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ATP - Dominic Thiem : "Alcaraz, Sinner... ces gars-là sont en train de changer le jeu"

Rémi Bourrières

Mis à jour 22/09/2022 à 09:57 GMT+2

INTERVIEW - Finaliste au Challenger de Rennes, Dominic Thiem a bien enchaîné mercredi avec une victoire face à Richard Gasquet au Moselle Open, où il a pris le temps de nous raconter en exclusivité son long et parfois douloureux come-back vers son meilleur niveau, qu'il espère définitif. En attendant, pour le vainqueur de l'US Open 2020, chaque victoire est bonne à prendre...

Dominic Thiem

Crédit: Getty Images

Un craquement, une douleur vivace et pour Dominic Thiem, le début de l'enfer… C'était à Majorque, en juin 2021, face à Adrian Mannarino. L'Autrichien venait à peine d'émerger du "trou noir" dans lequel il était tombé après sa drôle de saison 2020 - marquée par le Covid mais aussi par son titre à l'US Open, à huis clos, et par sa finale au Masters – que le mauvais sort, derrière, l'a frappé de plein fouet. Diagnostic : rupture ligamentaire du tendon de l'os situé sur la face extérieure du poignet. Bilan : neuf mois d'absence et une dégringolade jusqu'à la 352e place mondiale. Un an et demi plus tôt, il était n°3…
Sa blessure a été en réalité une double blessure puisque l'Autrichien, durant l'été 2021, a vécu une rechute imputée à une mauvaise manipulation de son articulation, ce qui lui a coûté en plus une séparation douloureuse avec son physio de l'époque. Et il s'est finalement soigné en Belgique, auprès du Docteur Frederik Verstreken, qui a réussi à lui éviter l'opération au prix d'un long et lourd processus de soins.
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Remonter la pente, depuis, n'est pas une sinécure pour l'ancien double finaliste de Roland-Garros (2018, 2019) qui a eu l'humilité - et l'obligation - de repasser par la case Challenger, début juillet, chez lui à Salzbourg. Où il a enfin regagné un match. Poussive au départ, la machine à gagner a accéléré progressivement avec notamment une demi-finale à Gstaad, cet été, et une finale au Challenger de Rennes, la semaine dernière.
Bien sûr, Dominic n'est pas encore redevenu Thiem. Mais, on l'a vu mercredi à Metz contre Richard Gasquet, le voilà, à nouveau, de plus en plus dangereux. Et, à 29 ans, il a encore des ambitions pour la suite…
Votre retour à la compétition, en mars dernier, a été difficile mais depuis quelques semaines, les choses semblent s'améliorer petit à petit. Comment vivez-vous tout ça ?
Dominique Thiem : Effectivement, ça va mieux. En fait, je n'ai pas fait un mais deux come-back. Quand je suis revenu au début du printemps, à Marbella, je n'étais clairement pas encore prêt. Mais après neuf mois, j'en avais marre de passer mon temps à attendre et à m'entraîner. J'avais juste envie de revenir. Donc je suis revenu mais c'était un peu catastrophique. J'ai perdu mes sept premiers matches. Et je ne perdais pas qu'en match, d'ailleurs : même à l'entraînement, j'étais incapable de gagner le moindre set.
Comment avez-vous fait pour commencer à inverser la tendance ?
D.T. : J'ai quand même tenu à terminer la saison printanière sur terre battue, jusqu'à Roland-Garros. Puis, après avoir perdu au 1er tour à Paris, je me suis posé avec mon équipe pour faire le point. Il a bien fallu que j'accepte l'évidence : je n'avais même pas le niveau pour jouer en Challenger. Donc j'ai décidé de prendre à nouveau un peu de recul pour me remettre en forme. J'ai déclaré forfait pour Wimbledon, ce qui a été une décision douloureuse, mais je crois nécessaire. Et j'ai entamé une période de quatre ou cinq semaines de travail intense, sur terre battue.
