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Andy Murray a raison : le déclin d'un champion n'altère en rien sa légende

Rémi Bourrières

Mis à jour 09/02/2024 à 15:02 GMT+1

Andy Murray s'est récemment emporté sur "X" contre un article suggérant le fait qu'il ferait mieux, vu ses résultats actuels, de quitter la scène pour ne pas ternir sa légende. Mais partir par la (dite) petite porte est-il vraiment nuisible à l'image d'un champion ? L'histoire semble montrer que non.

La course au GOAT a-t-elle été influencée par… les balles ?

Le monde du travail n'est pas le seul, de nos jours, à constater un net allongement de l'âge du départ à la retraite. Celui du tennis est régi par le même bouleversement, à une différence près : il le choisit plus qu'il ne le subit. Dans le sillage d'un Novak Djokovic repoussant sans cesse les limites supposées de la physiologie d'un sportif de haut niveau, une génération entière de joueurs et de joueuses n'en finit plus de ne pas vouloir en finir, quitte à évoluer dans des eaux lointaines du temps de leur splendeur. Andy Murray est de ceux-là. Et alors ?
Et alors, cela semble ne pas plaire à tout le monde. Du moins si l'on en croit ce récent papier paru sur le site de la vénérable BBC, suggérant que l'ancien numéro 1 mondial, qui vient de perdre ses six derniers matches dont quatre pour débuter l'année 2024 – une série de défaites inédite pour lui – devrait sonner l'heure imminente de sa fin, sous peine de ternir son image.
On comprend l'idée. On comprend qu'en tant que fan, suiveur, spectateur ou simple observateur du circuit, on puisse être perturbé par le fait de voir sur un court la pâle copie d'un champion qu'on a pu admirer par le passé. Il y a lieu, par contre, d'être plus circonspect sur cette question posée dans l'article : "à quel moment la courageuse persévérance d'un champion peut-elle ternir son héritage ?"
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Andy Murray à l'Open d'Australie en 2024

Crédit: Getty Images

C'est ladite question qui, à sa lecture, a fait sursauter le triple vainqueur en Grand Chelem et double champion olympique. Lequel s'est donc précipité sur son compte "X" pour régler ses comptes : "Ternir mon héritage ? Faites-moi plaisir. Je traverse une période terrible, je vous l'accorde. Dans ma situation, la plupart des gens abandonnerait. Mais je ne suis pas la plupart des gens et mon esprit fonctionne différemment. Je ne me retirerai pas. Je vais continuer à me battre et à travailler pour atteindre le niveau de performance dont je me sais capable." Un retour gagnant digne de sa plus faste époque, pour le coup.
J'étais juste déçu que des gens qui connaissent mon parcours puissent penser un truc pareil
A Marseille, où il a poursuivi sa série noire face à un Tomas Machac dont la solidité du fond de court n'a d'égale que l'étroitesse du short, l'Ecossais a développé les raisons de sa colère : "J'étais juste déçu que des gens qui connaissent mon parcours puissent penser un truc pareil. Ce que je traverse est très difficile. Rejouer après une telle opération de la hanche, c'est quelque chose qui n'a jamais été fait dans le sport de haut niveau, et j'espère d'ailleurs ouvrir une voie. Alors oui, je suis un joueur totalement différent de celui que j'étais en 2016. Mais ce n'est pas une série de défaites qui enlèvera ce que j'ai pu accomplir avant, quand j'étais en pleine santé."
Il aurait raison sur ce point sans même brandir le joker de son opération. Dans l'imaginaire très développé du monde du sport, il existe une espèce de fantasme selon lequel un champion devrait absolument quitter la scène en pleine gloire, à la façon d'un Pete Sampras qui n'a plus jamais rejoué après son dernier titre du Grand Chelem à l'US Open 2002. Sa légende, et sa place dans l'histoire de son sport, s'en trouvent-elles magnifiées par rapport à un Björn Borg, qui a traîné sa misère pendant des années au gré de come-back improbables et – disons-le - pathétiques ? Pas sûr…
Il existe, pour un champion, mille et une façons de faire face à sa petite mort. On en a vu choisir de partir d'un seul coup, comme on arrache un pansement. D'autres programmer de longue date leur tournée d'adieu. Certains n'ont même jamais écrit le mot fin, ou alors pas clairement, ou alors des années après, à l'instar de Jimmy Connors, Monica Seles, Mary Pierce et l'on pourrait même citer Serena Williams. Mais quand vient l'heure de son crépuscule, au nom de quoi y aurait-il une façon plus valable qu'une autre de quitter l'horizon ?
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Andy Murray of United Kingdom plays a forehand in the Men's Singles First Round match against Tomas Martin Etcheverry of Argentina during day two of the 2024 Australian Open at Melbourne Park on January 15, 2024 in Melbo

