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Renault - Daniel Ricciardo, des promesses à l'héritage

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 16/10/2020 à 11:57 GMT+2

SAISON 2020 - Daniel Ricciardo a fini par traduire par un podium au Nürburgring une relation arrivée à son apogée entre lui, sa machine et son équipe. Dommage que l'Australien et Renault aient mis un peu trop de temps pour y parvenir. Mais "Dan The Man" quittera bientôt une écurie en bien meilleure forme qu'elle ne l'était à son arrivée.

Daniel Ricciardo (Renault) au Grand Prix de l'Eifel 2020

Crédit: Getty Images

Lewis Hamilton avait confié dimanche espérer être un bon investissement pour Mercedes. Daniel Ricciardo aurait pu s'interroger pareillement à l'endroit de Renault. Au tarif de 52 millions sur deux ans - moins une ristourne consentie en période de Covid-19 -, et pas plus longtemps puisqu'il va partir chez McLaren, un podium était un minimum syndical. Après une saison et demie en jaune et noir il était temps de concrétiser.
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"Ricciardo, l’année dernière c’était poker face, cette année c'est un sourire d'épanoui"

L'Australien a apporté la récompense tant attendue en terminant le Grand Prix de l'Eifel derrière le sextuple champion du monde de Mercedes et Max Verstappen (Red Bull), dimanche. A 14"6 du Britannique, un débours plutôt flatteur offert par la voiture de sécurité, et une autre Mercedes à travers le retour au garage de Valtteri Bottas, en panne de batterie. Mais ne faisons pas la fine bouche.
Daniel Ricciardo a signé au Nürburgring la première performance significative du Losange depuis la troisième place de Nick Heidfeld à Sepang en 2011. Surtout, il est l'homme le mieux classé de la marque dans la hiérarchie des pilotes depuis Vitaly Petrov, troisième homme à Melbourne, en 2010, et troisième du Championnat du monde puisque le Grand Prix d'Australie était l'épreuve d'ouverture. Voilà le pilote de Perth n°4 mondial, ce qui a un sacré relief après 11 Grands Prix.
"Banana Dan" est donc le "meilleur des autres", le meilleur de l'autre Championnat où Lewis Hamilton, Valtteri Bottas et Max Verstappen sont dans une classe à part, pour leur talent et/ou leur matériel. Mais il demeure le plus bankable derrière Lewis Hamilton et Sebastian Vettel, qui "tournent" respectivement à 45 et 40 millions par an. Parce que ce champion de la bonne humeur avait profité d'une cote au firmament en 2018, suite à sa fabuleuse victoire à Monaco.

Le troisième pilote le mieux payé du plateau

Au 28e tour de cette bataille du rail, le MGU-K (récupérateur d'énergie au freinage) avait lâché sur sa Red Bull. La raison aurait commandé d'abandonner mais sur le sinueux tracé où il est possible de tenir une position plus qu'ailleurs, l'Australien avait suivi la décision de son équipe de continuer jusqu'à la destruction du moteur. Elle lui devait au moins de tenter ça, deux ans après avoir anéanti ses chances de victoire sur un changement de roues épouvantable.
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"Fini les gros roulages, les pilotes étaient contents de sortir de la prison du vendredi"

Disques arrières en surchauffe, "Honey badger" avait mis toute la capacité de freinage sur l'avant. Un enfer de 50 tours, sous la menace de Sebastian Vettel (Ferrari). "J'avais 25% de puissance en moins, une balance des freins sur l'avant pour éviter que les arrières chauffent et je devais lever beaucoup avant d'appuyer sur la pédale pour les économiser", avait-il expliqué. Pour aller au bout de l'exploit, il avait dû gagner le plus intelligemment possible. C’est-à-dire le plus lentement possible. "Il fallait rester calme, maintenir la position (en tête), sans tuer les pneus, sans tuer les freins, sans tuer le moteur", avait confirmé son boss, Christian Horner. Ricciardo était allé bien au-delà du pilotage et c'est tout ça que Renault venait d'acheter.
Dans ce temps de la désescalade financière, Renault avait décidé de faire de l'Aussie le troisième pilote le mieux payé du plateau. Un salaire de 26 millions par saison pouvait être considéré comme une pure folie si l'on n'avait pas vu la démonstration princière. Carlos Goshn l'avait assumée à l'occasion de l'une de ses dernières décisions avant sa destitution, et ça ne ressemblait pas au principe de budget raisonné de l'ex-Régie, qui avait fait tomber Ferrari dans les années 2000 avec un budget défiant toute concurrence. Mais le boss Cyril Abiteboul et le conseiller Alain Prost savaient une chose : acheter de l'expérience est le seul moyen d'accélérer le temps.

"Ils ne performaient jamais de façon régulière..."

