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Gaël Monfils, ou l'éternel roi du teasing

Laurent Vergne

Mis à jour 18/02/2019 à 11:50 GMT+1

Gaël Monfils a sorti une grosse semaine à Rotterdam pour décrocher un des titres les plus significatifs de sa carrière. Le genre de performances qui laisse autant entrevoir ce que pourrait être sa saison que ce qu'aurait dû être sa carrière. Une fois encore, la Monf' met l'eau à la bouche. Pour mieux décevoir sur la durée, encore ?

Gaël Monfils - Rotterdam 2019

Crédit: Getty Images

Triste à en pleurer en 2018, le tennis masculin français serait-il en train de retrouver quelques couleurs ? Le moribond est bien sautillant en ce début d'année. Un demi-finaliste dans le premier tournoi du Grand Chelem de la saison, deux titres en février, un en 250, l'autre en 500, le tout provenant de trois joueurs différents.
Deux autres, l'un de la génération intermédiaire (Herbert), l'autre de la nouvelle (Humbert), viennent d'atteindre leur meilleur classement. Simple phase provisoire de rémission ou guérison totale, il est encore beaucoup trop tôt pour se prononcer, mais selon la formule traditionnelle, ce qui est pris n'est plus à prendre.
Tous les cas sont différents. Lucas Pouille, jeune leader attendu de la nouvelle génération, avait besoin d'un nouveau départ et d'un nouvel horizon. Jo-Wilfried Tsonga, lui, relevait de blessure. Puis il y a Gaël Monfils. L'inclassable. Jamais là où on l'attend, rarement là où on l'espère. Mais dans sa sinusoïdale carrière, le roi du yo-yo tennistique a parfois offert des moments de résurgence. Souvent, là encore, quand on ne retenait plus vraiment notre souffle. Rotterdam entre dans cette catégorie.
Gaël Monfils - Rotterdam 2019

L'intermittent du spectaculaire

Aux Pays-Bas, par la constance de son engagement et l'intensité de son jeu, Monfils a offert son meilleur visage. Il y a signé quelques victoires convaincantes sur la forme, face à David Goffin, Daniil Medvedev ou Stan Wawrinka, les deux derniers valant beaucoup, beaucoup mieux que leurs classements actuels. Deux vraies perfs, donc. Même le syndrome de la finale n'a pas réussi à gâcher son dimanche. C'était vraiment de la bonne Monf', solide et déterminée. Or, quand Monfils est dans cet état d'esprit, qu'il est bien dans son corps et plus encore dans sa tête, il donne ce qu'il peut donner à Rotterdam.
L'intermittent du spectaculaire a cette faculté, aussi appréciable qu'insupportable, de faire du "teasing". Il aguiche, il met l'eau à la bouche, dévoilant une partie de son potentiel, immense. Je ne sais pas si, comme Federer l'a dit, Monfils aurait gagné dix Grands Chelems si tout avait été droit dans sa tête. En revanche, je me souviens d'une autre phrase du Suisse, lâchée en conférence de presse à Roland-Garros avant leur huitième de finale en 2015 : "Gaël aurait dû être dans le Top 10 en permanence depuis 10 ans, et je dis même, facilement". Là, je souscris totalement.
Des quatre ténors tricolores de sa génération, Gaël Monfils est probablement celui qui sera resté le plus éloigné de son potentiel maximal. Tsonga, une tête au-dessus du reste du quatuor en termes de résultats, n'a à mon avis pas trop de regrets à nourrir. Gilles Simon a tiré le meilleur de ce qu'il pouvait produire. Et il manquait sans doute une dimension physique supplémentaire à Richard Gasquet pour aller encore plus haut.

Jekyll and Hyde

Reste le cas Monfils. Peut-être aura-t-il, lui, un regard différent sur sa carrière, mais nous sommes un certain nombre à nous demander comment ce spécimen-là peut compter seulement huit titres à son palmarès, et deux demi-finales de Grand Chelem. Comment et pourquoi ce joueur n'a atteint qu'une fois sur dix les quarts de finale en Grand Chelem. Sa victoire à Rotterdam est à saluer comme il se doit mais, au fond, il est un peu triste de se dire qu'il s'agit là d'un des plus grands titres de sa carrière.
Aussi excitant qu'il peut être désespérant, et vice-versa, Gaël Monfils est de ces joueurs qui, dans l'immense majorité des cas, ont les cartes en mains. Tout part de lui. Au vu de ses qualités tennistiques et physiques, quand il met tous les ingrédients, il peut être compétitif pratiquement n'importe où contre pratiquement n'importe qui. Mais comme la boite de chocolats de Forrest Gump, avec lui, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.
Gaël Monfils - Rotterdam 2019
Ses deux demi-finales à une semaine d'intervalle contre Medvedev en ont livré un exemple presque caricatural. Même adversaire, même stade du tournoi, mêmes conditions de jeu, mais deux Monfils opposés. A Sofia, aucune intensité dans les frappes, un point vraiment joué sur trois, un manque d'engagement, des balles cotonneuses. Comme s'il attendait la sortie. Tout le contraire de celui de Rotterdam. Le premier a pris deux petits sets, le deuxième a gagné en trois en surmontant la perte de la manche initiale. Le premier était inerte, le seconde débordait de vie. Le Jekyll and Hyde du tennis.

La limite du champion, le charme de l'homme

Ce fond erratique est d'autant plus frustrant que, sur la forme, le Parisien est depuis près d'une décennie et demie un des joueurs les plus excitants du circuit. Le public l'adore, bien au-delà (et même parfois davantage) des frontières hexagonales. Joueur spectaculaire, aimant se nourrir de l'atmosphère du stade et parfois même la créer par lui-même, il peut devenir une bête de scène quand toutes les pièces de son puzzle se mettent en place. Malheureusement, il lui arrive souvent d'en égarer quelques-unes, voire de foutre un coup de pied dedans pour le saccager.
A 32 ans, il est peu probable que Gaël Monfils change radicalement. Qu'il devienne un joueur "normal". Il faut juste souhaiter que le mode Rotterdam, à défaut de devenir un mode permanent, soit activé le plus fréquemment possible dans les prochains mois. Avec son nouveau coach, Liam Smith, et un nouvel équilibre dans sa vie personnelle, tout va bien en ce moment. Or la Monf', sans tricher, n'est pas du genre à dissocier ce qu'il est sur le court de ce qu'il est dans la vie. C'est la limite du champion, c'est aussi le charme de l'homme, rendant l'un et l'autre attachants. A coup sûr, le voir heureux dimanche avait quelque chose de contagieux.
Alors, savourons. Sans trop espérer. Même si, avec son sens du teasing, il est tentant de mordre encore à l'hameçon. Gaël Monfils aurait pu être un long métrage. Il n'aura trop souvent été qu'une bande-annonce. La dernière en date, cette semaine, n'est pas la moins réussie. Et malgré les déceptions passées, elle a encore un goût de reviens-y.
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