Tout cela a été bénéfique. Quand j'ai repris début juillet, j'ai retrouvé le chemin de la victoire. J'ai joué également un très bon match à l'US Open, même si j'ai perdu d'entrée contre Pablo Carreno Busta. Et j'ai donc enchaîné à Rennes où j'ai disputé ma première finale depuis presque deux ans (depuis le Masters 2020, Ndr). Certes, en Challenger. Mais le niveau y était vraiment incroyable. Pour moi, ce sont des signaux positifs. Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'être sur le bon chemin.
A Rennes, vous avez joué cinq matches d'affilée pour la première fois depuis votre finale au Masters 2020. Mais en finale, vous avez été surclassé par Ugo Humbert. Avez-vous été rattrapé par vos limites physiques du moment ?
D.T. : Je ressentais un peu de fatigue, oui. Mais j'ai surtout été très surpris par Ugo qui a joué un excellent match. La fatigue n'est pas une excuse. Même si j'avais été en pleine forme, j'aurais eu du mal à gagner ce match, vraiment. Je retiens donc ces cinq matches joués à la suite à pleine intensité et avec pas mal de tension. Je n'étais plus habitué à ça. C'est important d'aller loin dans les tournois pour, justement, se réacclimater avec cette pression quotidienne de la compétition. Dans mon cas, c'est une donnée fondamentale pour revenir au top.
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Et vous enchaînez parfaitement à Metz avec ce succès d'entrée contre Richard Gasquet…
D.T. : Oui, c'était important de le faire. Je suis arrivé de Rennes fatigué, après ces cinq matches plus les six heures de trajet en voiture. Mais j'ai bien récupéré. Les conditions sont différentes à Metz, plus lentes et avec un rebond plus haut. Avec Richard, on s'est fait un match avec de longs rallyes, des diagonales de revers. C'est toujours très sympa de jouer contre lui, les échanges et le rythme sont agréables. C'est différent des jeunes joueurs d'aujourd'hui qui aiment frapper à pleine puissance. Je me suis fait plaisir et je suis évidemment très heureux d'avoir pu enchaîner avec la semaine dernière.
A votre avis, qu'est-ce qui vous manque encore le plus pour retrouver votre meilleur niveau ? Est-ce purement physique ou est-ce aussi une question mentale, voire technique ?
D.T. : Tennistiquement, ça va. A l'entraînement, j'ai le sentiment que mes coups sont à nouveau parfaits, du moins comme avant. Je trouve que je rebouge bien aussi. C'est plus au niveau de la gestion des matches que ça pêche encore. Je manque d'automatisme. Parfois, je mets trop d'intensité. Parfois, je n'en mets pas assez. Parfois, je suis trop tendu, parfois pas assez. Je ne me régule pas suffisamment bien et ça finit par me coûter trop d'énergie à la fin, comme ça a été le cas à Rennes. Je dois vraiment progresser là-dessus. Je constate qu'entre le niveau que j'ai à l'entraînement et celui que je produis en match, il y a encore trop d'écart.
Je crois en la relation entre le corps et l'esprit
Repasser par la case Challenger, pour un champion de votre trempe, est-ce difficile à accepter ?
D.T. : Quelque part, c'est sympa. Rennes, par exemple, j'y étais en 2012 et 2013. J'avais des bons souvenirs de la ville et j'étais content d'y revenir. Ils ont changé de salle depuis, et c'est encore mieux qu'avant. Jouer à Salzbourg aussi, c'était sympa, à domicile, le stade était plein, avec une super ambiance. Honnêtement, dans ces conditions, ce n'est pas du tout un poids de revenir en Challenger. Et c'est parfait pour retrouver le rythme de la compétition. Cela dit, je trouve que le niveau y est bien meilleur aujourd'hui qu'il ne l'était à mes débuts, il y a dix ans.
Vous attendiez-vous à ce que le chemin du retour soit aussi long et aussi escarpé ?
D.T. : Je ne m'attendais à rien, en fait. Auparavant, je m'étais toujours entraîné depuis tout petit sans aucun temps mort, sans jamais avoir été blessé. Cette situation était nouvelle pour moi. Malgré tout, je me doutais que ce serait dur, parce que c'est le poignet et que l'action du poignet est très importante chez moi, surtout en coup droit.
