Marcus Rashford, celui que Gareth Southgate a préféré laisser de côté pour l'Euro

Marcus Rashford fait toujours partie de l'équipe d'Angleterre. Le problème est que c'est seulement dans les publicités de Marks & Spencer pour leur gamme de vêtements inspirés par l'Euro 2024.

Le joueur, lui, suivra le tournoi à distance, après son omission du groupe de trente-trois présélectionnés annoncé par Gareth Southgate ce 21 mai. Ivan Toney, suspendu huit mois pour avoir placé 232 paris sur des matches de football (dont certains impliquaient son club, Brentford), est des heureux élus.

Ivan Toney, 28 ans, deux sélections, zéro but en plus de mille minutes de jeu en Premier League depuis le 17 février, a été préféré à Marcus Rashford, 26 ans, dix-sept buts et soixante sélections à son actif, et probablement titulaire pour Manchester United face à Manchester City en finale de FA Cup cette après-midi.

Marcus Rashford, qui avait participé à tous les matches de qualification des Three Lions pour l'Euro à venir, sauf les deux premiers - quand il était blessé -, qui était titulaire lors d'un 3-1 crucial contre l'Italie disputé en octobre dernier à Wembley, et avait d'ailleurs marqué le but qui avait permis aux Anglais de prendre l'avantage dans cette rencontre.

La mise à l'écart de Rashford (*) n'a rien à voir avec sa condition physique actuelle. Il n'a pas non plus demandé d'être laissé de côté par son sélectionneur, comme Ben White le fit il y a quelques mois. Il n'a jamais démérité, bien au contraire, quand il a endossé le maillot de sa sélection.

En 2021-22, au sortir d'une autre saison pourrie avec Manchester United - cinq buts en trente-deux matches pour les Red Devils -, oublié par Southgate lors de la préparation de l'Angleterre pour la Coupe du Monde, il avait répondu présent au jour J, au point de finir meilleur buteur de la sélection lors du tournoi, devant Harry Kane, à égalité avec Bukayo Saka, mais en ayant marqué ses trois buts au rythme d'un toutes les 46 minutes passées sur la pelouse (*).

Tout cela, c'était hier. Rien du tout, ou une éternité, c'est selon. Marcus Rashford ne sera pas en Allemagne, quand Ivan Toney y sera peut-être.

Gareth Southgate a pourtant la réputation de ranger la loyauté au premier rang des qualités qu'il recherche en ses joueurs, et de pratiquer ce qu'il prêche quand il s'agit de faire ses choix. Peu d'autres sélectionneurs auraient montré autant de confiance en Jordan Henderson qu'il le fit si longtemps, quand il était évident que le milieu de terrain parti collectionner les riyals en Arabie Saoudite n'avait plus sa place à ce niveau. Henderson faisait néanmoins partie du groupe qui disputa les éliminatoires de l'Euro.

"Pour ce qui est de Marcus, j'ai juste le sentiment que d'autres joueurs qui jouent dans la même partie du terrain ont eu de meilleures saisons, c'est aussi simple que cela", dit Southgate en guise d'explication. Cela valait certainement pour Ollie Watkins et Jarrod Bowen, qui excellèrent avec Aston Villa et West Ham, ou Eberechi Eze, souvent éblouissant avec Crystal Palace. Mais Ivan Toney, vraiment ? Et quid de Dominic Solanke, champion du monde des U20 avec l'Angleterre en 2017, exceptionnel avec Bournemouth, quatrième meilleur buteur de la Premier League en 2023-24, lui aussi laissé au bercail pour cet Euro ?

Ce n'est un secret pour personne que Rashford vit des moments particulièrement difficiles avec son club, et précisément parce qu'il s'agit de "son" club, auquel il est lié depuis sa petite enfance. Ce n'est pas la première fois non plus.

Du temps d'Alex Ferguson, Manchester United était un espace dans lequel des footballeurs pouvaient, non pas "franchir un palier", mais entrer dans une autre dimension. Cela avait été le cas pour Roy Keane, Eric Cantona, Andrei Kanchelskis, David Beckham et Cristiano Ronaldo.

Aujourd'hui, le même club est devenu un étouffoir de talents, une machine à briser les espoirs, et cela se vérifie avec Rashford, qui devrait être l'avenir de Manchester United, mais dont l'avenir personnel doit être ailleurs, ne serait-ce que pour prendre ses distances d'avec ceux qui le poursuivent de leurs insultes et ne cesseront jamais de le faire; et prendre ses distances d'avec des médias qui l'ont pris pour cible depuis qu'il osa défier le gouvernement conservateur et le força à faire marche arrière sur le service de repas gratuits aux enfants défavorisés dans les écoles. S'il y a bien une chose qu'on ne pardonne pas dans ces médias-là, ce n'est pas de s'être trompé, mais d'avoir eu raison.

Southgate aurait pu ignorer cela, comme il l'avait fait en 2022, et en avait été récompensé. Il a préféré trancher dans le vif. Quelques-uns y ont vu la confirmation que le manager loué pour sa capacité à fédérer les personnalités les plus diverses autour du projet "Angleterre" était aussi capable de faire mal pour faire du bien.

Cela, c'est la théorie. La pratique, c'est que l'Angleterre, logiquement favorite d'une compétition qu'elle fut tout près de gagner il y a trois ans, s'est privée d'un joueur qui l'avait superbement servie jusque-là, et dont presque aucun autre pays choisirait de se priver. Gareth Southgate n'a rien d'un parieur, et nous en avons une nouvelle preuve aujourd'hui; car le pari n'était pas d'ignorer Rashford, mais de l'accueillir à nouveau.

(*) Rashford s'est gardé de mettre de l'huile sur le feu, en souhaitant "bonne chance" à ses anciens coéquipiers sur les réseaux sociaux.

(*) Le bilan de Rashford lors des premiers mois de la saison 2022-23 pour Manchester United n'était pas faramineux non plus : quatre buts en treize matches au jour de l'annonce du groupe retenu par Southgate pour le tournoi au Qatar.