"Les freins à la pratique sont dingues": le combat de Lenaïg Corson pour développer le rugby féminin

Après quatre mois à "dormir quatre à cinq heures par nuit", Lenaïg Corson accuse un peu le coup. Un mal nécessaire pour avoir vécu plusieurs vies dans une seule durant cette période où l’ancienne internationale à XV (30 sélections) et à VII, qui a raccroché les crampons cette année, a enfilé de nouvelles casquettes. Consultante télé et radio durant la Coupe du monde, elle a bâti en parallèle sa Rugby Girl Académie. Sorti de son esprit quelques mois plus tôt dans sa chambre londonienne alors qu’elle terminait sa carrière avec les Harlequins, le projet, qui consiste à proposer des stages de rugby 100% féminin, a pris une forme très concrète la semaine dernière.

Durant cinq jours, trente filles de 12 à 17 ans issues d’horizons différents, du terroir aveyronnais aux quartiers populaires de Grigny et des Ulis, ont joué au rugby sur les installations du club d’Orsay (Essonne) et ont aussi échangé sur des thématiques diverses telles que l’environnement, la nutrition ou l’ouverture au monde.

"Ce genre d’offre existe en Angleterre mais pas du tout en France où la culture autour du sport est différente, explique l’ancienne deuxième ligne. C’est ce qui m’a motivé à monter ce projet avec en fil rouge cette volonté de développer le rugby féminin, d’amener plus de filles à jouer au rugby et de leur donner les clés pour devenir des femmes épanouies et émancipées". Très présente sur les réseaux sociaux, Lenaïg Corson a pu bénéficier de la caisse de résonnance offerte par la Coupe du monde masculine en France pour convaincre partenaires et stagiaires. Évangéliser aussi sur ce rugby féminin encore marginal par rapport à son homologue masculin. Actuellement, seuls 10% du volume total des licenciés en France sont des filles, soit environ 25 000 pratiquantes.

"Même si cela a pu évoluer par rapport à quand j’ai démarré le rugby il y a quinze ans, les freins à la pratique sont dingues. Les filles gardent encore cette représentation du rugby comme étant un sport de mecs, pas pour elles donc, car on voit aussi très peu de matches de rugby féminin à la télé. La rareté des sections féminines dans les clubs fait qu’elles se retrouvent aussi souvent au milieu des garçons".

Un désert que la Bretonne a pris le parti de traverser avec son bâton de pèlerin et sans coup de pouce des instances du rugby, notamment de la FFR malgré son besoin vital d’augmenter son nombre de pratiquants sans distinction de genre. "Je pensais avoir le soutien de certaines personnes et je ne l’ai pas eu. Beaucoup de gens m’ont dit que c’était une super initiative mais il ne s’est rien passé derrière. C’était plutôt ‘débrouille toi et on verra ce que ça donne’. On m’a même dit ‘dommage que ce soit toi qui ais eu l’idée’. J’ai été assez choquée et je ne m’attendais pas à autant de barrières et de jalousie. Cela a été un champ de bataille et je comprends pourquoi je suis la seule aujourd’hui à proposer cela".

Forte et fière du succès de la première édition de sa Rugby Girl Académie, Lenaïg Corson espère que la donne changera pour elle et pour son sport. La féminisation du panel des consultants rugby entrevue pour la Coupe du monde - les anciennes internationales Marjorie Mayans, Cumba Diallo et Yanna Rivoalen ont rejoint la précurseur Marie-Alice Yahé sur le marché – y contribuera peut-être. En attendant la grande révolution, neuf des trente stagiaires de la première édition de la Rugby Girl Académie n’avaient jamais pratiqué le rugby et cinq d’entre elles cherchent aujourd’hui un club. Une goutte d’eau à l’échelle nationale mais un message d’espoir, tout de même, sur la capacité du rugby féminin à gagner du terrain. Plus que jamais le cheval de bataille de Lenaïg Corson.