Justement, avez-vous dû adapter un peu votre technique ou votre manière de jouer, par exemple en mettant moins de lift dans la balle ?
D.T. : J'ai essayé de ne pas changer, non. Mon docteur m'avait expliqué que dans le cas de ce type de blessures, si le traitement fonctionne bien, le poignet peut être encore plus fort qu'avant. Cela m'a fait du bien d'avoir cette information. Cela signifiait que, justement, je n'avais rien à changer dans ma manière de jouer. Je suis content que les traitements aient fonctionné et d'avoir évité l'opération, ce qui n'était vraiment pas gagné au départ – c'était du 50-50. Mais je continue aujourd'hui de faire beaucoup de travail préventif et d'exercices pour mon poignet. Donc peut-être qu'il est effectivement plus fort qu'avant, mais je ressens encore aussi un léger manque de flexibilité. Pas grand-chose, peut-être 2-3%. Mais je le sens. J'espère être à 100% prochainement.
Vous vous étiez ouvert l'an dernier sur le "trou noir" que vous aviez traversé après avoir enfin réussi à remporter un Grand Chelem à l'US Open. Pensez-vous que cette blessure puisse avoir un lien avec ces difficultés que vous avez connues sur le plan mental ?
D.T. : Peut-être. Je crois tout à fait en la relation entre le corps et l'esprit. C'est vrai qu'après la saison 2020, j'ai connu un passage difficile. Pour la première et seule fois de ma carrière, je n'avais plus envie de m'entraîner J'étais épuisé, physiquement et mentalement. J'ai attaqué la saison 2021 avec un background insuffisant en termes d'entraînement. Et c'est peut-être ce manque d'entraînement qui a fait que mon poignet a souffert davantage. Donc oui, il y a peut-être un lien dans tout cela, même si on ne peut pas vraiment le savoir.
Comment, finalement, avez-vous surmonté ce passage à vide ?
D.T. : J'ai totalement coupé, début 2021. Quand j'ai repris, j'avais retrouvé la flamme. Mais c'est justement à ce moment-là que la blessure est arrivée, à Majorque. Là, ça m'a forcé à rester à la maison pendant des mois donc j'ai eu tout loisir de refaire le plein de motivation. Avec le recul, je me dis que c'était une expérience importante et qui, peut-être, m'aidera pour la suite.
Le fait d'avoir pu jouer sept matches à un très haut niveau contre une telle légende, ça compte
Aujourd'hui, vous vous entraînez différemment d'avant ?
D.T. : Je suis quelqu'un qui a besoin de beaucoup s'entraîner. J'ai besoin d'un certain nombre d'heures de travail pour être performant. Mon jeu a été conçu ainsi, c'est un jeu qui demande beaucoup d'intensité et ça ne peut pas s'acquérir comme ça. En même temps, je n'ai plus 20 ans. J'en ai 29, j'ai beaucoup d'heures de vol, je ne peux plus passer autant de temps sur le court d'entraînement qu'il y a dix ans. Il a fallu trouver le bon équilibre entre la quantité et la qualité et là, j'ai le sentiment d'y être parvenu.
J'essaie aujourd'hui de faire d'autres choses en dehors du tennis. C'est nécessaire pour mon bien-être mental. Comme vous le savez, je suis par exemple engagé dans la lutte pour la protection de l'environnement. Mon emploi du temps ne me permet pas d'y passer autant de temps que je le souhaiterais. Mais c'est clair que je m'y consacrerai à 100% une fois que je serai à la retraite.
Malgré tout, 29 ans, c'est encore jeune dans les standards actuels. Avez-vous bon espoir de revenir, un jour, à votre sommet, et quand ?
D.T. : Je l'espère, oui. Dans mon esprit, je vise d'être au top pour l'année prochaine. Encore une fois, le tennis est là. Maintenant, il faut que j'arrive à enchaîner semaine après semaine. Idéalement, j'espère être revenu dans le top 100 d'ici la fin de la saison et enchaîner avec une très bonne préparation hivernale pour pouvoir attaquer 2023 dans des bonnes conditions.
