Rolex Paris Masters 2023 : Arthur Fils-Sébastien Grosjean, pourquoi le mariage est a priori idéal

Arthur Fils est un jeune homme pressé… mais structuré. Et c'est sans doute pour cela qu'il a franchi plus vite que bien d'autres à son âge certaines étapes. Au-delà des 300 meilleurs mondiaux il y a tout juste un an (308e le 31 octobre 2022, NDLR), le voici désormais dans le Top 40 avec un premier titre dans la besace à Lyon, une autre finale à Anvers et deux membres du Top 10 déjà à son tableau de chasse (Casper Ruud et Stefanos Tsitsipas). Fier de ses accomplissements, il ne veut toutefois pas s'en contenter et s'est donné les moyens de ses ambitions en changeant de coach en vue de la saison prochaine : Sébastien Grosjean quitte son poste de capitaine de Coupe Davis pour l'épauler.

Le choix peut interpeller tant l'association avec Laurent Raymond – après avoir déjà beaucoup progressé avec Jérôme Potier – a été fructueuse en 2023. Mais il ne s'agit pas pour Fils de se montrer ingrat ou de remettre en cause la compétence d'un homme dont il a assurément beaucoup appris. C'est avant tout la décision d'un ambitieux qui rêve de rattraper les Carlos Alcaraz et Holger Rune, ses aînés d'un an, qui font déjà partie du gratin. Et pour ce faire, la connaissance intime de ce qu'il en coûte de jouer à ces altitudes est primordiale.

"Sébastien est toujours très proche du circuit, il a toujours eu cette fibre de transmission et il a entraîné pas mal de joueurs de très haut niveau, acquiesce notre consultant Arnaud Clément, ami et rival sur le circuit de Grosjean au début des années 2000. Il connaît extrêmement bien le jeu évidemment et il a son passé à ce niveau-là qui lui apporte une connaissance supérieure par rapport à beaucoup d'entraîneurs. Quand on entraîne un joueur qui veut aller très, très haut, aller dans les derniers carrés en Grand Chelem, c'est bien d'avoir un vécu. Sébastien a beaucoup d'atouts à apporter à Arthur."

L'argument a aussi été utilisé par le jeune homme pressé à notre micro avant son entame de tournoi. "A la fédération, ça s'est toujours bien passé, j'ai fait de très belles années. Mais j'ai 19 ans, j'ai de bons objectifs donc je me suis dit qu'il fallait que j'ai un coach qui connaisse le circuit, a-t-il confirmé. Quelqu'un qui a été un ancien grand joueur, qui peut m'aider à grandir vite, à gravir les échelons, à me donner à fond. D'où ma décision". Leur premier entraînement public à Bercy fut, à ce titre, révélateur. Agacé par certains coups lors de son practice avec Alejandro Davidovich-Fokina, le jeune Français a passé ses nerfs sur sa raquette avant d'être pris à part par Grosjean, comme pour le calmer.

Arnaud Clément est raccord : "Quand on a vécu comme Sébastien cette progression assez rapide vers les sommets très jeune, on a un petit plus. Il faut avoir autour de soi des gens qui sont capables de recadrer certaines choses parce qu'Arthur va être encore plus exposé qu'il ne l'est déjà à l'avenir. Et toutes ces choses liées au très haut niveau, Sébastien les connaît et il pourra les anticiper. Attention, avoir été au très haut niveau ne veut pas dire qu'on sera un très bon entraîneur. Mais dans le cas de Sébastien, on sait désormais qu'il a cette qualité dans les échanges avec les joueurs et qu'il a des facilités à communiquer et transmettre."

Aider à mieux gérer une célébrité grandissante et les sollicitations qui l'accompagnent, cela peut sembler anodin de prime abord. Et pourtant, cette transmission d'expérience est fondamentale pour gagner du temps au très haut niveau et y rester. L'hésitation de Holger Rune à conserver son coach historique Lars Christensen lors de cette saison 2023 qui fut celle de la confirmation est à ce titre éclairante. En engageant tout récemment Boris Becker à la place, le Danois a fait le même type de choix.

Avant même son mandat de capitaine de Coupe Davis, Grosjean a aussi fait l'unanimité chez les joueurs qu'il avait accompagnés individuellement. Ce fut le cas notamment de Richard Gasquet qui avait eu des mots plus qu'élogieux à son égard lors de la fin de leur aventure de cinq ans en 2016. "J'ai fini trois saisons dans les dix premiers avec lui, deux fois 9e, une fois 10e en 2012, 2013 et 2015, il y est pour beaucoup, avait-il déclaré. Il m'a permis de retrouver goût au tennis. Parce qu’en 2010, 2011, j'étais beaucoup moins bien dans ma carrière. C'est devenu quelqu'un de très proche, vraiment un ami proche. J'ai passé 5 années exceptionnelles avec lui. Il fallait tout simplement trouver un autre entraîneur. Je pense que j'aurais continué toute ma carrière si j'avais pu avec Seb."

C'est d'ailleurs sous l'impulsion de Grosjean lors de leur dernière saison commune que Gasquet avait aussi engagé Sergi Bruguera, double vainqueur de Roland-Garros en 1993 et 1994. L'attelage franco-espagnol sera ainsi reconstitué aux côtés d'Arthur Fils, plutôt gâté donc en termes d'expérience du très haut niveau. Les deux hommes s'entendent très bien et partagent une intense passion pour le jeu avec un engagement de tous les instants. Ils ont aussi en commun un certain sens de la discrétion, un goût pour le travail de l'ombre. "Ils vont travailler ensemble mais aucun de deux ne peut me suivre toutes les semaines. Je serai sûrement avec Sergi sur la terre-battue, plutôt avec Seb sur dur. Je vais prendre l'expérience des deux", confirme Fils.

Cette caractéristique avait particulièrement plu à Nick Kyrgios qui avait travaillé à temps partiel avec Grosjean quelques mois en 2017, aussi surprenant que cela puisse paraître. "Quand je l'ai rencontré, je me suis dit : 'Ça, c’est un bon gars. Il ne cherche pas à tirer la couverture à lui", avait-il témoigné au début de leur collaboration. Et si celle-ci n'a pas duré longtemps, l'ingérable Kyrgios en avait volontiers endossé la responsabilité. "Je ne suis pas assez bien pour lui. Il est très impliqué et c'est un entraîneur incroyable. Il m'a beaucoup aidé, mais il a besoin... Il y a des joueurs sur le circuit qui ont la volonté de s'améliorer jour après jour. Moi, je ne suis pas ce genre de joueur."

Arthur Fils ressemble en revanche davantage à ce portrait. Le jeune homme est une éponge, a soif d'apprendre, Björn Borg avait d'ailleurs pu s'en rendre compte lors de la dernière Laver Cup. Le trio semble fait pour s'entendre, mais la question est désormais de savoir comment Grosjean et Bruguera se répartiront-ils le travail à ses côtés. A priori, le Français sera le coach le plus souvent présent, mais l'Espagnol s'impliquera-t-il davantage lors de la saison sur terre battue dont il était spécialiste ?

"Peut-être… Mais au-delà de ça, ce n'est pas évident pour les entraîneurs de partir 35-40 semaines sur le circuit dans l'année. Et pour le joueur, c'est intéressant d'avoir par moments quelqu'un qui arrive, qui est frais, note enfin Arnaud Clément. Ils iront dans le même sens, mais ne l'exprimeront pas forcément avec les mêmes mots. Avec ce système de binôme, le phénomène de lassitude du discours est sans doute moins présent. De plus en plus de joueurs fonctionnent comme ça, et ça marche plutôt pas mal."