Masters 1 000 de Madrid : Ce que dit du tennis notre amour pour Lorenzo Musetti

Qualifié pour les demi-finales du Masters 1000 de Madrid, où il affrontera vendredi Jack Draper, et assuré de faire lundi son entrée dans le top 10, Lorenzo Musetti dégage dans son jeu un esthétisme qui fait l'unanimité. Une sorte de beauté rare, désormais alliée à l'efficacité, qui en fait une promotion vivante pour le tennis, un sport où la dimension gestuelle a culturellement toujours fasciné.

Lorenzo Musetti (Madrid 2025).

Crédit: Getty Images

Qu'est-ce que la beauté ? Nous n'aurons pas la prétention de répondre ici en quelques lignes à une question qui anime les cafés-philo depuis la nuit des temps. Mais dans les choses du tennis comme, sans doute, dans beaucoup d'autres domaines, on peut au moins avancer qu'il y a dans la beauté une dimension universelle, quelque chose qui ne fait pas débat. Le charme est subjectif. La beauté, elle, saute aux yeux. Et s'il faut la chercher, c'est qu'elle n'est pas là. Lorenzo Musetti est un joueur beau, incontestablement. Dans le sens où la beauté de son tennis ne se discute pas. Elle se constate, à peu près unanimement.
L'Italien, qualifié jeudi soir pour les demi-finales du Masters 1 000 de Madrid au terme d'une victoire aisée face à un Diallo au bout du rouleau (6-4, 6-3), est de ceux qui mettent tout le monde d'accord. Et ça n'est pas là le moindre de ses atouts, même s'il en a beaucoup d'autres. Tout le monde n'est pas fan de Musetti, bien sûr. Mais on n'a jamais entendu personne dire : "Je n'aime pas le tennis de Musetti". Or, des joueurs de cette trempe, il n'y en a pas des brassées à chaque génération. Avant lui, il y a eu Richard Gasquet, auquel il fait tellement penser. Grigor Dimitrov, sans aucun doute. Roger Federer bien sûr, celui qui a le mieux allié la beauté à l'efficacité. Et quelques rares autre élus. Musetti, lui, est le dernier appelé du clan des esthètes.
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Une alerte pour Musetti avant de dérouler

Video credit: Eurosport

Ces joueurs ont-ils seulement conscience de leur chance, celle d'avoir pu bénéficier d'un surcroît de popularité avant même d'avoir commencé à gagner ? Plus que de popularité, on peut même parler d'amour. Gasquet et Dimitrov ont, auprès du public, une cote d'amour qui va au-delà de leur palmarès, fût-il éminemment respectable. Elle est bien supérieure, en tout cas, à de nombreux joueurs qui ont fait mieux, qui ont gagné des Grands Chelems ou joué des finales. On ne les citera pas, par décence. Mais des Marin Cilic ou des Milos Raonic, des Thomas Johansson ou des Greg Rusedski, pour remonter un peu plus loin, pourraient s'y reconnaître très fort.

"Jouer ne suffit pas, encore faut-il maîtriser son style" (rené lacoste)