Pour avoir démoli Sebastian Vettel lors de sa première année chez Red Bull en 2014, été le seul digne de comparaison avec Max Verstappen de 2016 à 2018, terminé deux fois troisième du Championnat du monde, "Dan The Man" était le chainon manquant à Enstone. Il accepta le déclassement sportif, le même assumé par Lewis Hamilton de McLaren à Mercedes. Sa mission ? Mettre le doigt là où ça fait mal, dégager des axes de progrès technique et opérationnel. Dans le but de s'aligner sur les standards de Red Bull.
Il fallait des moyens et Cyril Abiteboul était chargé de lui en procurer. A l'œuvre depuis le retour de Renault comme constructeur global en 2016, le patron d'Enstone y est parvenu en dotant le bureau technique de deux spécialistes reconnus cet hiver : Pat Fry à la direction technique et Dirk de Beers à l'aérodynamique. En à peine six moins, ce duo d'ex-McLaren et Ferrari a refait de la Q3 et des gros points une norme.
"Ça fait un petit moment que je sens qu'il y a beaucoup de potentiel chez Renault, mais ils ne performaient jamais de façon régulière, a écrit Ross Brawn, ex-directeur technique de Ferrari dans sa colonne post-Grand Prix, lundi sur formula1.com. Cependant, je dois reconnaitre qu'ils ont commencé à le faire cette saison, et que l'équipe est en pleine ascension. S'ils peuvent poursuivre sur cette lancée en 2022 sous le nom d'Alpine, ils peuvent revenir au sommet."
En fait, Renault a mis quatre années pour en arriver là et Daniel Ricciardo plus d'une pour décoller. Débarrassé de Verstappen, enfin promu pilote n°1, il a en effet livré une saison 2019 décousue pour ne pas dire décevante. On a bien vu qu'il appréciait sa nouvelle liberté et qu'il avait besoin de l'afficher sur son casque multicolore "Stop being them", un message à son ex-employeur qui lui imposait la dominante bleu nuit, entre autres contraintes. Peu à l'aise au volant de la RS19, il n'a pas souvent fait la différence par rapport au déclinant Nico Hülkenberg, le recordman des Grands Prix sans podium. Sa machine manquait un peu de tout mais on pensait qu'il était venu pour autre chose que 13 courses sans point et une quatrième place à Monza en guise de meilleur résultat.
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Pourquoi Toto Wolff ferme la porte à Verstappen


Ricciardo le sait alors : sa campagne 2020 se doit d'être meilleure. Elle devient surtout différente à cause de la crise sanitaire qui pousse Sebastian Vettel en dehors de Ferrari courant mai. Le début d'une réaction en chaine qui doit le conduire à la Scuderia, mais il ne correspond manifestement pas au profil de n°2 recherché, vu le recrutement de Carlos Sainz.
Il a manqué le coche mais un baquet est désormais vacant chez McLaren. Il a 30 ans et se sent stagner, la réflexion est inévitable. Avec peu d'éléments en pleine période de report ou d'annulation. Il ne roule pas, les progrès de Renault ne sont pas lisibles, et il a été assez déçu par les tests hivernaux. La RS20 est certes meilleure que la laborieuse RS19, mais elle ne s'est pas distinguée à Montmelo, circuit exigeant de forts appuis aérodynamiques. McLaren en pente ascendante, il saute sur l'occasion pour 10 millions d'euros. Une grosse décote, une surprise pour tous et une vexation pour Cyril Abiteboul. "Dans notre sport, et spécialement dans la situation extraordinaire actuelle, la confiance réciproque, l'unité et l'implication sont, plus que jamais, des valeurs essentielles dans le travail d'équipe", lui répond le directeur d'équipe, par communiqué interposé.

Trahison et rivalité

Mercenaire au mieux, traite au pire, Ricciardo promet de tout donner pendant cette année - demie en fait - à passer encore ensemble. Mais ce ne sont pas des paroles juste pour faire passer la pilule, et il n'est pas surnommé "Honey badger" pour rien. Le "Blaireau", animal agressif qui s'attaque à plus fort que lui et ne lâche jamais sa proie.
Soudain, le vrai Dan que l'on ne pensait plus voir arriver prend toute sa dimension au fil des progrès et de ses sensation à bord de la RS20. Comme un leader est d'abord un bourreau, il devance régulièrement son ambitieux coéquipier, Esteban Ocon. Pas moins de dix fois en onze séances de qualification à ce jour. "J'aime détruire les autres", a-t-il récemment avoué. Il ne s'en prive pas et son capital le prouve : 78 points, c'est plus du double d'Ocon (36).

"Trop belle et trop facile à piloter"

Il roule presque toujours devant et y puise une force psychologique redoutable. Des avantages en nature aussi quand son équipe n'hésite pas à ordonner à Ocon de le laisser passer en Russie. Mais tout ça est la partie visible de l'iceberg, qui cache des qualités de technicien bien au-dessus de la moyenne. Qui se manifestent souvent le samedi entre le dernier entraînement et la qualification sur des changements de set-up décisifs. Depuis Silverstone, fin juillet, sa montée en puissance est manifeste et la notion de pari ou d'intuition n'y est pas pour rien. En regardant ses vidéos embarquées de 2019, il a réalisé que sa voiture était "trop belle et trop facile à piloter". Qu'il devait sortir de sa zone de confort pour évoluer beaucoup plus sur le fil du rasoir, suivant des réglages plus extrêmes, qu'il aurait autrement comme "effrayants" ; presque aberrant. Et puis, lors de ce fameux Grand Prix de Grande-Bretagne, il a découvert une palette de réglages permettant de nouvelles solutions sur un grand nombre de circuits.
Chez Red Bull, en 2014, Adrian Newey avait orienté le design de sa monoplace sur des appuis faibles. Ricciardo aimait ça autant que Vettel le détestait et ce simple fait avait expliqué le basculement du rapport de forces. Avec une Renault habile sur les circuits à moyenne et haute vitesse, il se régalait déjà cette année. Mais depuis le Grand Prix de Hongrie précédant le double week-end à Silverstone, Enstone est aussi parvenu à charger progressivement sa machine pour la rendre efficace sur des circuits réclamant de l'aérodynamique. Le Nürburgring en a été la parfaite illustration. De "régulière" sur les tous les types de circuits, autant le samedi que le dimanche, la RS20 est devenue "complète" selon lui. Pas un mince compliment adressé à une équipe qu'il va vraiment regretter de quitter.
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Daniel Ricciardo sur le podium, dimanche dernier

Crédit: Getty Images

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