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Et quel est votre plan d'attaque pour revenir dans le top 100 d'ici la fin de la saison ?
D.T. : Après Metz, j'irai jouer à Tel-Aviv fin septembre. Ensuite, je prendrai une semaine off et j'enchaînerai Giron, Anvers et Vienne. A ce moment-là, si je suis parvenu à rentrer dans les 100, j'arrêterai probablement ma saison. Sinon, je réfléchirai à revenir sur des Challengers. Rien n'est sûr, car il me faut encore beaucoup de points, plus de 200, pour repasser cette barre du top 100. Ce n'est pas gagné.
Roger Federer doit jouer ce vendredi le tout dernier match de sa carrière à la Laver Cup, en double. Qu'avez-vous ressenti en entendant la nouvelle de sa retraite ?
D.T. : De la tristesse, déjà. Mais d'un autre côté, il faut se rendre compte qu'il a 41 ans, qu'il a joué près de 1 600 matches sur le circuit et qu'il est normal que son corps ne puisse plus. Il fallait s'y attendre. Cela n'a pas été une grande surprise. Mais tout de même, ça fait étrange. Je fais partie des joueurs qui ont grandi avec lui. Depuis aussi longtemps que je regarde le tennis à la télé, il a toujours été là. Quand je suis arrivé sur le circuit, il était toujours là. Puis j'ai joué contre lui, on a fait pas mal de bons matches l'un contre l'autre. Et aujourd'hui, tout cela est fini. C'est une page qui se tourne et c'est triste, c'est sûr.
Vous êtes l'un des rares joueurs à avoir non seulement un tête-à-tête favorable contre lui (5-2), mais à l'avoir également battu sur herbe et en indoor. Vous aviez un truc contre lui ?
D.T. : Je suis heureux de l'avoir battu aussi souvent mais si l'on regarde mes victoires, c'était à chaque fois des matches très serrés. On peut même dire que j'ai été chanceux sur deux ou trois de ces matches (deux balles de match sauvées à Stuttgart en 2016 et deux autres à Madrid en 2019, Ndlr). Je l'ai joué aussi à des périodes où j'étais au top de mon jeu. Non, plus généralement, c'était juste un grand honneur et un grand plaisir de partager le court avec lui. Le résultat de mes matches contre Federer n'importe pas tant que ça. Mais le fait d'avoir pu jouer sept matches à un très haut niveau contre une telle légende, ça, oui, ça compte. Je garderai ça en moi pour toujours.
Federer s'en va, Nadal et Djokovic s'approchent forcément de la fin… Pensez-vous que ce sera un peu plus "facile" dans les prochaines années où qu'au contraire, le niveau va continuer à s'élever grâce à des jeunes comme Alcaraz, qui vient de prendre le pouvoir ?
D.T. : Ça ne sera jamais facile, non. Ce qui va changer, sans doute, c'est la répartition des titres en Grand Chelem. La domination du Big Three lors de ces quinze dernières années, c'était surréaliste. Personne ou presque n'était capable de battre ces trois joueurs dans un même tournoi. Désormais, on devrait voir davantage de joueurs gagner des titres majeurs.
Maintenant, la barre sera encore très élevée. On a vu Alcaraz mais aussi Sinner à l'US Open, ces gars-là sont en train de changer le jeu à leur manière, en termes de vitesse et d'agressivité. D'un bout à l'autre du match, quel que soit le score et même sur des points très importants, ils s'engagent à fond, ils prennent des risques énormes et je trouve qu'on n'avait jamais trop vu ça par le passé. Même Roger, Rafa et Novak jouent de manière un peu plus sécuritaire. Bien sûr, ce sont aussi des joueurs très agressifs mais disons qu'à certains moments, ils se montrent aussi plus défensifs, ils courent partout depuis leur ligne de fond sans faire aucune faute jusqu'à essorer l'adversaire. Ce qui est incroyable aussi. Mais c'est différent. Alcaraz, c'est encore un autre tennis."
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