ville, son pays d'adoption, seul Bill Shankly l'a accompli avant lui avec les Reds; et la route qu'il prit en 2015 est parvenue à son terme. Son coeur le lui a dit, et Klopp est rarement sourd à ses appels.
En prenant son temps pour dire adieu, il partage un secret qui, c'est sûr, aurait fini par filtrer sans son aval : cela faisait deux mois que ses associés les plus proches à Liverpool étaient au courant de sa décision. En d'autres circonstances, annoncer si tôt son départ aurait pu déséquilibrer son équipe et son club. Mais Jürgen Klopp n'est pas le Claudio Ranieri de 2003-04, le 'mort qui marche' dont tout le monde, lui compris, savait que José Mourinho prendrait bientôt sa place. Il n'a pas fait qu'atténuer le choc. Il a donné à ses dirigeants le temps nécessaire pour identifier son successeur. Il a donné à ses joueurs et à ses fans une motivation supplémentaire pour finir cette saison en beauté. Il a donné, comme d'habitude, jouant "collectif" jusqu'au bout quand bien même c'est pour son propre bien-être, et celui de ses proches, qu'il a fait le choix de s'en aller. Il n'est qu'un homme, après tout.
(*) Ce en quoi Klopp a un alter ego dans le monde du management en Angleterre: David Moyes, l'entraîneur de West Ham.
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