Masters 2025 - Carlos Alcaraz vs Jannik Sinner - L'apothéose : finale des implacables, finale idéale

Sans souhaiter de mal à qui que ce soit, c'est la finale dont Turin rêvait. Moi aussi, pour être tout à fait sincère. Il n'y avait pas mieux, sportivement parlant. Peut-être êtes-vous (déjà) lassés de la domination conjuguée de Carlos Alcaraz et Jannik Sinner sur le tennis masculin, auquel cas il est temps de compatir avec vous, votre dimanche s'annonce peu engageant. Mais sauf à être réfractaire au tandem hispano-italien pour une raison ou pour une autre, le dernier tournoi de l'année ne pouvait espérer une affiche plus clinquante.

C'est simplement la conclusion logique de cette année. Implacable, même. Mais néanmoins idéale. Une ultime explication au sommet, dernier chapitre d'un roman dont ils sont conjointement les deux personnages principaux, ayant cantonné tous les autres à des seconds rôles, quand il ne s'agit pas de simple figuration. Les surprises ont leur charme. L'incertitude du sport est peut-être savoureuse, mais avec Sinner et Alcaraz, c'est autre chose : la glorieuse certitude du sport. Ce qui est attendu n'est pas forcément synonyme d'ennui. Surtout s'ils nous proposent, ensemble, la meilleure version de leur jeu.

Si la place de numéro un mondial n'est plus sur le tapis, le Murcien ayant verrouillé le trône dès jeudi en remportant son troisième match de poule, l'importance de ce 16e duel entre les deux champions, le 6e en 2025, sera tout sauf anodine. Ce n'est pas une finale de Grand Chelem, non, mais c'est autrement plus important qu'une finale de Masters 1000. Le Masters (tout court) reste le cinquième plus grand rendez-vous du circuit, même s'il demeure une cinquième roue du carrosse comparé aux quatre Majeurs.

C'est aussi le contexte qui confère à cet affrontement-là sa saveur spéciale et sa signification. Sans aller jusqu'à dire qu'elle fera pencher la balance de manière brutale d'un côté ou de l'autre, elle laissera une trace. Carlos Alcaraz peut enfoncer le clou. S'il gagne, ce sera sa huitième victoire en neuf matches sur les deux dernières années. Ils ont peut-être partagé les Grands Chelems en 2024 et 2025 (quatre chacun) mais quand il s'agit de s'expliquer en face-à-face, d'équilibre, il n'y a point : l'Espagnol prend quasiment tout.

Alors, oui, on peut toujours arguer des circonstances. À Rome, Sinner revenait tout juste après plus de trois mois loin des terrains et manquait de rythme. Oui, mais il a perdu. À Roland-Garros, il a dominé les débats, et pas qu'un peu, pendant un long moment. Il a eu trois balles de match. Il a servi pour le titre. Il aurait pu et sans doute aurait-il dû gagner. Oui, mais il a perdu. À Cincinnati, il était malade, pas en état de défendre ses chances. Oui, mais devinez quoi ? Il a perdu. La réalité, c'est que s'ils sont seuls au monde, la défaite est une exception chez Alcaraz dans leurs confrontations directes, quand elle est devenue une mauvaise habitude chez Sinner, qui doit mettre fin aux "oui, mais".

Peu importe le sens dans lequel il tourne le problème et toutes les pondérations qu'il veut bien y mettre, Jannik Sinner a un problème avec Carlos Alcaraz. Peut-être parce qu'il sait ou qu'il ressent que quand l'Espagnol s'exprime au maximum de ses possibilités, il est un petit cran au-dessus de lui. Tout ne dépend pas complètement de lui. Même si Alcaraz a gagné considérablement en constance ces derniers mois, le plancher italien reste sans doute un peu plus haut et un peu plus solide que le sien. Mais son plafond est en revanche sans limites et il sait se hisser sur des hauteurs inatteignables.

S'il devait à nouveau prendre la mesure de son grand rival, "Carlitos" passerait ainsi les fêtes de fin d'année bien au chaud. Bien plus que le verdict purement comptable des ordinateurs de l'ATP (après tout, avec le trimestre d'absence de Sinner, encore heureux qu'Alcaraz achève cette saison devant lui...), cette victoire aurait valeur de nouveau point d'exclamation et de point final au début 2025 : il y a certes le duo Alcaraz-Sinner et les autres, mais il y aurait aussi Alcaraz et les autres. Tous les autres, Sinner compris. Car l'Italien joue doublement à domicile à Turin, devant son public et surtout dans son cocon de l'indoor, qu'il aime tant et qu'Alcaraz cherche encore à apprivoiser pleinement. Alors, si toutes les défaites font mal, celle-ci serait particulièrement complexe à digérer.

Une fois tout ceci exposé, quel destin semble le plus crédible pour cette finale ? Il s'agit peut-être de la plus délicate de toutes à lire. Au petit jeu des pronostics auquel se livre notre rédaction avant les finales de Grands Chelem, voici ce que j'avais écrit :

"Curieusement, avant la finale de Roland-Garros, comme avant celle de Wimbledon, j'avais une conviction claire et nette. Pour moi, à Paris comme à Londres, Jannik Sinner était le grand favori. (…) Mais avant la belle à New York, j'ai le sentiment très exactement inverse : j'ai toutes les peines du monde à envisager autre chose qu'une victoire de Carlos Alcaraz."

Cette fois, tout me semble plus flou, plus incertain. Peut-être parce qu'il s'agit de leur premier affrontement dans des conditions indoor depuis leur tout premier match, à Bercy, en 2021. Un autre temps, un autre monde. Il ne peut servir de point d'appui. À moins qu'il ne s'agisse de l'effet "fin de saison", où le ressort de la fatigue mentale et physique éclipse parfois toutes les autres clés. Au fond, qu'est-ce qui pèsera le plus, dimanche ? Le rapport direct entre les deux, ou le confort hallucinant qui est celui de Sinner en salle ? Leur histoire commune, déjà si riche en dépit de leur jeune âge, n'en est pourtant encore qu'à ses balbutiements. Le chapitre à venir de leur roman intrigue. Ses pages difficilement lisibles ne demandent pourtant qu'à être dévorées.