Pourquoi ce deux poids, deux mesures ? Parce que l'humain, viscéralement, est fasciné par la beauté. Et le tennis a toujours eu cette appétence pour la beauté du geste dont son public ne s'est jamais départi, même si certains de ses champions s'en sont parfois écartés. Ce n'est pas pour rien que Bill Tilden a comparé un jour le tennis à un art, au même titre que la danse. Peut-être l'a-til fait d'ailleurs en voyant Suzanne Lenglen, une autre immense esthète, pratiquer ce sport comme une ballerine, tandis qu'à la même (belle) époque, René Lacoste - et Dieu sait l'influence qu'il a eue dans la culture tennis - professait que "jouer ne suffit pas, encore faut-il maîtriser son style." Tout cela est ancré dans les mentalités, depuis des lustres.
Reste une question que l'on n'a pas tranchée. Pourquoi le tennis de Lorenzo Musetti est-il beau ? Qu'est-ce qui fait tomber tout le monde en pâmoison devant ses arabesques technico-gestuelles, pendant que beaucoup restent de marbre face à la mécanique pourtant parfaitement huilée de son compatriote Jannik Sinner ? Chez Sinner aussi pourtant, tout est propre, parfait, millimétré, d'une justesse d'exécution absolument édifiante. Mais peut-être trop, justement. Dans la beauté, il y a aussi quelque chose non pas d'imparfait mais du moins de fragile, de cristallin, une œuvre tellement pure qu'on ose à peine la regarder, de peur de la souiller.
Et Musetti, c'est un peu ça. Le Sandro Botticelli du tennis, ce peintre de la Renaissance célèbre pour ses tableaux d'une finesse exquise et d'une beauté presque éthérée, dont chaque coup de pinceau semblait guidé par le souci de la délicatesse, un peu comme ses slices de revers. Son équipementier ne s'y est pas trompé en l'équipant d'une sorte de toge blanche tout droit sortie de la Rome Antique qui friserait le ridicule sur à peu près tout le monde, sauf sur lui. Ses matches se regardent comme on contemple un tableau, en s'attardant davantage sur les détails que sur l'ensemble. Il arme son service comme un arbalétrier et son coup droit comme un souffleur de verre, même s'il y rajoute quelques entrelacs superflus, peut-être pour la forme.
Et puis, bien sûr, il y a ce revers à une main. On n’est toujours pas sûr de la définition du beau dans le tennis. Mais l'on constate, tout de même, qu'il y a toujours un revers à une main qui traîne dans l'histoire. Un coup dont l'esthétisme, au-delà de sa rareté qui contribue certainement à sa beauté, provient peut-être de son amplitude gestuelle inégalable : c'est le seul coup qui peut se finir le plus loin possible vers l'objectif, alors que dans l'exécution d'un coup droit ou d'un revers à deux mains, le bras doit plus ou moins s'enrouler autour de l'épaule, parfois un peu plus haut, parfois un peu plus bas, mais quoi qu'il en soit sans donner la même sensation de liberté de mouvement. Le revers à une main est un coup de pinceau, au sens quasi gestuel du terme.
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Lorenzo Musetti lors de sa victoire face à Stefanos Tsitsipas (Madrid 2025).

Crédit: Getty Images

Et si la gestuelle de Musetti est belle, c'est parce que son corps l'est aussi, assurément. Observez. La tête est droite, le port altier, les articulations bien alignées. Tout est parfaitement bien rangé, bien orchestré, jusqu'à la plus petite parcelle de peau. Chaque déplacement se fait ainsi dans le bon sens, dégageant une grâce qui ne s'explique pas, sans le moindre mouvement parasite, sans le moindre effort apparent. Même au cœur de l'effort, rien ne bouge, pas même une mèche de cheveux. Ce parfait ordonnancement biomécanique lui confère une totale fluidité gestuelle. Il n'y aucune limitation technique, donc aucune limitation tactique. C'est pourquoi les joueurs beaux ne sont jamais des besogneux. Ce sont des créatifs, capables de tout faire, quitte parfois à s'égarer en chemin.

Musetti, c'est l'Italie : une surprise à chaque pas

Car voir à l'œuvre Musetti, c'est aussi accepter de se perdre, de temps à autre, dans les dédales de son jeu, comme on se perd dans les rues de Rome, ou de Florence. De chaque coin de rue comme de chaque coup de raquette peut jaillir une splendeur insoupçonnée. Et parfois rien du tout, du reste. Mais au moins peut-on se laisser troubler par une surprise à chaque pas, quand le tennis moderne, lui, s'assimile souvent à une architecture efficace mais froide, rectiligne, pour ainsi dire un peu brutaliste. Le joyau ciselé dans le marbre de Carrare face à l'urbanisme forgé dans l'acier. Or, la beauté, c'est cela aussi : la surprise de l'inconnu qui peut jaillir partout, tout le temps.
Même s'il a considérablement musclé son jeu ces derniers mois, Lorenzo Musetti a réussi ce tour de force : préserver les splendeurs architecturales de son jeu face aux exigences robotiques du tennis moderne, tout en gardant sur le court cette hypersensibilité qui est l'apanage des artistes, ce côté très humain qui ne cherche même pas à masquer ni ses failles, ni ses émotions. L'édifice est encore loin d'être en béton armé et peut très bien voler en éclats, ce vendredi soir en demi-finale, face à la force brute de Jack Draper. Mais quoi qu'il advienne, la semaine prochaine, il sera solidement installé dans le top 10, et c'est une grande nouvelle. Car tant qu'il y aura des Musetti, le tennis ne mourra pas.
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Le magicien Musetti prend De Minaur à revers

Video credit: Eurosport


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