Domestiquer la puissance

Dans un entretien exceptionnel qu'il nous a accordé à Viry-Châtillon, Bernard Dudot (Renault) nous explique les caractéristiques essentielles d'un bon moteur de F1, loin de se résumer à une puissance maximale ! Tout est en effet question d'utilisation.

Eurosport

Crédit: Eurosport

Tout d'abord, quel est votre rôle ?
Bernard Dudot : Je suis le directeur général adjoint de Viry-Châtillon. Flavio Briatore est directeur général et couvre les entités d'Enstone et Viry. J'ai travaillé ici 30 ans dont 20 comme directeur technique. Le site comprend environ 250 personnes, dont une soixantaine d'ingénieurs. Nous faisons tout le moteur, hormis la fabrication : étude, conception, montage et démontage, mise au point... Et l'exploitation en piste.
Entre le retrait de Renault (fin 1997) et votre retour (avril 2003), vous avez travaillé pour Prost et conçu le moteur Nissan d'IRL. Que vous ont apporté ces expériences ?
B.D. : Dans les années 80, j'étais directeur technique moteur et châssis de Renault Sport. Nous étions alors en apprentissage sur un projet nouveau et très difficile car nous étions la première équipe à intégrer complètement un moteur turbo. Réintégrer une fonction de directeur technique châssis chez Prost m'a permis de réactualiser mes connaissances. En trois ans, une F1 moderne est complètement remise en cause, appartient pratiquement une autre génération. Ce fût une bonne base pour revenir, pour mieux comprendre l'apport du moteur, notamment l'aide de conduite d'une F1 moderne.
Et votre passage chez Nissan, aux USA ?
B.D. : J'y ai vu une autre forme de compétition, intéressante, très spectaculaire et très exigeante sur le plan moteur. Les voitures sont performantes, les moteurs intéressants : le carburant est différent -du méthanol-, les modalités de remplissage différentes... Et au plan de la fiabilité, 400 km à fond ou presque, et voire 800 km à Indianapolis, c'est un très bel exercice !
En 2004, le V10 Renault a beaucoup gagné en puissance... 55, 80 chevaux ?
B.D. : Le régime moteur est plus représentatif du gain : il a acquis 1200 t/min, en passant d'un régime moyen de 17.300 à 18.500 t/min. La puissance arrive proportionnellement au régime, c'est donc un accroissement très conséquent. Mais les chiffres n'expriment pas tout. Il faut parler de l'utilisation de la puissance. C'est à la limite trompeur de donner un point isolé de puissance maxi sur une courbe si vous ne donnez pas les conditions d'obtention de cette puissance et ce qu'elle signifie en terme de répartition par rapport au régime. Nous avons donc mis au point d'autres critères afin de qualifier, à partir de nos données de bancs, la performance potentielle sur un tour de Barcelone. Nous comparons toutes nos évolutions par rapport à ce critère, qui ne fait pas appel à une puissance maxi mais à la description de la courbe de puissance, et aux conditions extérieures.
Dans les années 90, vos V10 étaient réputés pour leur facilité d'utilisation. Le V10 à angle large délivrait sa puissance à des régimes bas. Comment était celui à 72° de 2004 ?
B.D. : Tout est lié au régime maxi, c'est-à-dire à vos capacités à faire tourner un moteur à haut régime, ce qui consiste à résoudre des problèmes de dynamique vilebrequin, de bielles, de tenue de pistons à hautes températures, etc... Ce sont des problèmes mécaniques à cerner les uns après les autres. Les progrès en puissance sont à l'image des gains en vitesse moteur. Notre RS24 était extrêmement coupleux, doté d'une très bonne disponibilité à basse vitesse. Vous avez pu le voir lors des départs.
C'était voulu ?
B.D. : Oui. Quand vous établissez le cahier des charges d'un moteur, vous définissez ce que vous souhaitez, partant du principe qu'il s'agit d'un compromis. Si vous voulez des chevaux à très basse vitesse, vous allez peut-être être obligés de faire des concessions à très haut régime...
Les départs étaient un atout de la R24. La boîte à 6 rapports y a pris une part active...
B.D. : La transmission a été étudiée par Enstone en fonction du cahier des charges moteur, qui pouvait se passer d'une boîte 7 car il avait une capacité à être utilisé sur une plage de régimes suffisamment large, avec cette absence de handicap procuré par les moteurs ayant une courbe de puissance très étroite, à haute puissance en régime maxi. C'est grâce -ou à cause- des caractéristiques moteur que nous avons pu assez correctement exploiter une boîte 6.
Le RS24 était un peu plus lourd mais vous en avez tiré parti !
B.D. : Il était un peu plus lourd que la concurrence, mais ce sera beaucoup moins le cas de celui de 2005. Sa conception était un peu ancienne, nous en avons pris les avantages et les inconvénients. Le fait d'avoir été un peu plus chargé à l'arrière nous a donné, pour une part, un avantage aux départs.
Vous vous êtes accommodés de 2e ou la 3e ligne, sachant vite pouvoir gagner des positions.
B.D. : C'est une ligne de conduite dictée par les circonstances sachant que notre moteur et la répartition des masses nous le permettaient. Si vous évaluez sur la durée d'une course la puissance nécessaire pour dépasser trois ou quatre fois, vous verrez que c'est peut-être très important.
Allez-vous continuer avec la boîte 6 ?
B.D. : Vous le verrez sur la prochaine voiture !
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité