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Choc de personnalités, trash-talking et... tennis : Comment Kyrgios se construit contre Djoko

Maxime Battistella

Mis à jour 06/02/2021 à 10:19 GMT+1

La sortie acerbe de Nick Kyrgios à l’encontre de Novak Djokovic voici quelques jours s’inscrit dans la lignée de multiples critiques de l’Australien à l’égard du numéro 1 mondial ces deux dernières années. A tel point qu’il semble prendre un malin plaisir à en faire sa tête de turc. Retour sur cette querelle (à sens unique) et décryptage de ses ressorts.

Kyrgios e Djokovic

Crédit: Eurosport

"Je ne sais pas pourquoi Kyrgios dit toutes ces choses. S’il veut attirer l'attention, ou s’il a d’autres motivations. Il peut dire ce qu’il veut, ça ne me pose pas de problème." C’était en juin 2019. Interrogé sur les attaques du fantasque Aussie à son encontre, Novak Djokovic faisait part de son incompréhension et prenait soin de ne pas répliquer avec virulence. Mais rien n’y a fait, ce n’était que le début d’une série de piques dont il a été la cible. A tel point que pour les soutiens du Serbe - encore traité de "crétin" dernièrement - et certains observateurs, cela tourne à l’obsession.
Mais qu'a donc fait Novak Djokovic à Nick Kyrgios ? A vrai dire, rien. Du moins personnellement. Tout juste le "Djoker", qui riait jaune après deux défaites coup sur coup en février-mars 2017 à Acapulco et Indian Wells (leurs deux seules confrontations à ce jour sur le circuit), avait-il alors fait une petite observation sur le comportement de son adversaire. "Il est très agressif, tente sa chance sur première comme seconde balle. C’est son style. Il joue d’une certaine façon, parle et se comporte sur le court d’une certaine façon. Apparemment, ça marche…", avait-il constaté un brin désabusé.
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Un coup droit d'une vitesse ahurissante : Kyrgios n'a pas perdu la main

Symboliser l'authenticité dans un monde du tennis aseptisé

Pas de quoi émouvoir Kyrgios à l'époque qui n’avait pas rebondi sur ce (très) léger coup de canif. Non, l’Australien n’a pas eu besoin de prétexte quand, deux ans plus tard, à l’occasion du tournoi de Rome, il s’est exprimé sans filtre dans le podcast animé par le journaliste américain Ben Rothenberg "No Challenges Remaining". Interrogé sur ce qu’il pensait du "Big 4", le grand Nick ne s’était pas défilé. Si Andy Murray – un de ses amis sur le circuit – et Roger Federer – qu’il admire – avaient été épargnés, Rafael Nadal et surtout Djokovic donc en avaient pris pour leur grade.
A l’Espagnol, dont il louait par ailleurs la capacité d’adaptation au gazon, il reprochait un double discours suivant les résultats de leurs matches. Ce n’était toutefois rien en comparaison de ce qu’il réservait au Serbe. "Djokovic ? Il a une obsession maladive avec le besoin d'être aimé. Il veut être Roger. Il veut être tellement aimé que je n'arrive pas à le supporter. Ça en devient embarrassant. Il dit toujours ce qu'il pense devoir dire, il ne donne jamais son opinion. Sa célébration me tue. Si je l'affronte et que je le bats, alors je ferai sa célébration devant lui. Ça serait hilarant, non ?", s'était lâché l’effronté.
Le problème viendrait donc de la personnalité de Djokovic que Kyrgios considère comme fausse et calculatrice. Mais au moment où il les a tenus, il savait aussi que ces propos servaient son personnage. Celui de l’empêcheur de tourner en rond. Quoi de mieux pour lui que de s’attaquer au patron d'un circuit si aseptisé à ses yeux ? D’ailleurs, il était le premier à le revendiquer. "Dans ce sport plus que dans n'importe quel autre, tout le monde respecte tout le monde. Quand j'entre sur le court contre Nadal, Federer ou Djokovic, je ne comprends pas pourquoi je devrais forcément et automatiquement les respecter. Littéralement, ils ne font que taper une balle au-dessus d'un filet. (...) Si tu n'aimes pas quelqu'un, dis-le, ne fais pas semblant de l'apprécier. Le sport y gagnerait. Si tout le monde aime tout le monde, ce n'est pas drôle."
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Nick Kyrgios, Lleyton Hewitt et Novak Djokovic à Melbourne en 2018

Crédit: Getty Images

Deux parias aux caractères opposés

Pour y aller aussi fort, il faut néanmoins que Kyrgios se soit forgé une opinion assez tôt sur sa "cible". Peut-être date-t-elle d'une initiative prise par Djokovic (avec les meilleures intentions selon lui) lors d’un US Open en 2014 ou 2015 ? "A l’époque, tout le monde était sur son dos à cause de ses facéties. Je lui ai offert mon aide en lui disant qu’on pouvait parler s’il en avait besoin, parce que j’avais subi des critiques du même genre pour mon comportement quand j’étais plus jeune", expliquait le numéro 1 mondial en juin 2019. Il faisait référence à ses débuts lorsqu'il se distinguait en caricaturant les meilleurs joueuses et joueurs du circuit qui ne l'avaient pas forcément bien pris à l'époque.
Mais en faisant l’acteur, s’il a pu s’attirer quelques inimitiés, le jeune Djokovic cherchait à séduire le public et les médias avec de multiples masques (au sens propre comme figuré). Pas tellement le genre du turbulent Kyrgios qui ne s'est sans doute pas reconnu dans son aspirant protecteur. Car le loustic se soucie peu, lui, du jugement des autres. Une carapace qu’il tire probablement d’une enfance marquée par les moqueries en raison de son poids et de la revanche prise sur ceux qui ne l’envisageaient pas un instant devenir sportif professionnel.
Si Djokovic, qui a grandi avec la guerre et le sentiment de stigmatisation du peuple serbe comme le méchant de l’histoire, recherche à tout prix l’harmonie, la paix et la reconnaissance (même si la colère refait parfois surface), Kyrgios s’épanouit dans le chaos. Du moins sur le court qu’il utilise comme exutoire. D’une certaine façon, il se vit presque comme l’anti-Djokovic. Et c’est aussi une manière pour lui de faire le lien avec un autre univers qui lui est cher, celui du basket et de la NBA, où le trash-talking alimente constamment les rivalités. Celle qu’il entretient avec Djoko, il prend ainsi un malin plaisir à l’entretenir.

Le tennis comme un plaisir : Djokovic l'ennuie quand Federer le divertit

Comme quand, en juillet 2019, l’Aussie s’était amusé à barrer le nom "Novak" sur le T-shirt d’un fan américain en quête d’autographe. A voir la mine réjouie du phénomène, il y a une jouissance tout enfantine derrière ce type de pitrerie. D’ailleurs, cela traduit une différence fondamentale d'approche du sport et du tennis entre les deux hommes. Kyrgios les conçoit avant tout comme un moyen de s’amuser et de prendre du plaisir. Ses idoles de jeunesse ? Gaël Monfils et Jo-Wilfried Tsonga, des joueurs "spectaculaires, divertissants et offensifs", comme Federer qu’il considère comme "le plus grand de tous les temps", même si une partie ou toutes les statistiques viennent un jour contredire l’assertion.
Pour remuer le couteau dans la plaie, il a confirmé voici deux semaines seulement ce qu’il avait déjà affirmé sur le sujet. "Peu importe combien de Majeurs Novak gagne, il ne sera jamais le plus grand pour moi. J'ai joué deux fois contre lui, et s'il ne peut pas me battre, il ne peut pas être le plus grand de tous les temps", a-t-il considéré, le sourire en coin, content de son petit effet. Mais Djokovic n’était-il pas en plein doute et blessé en 2017 ? Et deux petits matches peuvent-ils en dire si long ? Peu importe la vacuité de l’argument, Kyrgios s’amuse à bousculer les statuts pour épicer un peu ce circuit qui l'ennuie. Son patron, le "mur" Djokovic, et sa régularité à l'échange lui inspirent le respect tennistique, pas plus.
Mais de tête de turc occasionnelle, Djokovic est passé à cible privilégiée ces derniers mois. Pourquoi ? A cette question, une réponse principale : l’Adria Tour en juin dernier. S’il aime provoquer sur les courts, l’Australien ne rigole plus quand des vies sont en jeu. Et cette conviction n’a rien d’affecté. N’avait-il pas initié le mouvement de solidarité dans le tennis mondial face aux incendies en Australie ? N’a-t-il pas décidé dès la fin février 2020 de laisser le circuit de côté et de revenir dans sa ville natale de Canberra pour ne pas mettre en danger les siens ?

