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Coupe Davis - Préparez vos mouchoirs

Laurent Vergne

Mis à jour 23/11/2018 à 09:07 GMT+1

COUPE DAVIS – Cette fois, c'est la fin. La Coupe Davis vit ses dernières heures sous la forme qui a fait d'elle une épreuve d'une nature totalement singulière. A compter de l'an prochain, la Coupe Davis deviendra la Coupe Kosmos. Richement dotée, mais à la saveur plus qu'incertaine. Pour les amoureux de cette compétition unique, la finale France – Croatie aura un drôle de goût. Amer.

Le Saladier d'argent.

Crédit: Getty Images

La Coupe Davis, ce sont ceux qui l'aiment le plus qui en parlent le mieux. Yannick Noah est de ceux-là. On pourra reprocher tout ce qu'on veut à la figure tutélaire du tennis français, mais cette épreuve, il l'a aimée comme personne, qu'il s'agisse du joueur ou du capitaine. Jeudi, il a encore livré une déclaration d'amour, une des dernières puisque, comme il le dit justement, "après, je ne sais pas ce que ce sera, mais ça n'aura plus rien à voir avec la Coupe Davis." Il a raison. La Coupe Davis, telle qu'elle se présentera l'an prochain, n'en aura que le nom. Si vous mettez du Coca dans votre Petrus, vous aurez beau toujours l'appeler Petrus, le goût n'aura plus rien à voir.
"La Coupe Davis, c'est au-delà du tennis. C'est apporter de la joie aux gens". C'est encore Noah qui parle et là aussi, il touche juste. Si cette compétition a touché autant de monde à travers les époques, c'est parce qu'elle générait, pour ses acteurs comme ses suiveurs, des émotions d'une nature unique. Ce n'était pas "mieux" de gagner la Coupe Davis que de gagner un Grand Chelem, ou même le Masters. Mais c'était "différent". Ce Saladier a une âme. Avec la réforme qui s'annonce, c'est cette âme qui s'apprête à être décapitée.
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Yannick Noah

Crédit: Getty Images

La Coupe Davis a changé des vies

Certes, l'an prochain, il y aura toujours une Coupe Davis puisque la marque, elle, intéressait toujours Gerard Piqué et ses amis de Kosmos. Ce sera toujours une épreuve par équipes. Pour le reste, l'incarnation même de son pouvoir émotionnel aura disparu, à travers la suppression de ses deux plus grands atouts : le fait de jouer à domicile, avec un public non de spectateurs mais de supporters (en dehors du premier tour, mais qui ne concernera pas l'immense majorité des nations majeures) et le format en trois sets gagnants. Ce sera peut-être intéressant, encore que je demande à voir, mais Noah a raison, cela n'aura plus aucun lien avec la Coupe Davis.
Cette épreuve a changé des carrières et même, disons-le, des vies. Demandez à Henri Leconte et Guy Forget. Demandez à Paul-Henri Mathieu, à l'autre bout de l'ascenseur émotionnel. Demandez à Novak Djokovic, aussi. La victoire en finale contre la France a joué un rôle de détonateur pour le Serbe qui, s'il était déjà proche du sommet, a connu un avant et un avant Belgrade 2010. Il a la mémoire courte, le Djoker, sur ce coup-là. Gagner, ou perdre une finale de Coupe Davis, avec ce que cela implique de passion, c'était tout sauf neutre.
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Novak Djokovic sous le maillot serbe en Coupe Davis.

Crédit: AFP

Or, ces sentiments-là ont touché à travers les âges, les pays et le degré de compétition. Marton Fucsovics racontait cet été comment la Coupe Davis lui avait permis de prendre conscience de son potentiel. En septembre 2017, en barrages, le Hongrois, dans un état second, avait battu successivement Rublev puis Khachanov. Il n'y a que la Coupe Davis pour vous mettre dans cet état-là. A l'époque, à 25 ans, il était 115e à l'ATP. Ce week-end avait marqué le début de son ascension. Quatorze mois plus tard, il est 37e. "La Coupe Davis m'a révélé qui j'étais, qui je pouvais être vraiment", a-t-il expliqué. Fucsovics n'est pas devenu un immense champion, mais il est devenu quelqu'un d'autre.