Crédit: Eurosport

Quelle que soit la porte par laquelle il décide de partir, la "normalité" veut quand même pour un champion de passer auparavant par une période de déclin, plus ou moins longue et plus ou moins violente. Et par une période d'angoisse, aussi : celle de voir son corps décider à sa place, autrement dit de devoir jeter l'éponge sur blessure. Et puis, il semble y avoir un autre trait commun : le refus de franchir le seuil aussi longtemps qu'il sent au fond de lui la force de frapper encore un grand coup.
Parfois, le champion est le seul à penser ça, contre vents et marées, et il y a aussi bien sûr de l'ego là-dedans, peut-être même déplacé. L'avenir le dira mais rien ne dit qu'Andy Murray n'est pas dans cet excès d'entêtement à l'heure actuelle. En tout cas, lui ne s'en cache pas : s'il continue, au-delà de l'amour pur pour son sport et pour son métier, c'est bien parce qu'il se sent encore capable d'être compétitif au plus haut niveau, même si les apparences jouent contre lui.
"Encore très récemment, j'ai perdu deux fois contre de Minaur en ayant des balles de match ; j'ai fait trois sets contre Fritz, Karatsev et Dimitrov ; j'ai failli battre Tsitsipas à Wimbledon. C'est donc que le tennis est là, a-t-il également rappelé à Marseille. Le problème, c'est que tous ces matches très serrés, je les ai perdus. Et dans ces cas-là, tu perds aussi la confiance, en même temps. Ça, c'est quelque chose auquel je n'avais jamais eu à faire face auparavant."
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Le désarroi de Murray : "Du mal à croire que ce match se soit fini si rapidement"

"Sur une jambe, Murray est encore top 50. Moi, j'ai plutôt l'impression que ça en rajoute à son mythe" (Andy Roddick)
Andy Murray a peut-être raison de penser qu'il peut encore cracher une (dernière ?) flamme avant de s'éteindre. Après tout, Pete Sampras ne gagnait plus grand-chose lui non plus avant de ressusciter presque miraculeusement lors de cet US Open 2002. Mais peut-être l'Ecossais a-t-il tort, aussi. Car la jolie maxime selon laquelle les grands champions ne meurent jamais ne résiste pas à la réalité brutale des faits : bien sûr que si, ils meurent. Comme tout le monde.
L'ancien numéro 1 mondial, qui a confié sans en dire plus avoir une idée de la date et du lieu de son pot de départ, a en tout cas raison sur un point. Même s'il venait à perdre tous les matches de tennis qui lui restent, rien ne lui enlèvera tout ceux qu'il a gagnés auparavant. Là-dessus, il a trouvé un avocat de poids en la personne d'Andy Roddick, venu voler à sa rescousse au sujet de l'article incriminé.
"Un article stupide et racoleur : les accomplissements sont éternels", s'est emporté l'Américain, sur "X" lui aussi, avant de préciser sa pensée sur le podcast "Served". "Ce qui m'a énervé, c'est que l'on puisse se demander s'il n'était pas en train de ternir son héritage. Comme si son résultat à Montpellier pouvait lui enlever ses titres à Wimbledon ou à l'US Open. En plus, il est rentré au mérite dans ce tournoi, pas avec une wild card. Sur une jambe, Murray est encore top 50. Moi, j'ai plutôt l'impression que ça en rajoute à son mythe. Et on vient lui expliquer qu'il ferait mieux d'abandonner un travail pour lequel il est encore qualifié ?"
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Andy Murray au tournoi de Brisbane 2024

Crédit: Getty Images

Pour apporter de l'eau au moulin des Andy's, qui se souvient qu'un Ivan Lendl n'a gagné qu'un match à Roland-Garros après sa fameuse défaite contre Chang en 1989 ? Qu'un Jimmy Connors n'a pas joué la moindre finale sur les six dernières années de carrière ? Qu'un Gustavo Kuerten a perdu ses neuf dernières rencontres sur le circuit principal ? L'empreinte laissée par ces joueurs dans l'histoire de leur sport, elle, est en revanche aussi indélébile que le cœur dessiné par le Brésilien sur la terre de Roland.
Face à la déliquescence d'un champion marquant de ses (plus) jeunes années, il est inexorable d'éprouver des émotions, teintées d'une forme de tristesse et de relents de nostalgie. Mais ces émotions ne font que renvoyer chacun à sa propre histoire. Elles ne donnent en rien droit au jugement sur les choix de carrière d'un joueur qui, du reste, a bien le droit de faire ce qu'il veut. Surtout qu'un grand champion, au bout du compte, c'est un peu comme un grand film : on se souvient de l'histoire, rarement du générique de fin.
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