De tête de turc occasionnelle à ennemi intime : le tournant de l'Adria Tour

"Je ne pense pas du tout être un ‘bad boy’. Je m’emporte un peu sur le court, à chaud, mais c’est ce qui arrive quand vous êtes en compétition et en colère. En dehors du court, je n’ai jamais rien fait contre la loi. Je n’ai jamais conduit en ayant bu, je n’ai pas volé… Si vous prenez du recul, je ne suis vraiment pas méchant", avait d’ailleurs estimé Kyrgios à Indian Wells en 2017. Pas étonnant alors que le non-respect des gestes barrières, l’absence ou presque du port du masque et les milliers de spectateurs présents lors de la tournée dans les Balkans organisée par Djokovic aient mis hors de lui l’Aussie.
Les tweets acides ont alors déferlé. "Organiser cette exhibition, c'était une décision stupide", avait-il d’abord insisté. Avant d’en rajouter une couche : "Mes prières à tous les joueurs infectés. Mais ce n’est plus la peine de mentionner mes agissements comme des actes irresponsables. L’Adria Tour surpasse tout." Alexander Zverev et Dominic Thiem, qui avaient été invités par Djokovic, ont été aussi épinglés comme il se doit.
Mais Kyrgios n’a plus lâché sa victime préférée depuis. Rebondissant sur le cas Djokovic à chaque fois qu’il a été au centre de l’actualité tennistique, et notamment lors de sa disqualification à l’US Open. "Si j’avais été à la place du Djoker, à votre avis, quelle aurait été ma sanction pour avoir ‘accidentellement lancé une balle sur une juge de ligne’ ? 5, 10 ou 20 ans de suspension", s’était-il interrogé ironiquement dans un sondage publié sur Twitter. La querelle enfantine ou la volonté de créer une rivalité de toutes pièces pour servir son personnage ont fait long feu.
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Grosjean: "Kyrgios est très attachant, mais très dur à gérer sur un tournoi"

Kyrgios voit Djokovic en "LeBron James du tennis"... irresponsable

Désormais, c’est bien Novak, l’homme, et ses convictions qui rebutent l’Australien. Qu’il s’agisse de ses doutes sur la vaccination ou dernièrement de sa volonté d’être le porte-voix des joueurs en quarantaine totale en rassemblant leurs propositions dans une lettre. Tout cela ne serait sans doute pas si grave pour Kyrgios si Djokovic n’était pas numéro 1 mondial et au centre du jeu politique. "C’est l’un des leaders de notre sport. C’est en quelque sorte notre LeBron James et il doit montrer l’exemple pour tous les joueurs de tennis. Je sais que tout le monde fait des erreurs, et que certains d’entre nous peuvent dérailler, mais je pense qu’on doit pouvoir demander des comptes."
Kyrgios veut donc mettre Djokovic face à ses responsabilités, celles d’un ambassadeur du tennis mondial, comme le sont également Federer et Nadal. Plutôt ironique, diront certains, venant d’un habitué des amendes sur les courts et même suspendu avec sursis par l’ATP fin 2019 à cause d’une série de comportements borderline. Mais depuis un an, le public a certainement découvert une facette du facétieux Nick plus attachante, soucieuse des autres que ce que le tennis donne à voir de lui. Et si, pour la cultiver, il envoie de temps à autre quelques missiles téléguidés au numéro 1 mondial, celui-ci ne s’en formalisera pas. Car comme Djoko l’a si bien dit lui-même, il n’en dort pas moins bien la nuit.
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