Il lui fallait un lifting, pas une trépanation

On nous a expliqué que la tradition, c'était bien gentil, mais qu'il fallait penser à l'avenir. Que la Coupe Davis n'intéressait plus personne. L'édition 2017 a servi d'alibi en or aux hyènes et aux rapaces. Le sacre de l'équipe de France sans avoir à battre un seul joueur de premier, voire de deuxième plan en simple, a fait du tort à la Vieille Dame. Ce n'est pas moi qui dirait le contraire, après avoir parlé du "Malaise du Saladier" au lendemain de la victoire des Bleus contre la Belgique.
Mais 2017 était davantage une exception qu'une règle. L'année précédente, la finale Croatie – Argentine avait été magnifique, avec en point d'orgue le duel en cinq sets entre Del Potro et Cilic. Et cette ambiance... En 2015, Andy Murray avait livré une campagne héroïque, jusqu'au bout, pour ramener le Saladier chez sa Majesté. Et un an auparavant, Roger Federer et Stan Wawrinka étaient sacrés à Lille. La Coupe Davis n'avait pas besoin de Federer, Djokovic ou Nadal tous les ans pour être prenante et envoûtante. Elle était plus grande que ses acteurs, telle était sa force.
Etait-elle parfaite ? Sûrement pas. Avait-elle besoin d'une rénovation ? Probablement. Mais c'est un lifting qu'il lui fallait, pas une trépanation. Il y avait des solutions. Au moins aurait-on pu les tester. Comme le passage à une édition tous les deux ans, par exemple. Le tort de ceux qui aimaient la Coupe Davis a sans doute été de ne pas vouloir bouger. Sans doute ont-ils cru que le poids de l'histoire et des traditions serait suffisant. Mais face aux milliards alignés par Kosmos, il n'a pas pesé lourd. La faiblesse de l'ITF a fait le reste.
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Le mythique Saladier d'argent

Crédit: Getty Images

Tout ça pour ça ?

Oui, il fallait écouter les joueurs. Mais tant qu'à faire, il fallait les écouter tous. A commencer par la jeune génération. Denis Shapovalov et Felix Auger-Aliassime, les deux jeunes pépites canadiennes, qui se sont publiquement lamentées de perdre la chance de rêver à une possible finale de Coupe Davis à domicile, un jour. Alexander Zverev, malgré certaines critiques, a toujours joué le jeu de la Davis depuis le début de sa carrière. Alex De Minaur, dans la tradition australienne, était également attaché à l'épreuve. Borna Coric et Frances Tiafoe ont fini en larmes après leur cinquième match décisif en demi-finale cette année. La Russie, avec Medvedev et Khachanov, annonçait une génération en or. Tous ceux-là ne connaitront pas, ou plus, ce qu'était la Coupe Davis.
L'argument suprême des "modernistes" tenait à l'absence récurrente des plus grandes têtes d'affiche du circuit. Mais vu la précipitation avec laquelle a été mise en place la sainte réforme, rien ne dit que tous feront le déplacement pour cette phase finale à dix-huit (!) fin novembre. Je serais même prêt à parier le contraire. Du coup, on a presque envie de dire "tout ça pour ça ?"
Dans trois jours, la Coupe Davis sera morte. En attendant, il reste à savourer ce dernier week-end. L'affiche est belle, entre une des nations historiques de l'épreuve et une Croatie qui aligne deux des douze meilleurs joueurs du monde. Pas si mal, non, pour une fleur fanée ? En arrière-plan de cette finale, flottera sur le stade Pierre-Mauroy un parfum de fin de vie. Il n'est jamais facile de sourire à un enterrement. Mais on essaiera quand même.
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Denis Shapovalov lors du 1er tour de Coupe Davis contre la Croatie en 2018.

Crédit: Getty Images

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