"Avec le golf, l’Arabie saoudite a envoyé un message" : l’ATP peut-elle résister à la stratégie du royaume ?

L’ATP en rêve, l’Arabie saoudite va le faire. Ce lundi, le royaume saoudien a annoncé qu’il réunirait en octobre prochain Novak Djokovic et Rafael Nadal, dans un nouveau tournoi d’exhibition : le "6 Kings Slam". A Riyad, en plus des deux monstres sacrés, quatre autres joueurs assureront donc le spectacle. Ni plus ni moins que Carlos Alcaraz, n°2 mondial, Daniil Medvedev, n°3, Jannik Sinner, n°4, et Holger Rune, n°7.

Récemment devenu ambassadeur de la Fédération saoudienne de tennis, comme celle-ci l’a fait savoir 3 jours après le début de l’Open d’Australie au mois de janvier, Rafael Nadal s’en est réjoui auprès des organisateurs. "Maintenant que plusieurs joueurs l’ont fait, je suis très excité de jouer pour la première fois à Riyad." Carlos Alcaraz a abondé. "Je suis très heureux de revenir à Riyad pour montrer le meilleur de mon jeu", a confié le vainqueur de la Riyadh Season Tennis Cup 2023, qu’il a remportée fin décembre face à Novak Djokovic.

Passée maîtresse dans l’art des rencontres d’exhibition, à l’image de ce dernier duel entre les deux meilleurs joueurs mondiaux, l’Arabie saoudite change de braquet avec la création de ce nouveau tournoi. Car même si l’enjeu sportif reste moindre, même si le résultat final n’aura aucune incidence sur le classement mondial, ce 6 Kings Slam – qui n’a évidemment pas été nommé ainsi par hasard – va rogner le calendrier de l’ATP. Finies les rencontres à paillettes du mois de décembre : cette saison, la crème de la crème du tennis mondial va se donner rendez-vous à Riyad pour quelques jours, au détriment du circuit principal.

La stratégie est claire. "En faisant cela, l’Arabie saoudite se montre comme une menace", indique Raphaël Le Magoariec. Pour décrypter l’attitude du royaume vis-à-vis de la petite balle jaune, le géopolitologue spécialiste des politiques sportives de la péninsule arabique invoque sa cousine : la petite balle blanche. "Avec le circuit LIV dans le golf, l’Arabie saoudite a envoyé un message et l’ATP l’a bien compris."

"L’Arabie saoudite a l’ambition de devenir un hub du sport mondial, rappelle le spécialiste, qui énumère les investissements du pays ces dernières années dans le football, pour les Jeux asiatiques d’hiver 2029 à Neom, entre autres. Avec ses stars mondiales et sa renommée internationale, le tennis obéit à ce schéma." Levier sportif parmi d’autres pour l’Arabie saoudite, au même titre que le football, le tennis a ceci de particulier que son fonctionnement répond à la domination de deux circuits majoritaires, l’ATP et le WTA.

Une situation similaire à celle du golf mondial, précisément avant que l’Arabie saoudite ne s’y intéresse. Le monde du golf s’est déchiré à l’avènement du LIV en 2022, circuit contrôlé par les fonds de l’Etat saoudien, qui s’est immédiatement comporté en rival du PGA Tour dont la suprématie ne faisait aucun pli jusqu’alors. Vite confronté au départ de ses meilleurs éléments (Brooks Koepka, Phil Mickelson, Jon Rahm tout récemment…) vers des cieux plus cléments – et des prize money plus mirobolants –, l’entité américaine a senti le vent tourner. Elle s’est résignée à conclure une fusion après deux ans de conflit, dont les contours restent encore brumeux.

"Avec cette affaire, l’Arabie saoudite a montré qu’elle était prête à renverser l’ordre établi", résume Raphaël Le Magoariec. Les chiffres sont éloquents : le vainqueur de ce 6 Kings Slam devrait empocher 5,62 millions d’euros, quand Jannik Sinner a reçu 1,95 millions d’euros pour avoir remporté l’Open d’Australie 2024. Andrea Gaudenzi, le patron du circuit masculin, a flairé le danger pour son organisation. Et déjà, en juin dernier, il annonçait avoir eu des discussions "positives" avec le royaume au sujet de futurs investissements conjoints. Tout en rappelant, attention, que l’ATP se porte bien financièrement, reste l’acteur historique du tennis mondial, et que créer un nouveau tournoi ne fait pas de vous un acteur central du circuit.

‘If you can't beat them, join them’, Gaudenzi connaît la chanson. "L’ATP a tout intérêt à répondre à l’Arabie saoudite, appuie Raphaël Le Magoariec. S'ils trouvent un point d’entente, le royaume ne va pas jouer contre l’ATP." Signe, d’ailleurs, que tout le monde a bien compris ce que représentait l’arrivée de l’Arabie saoudite sur la planète tennis : Craig Tiley lui-même y a fait allusion, à la fin de l’Open d’Australie 2024. Un tournoi qui a attiré 1,1 millions de personnes, un record absolu pour un Grand Chelem.

"Nous ne prendrons jamais cela pour acquis, a prévenu le big boss du Majeur de Melbourne. N’importe qui pourrait décider demain : ‘Nous avons un événement avec 100 millions de dollars de prize money, nous allons faire venir les 32 meilleurs joueurs et tout le monde est assuré de toucher au moins 2 millions.’ C’est une menace. Certaines personnes peuvent faire ça, et rien ne les empêche de le faire au mois de janvier." En 2024, l’Arabie saoudite a donc préféré le mois d’octobre, durant lequel se déroule au passage le Masters 1000 de Shanghaï (du 2 au 13). Mais la "menace", comme l’a identifiée Craig Tiley, est réelle désormais.