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Les Grands Récits : Tim Henman, le héros inachevé

Laurent Vergne

Mis à jour 08/07/2019 à 22:08 GMT+2

LES GRANDS RECITS – Tim Henman est un cas unique dans l'histoire du tennis. Il est le seul joueur à avoir atteint six fois les demi-finales en Grand Chelem sans jamais jouer la moindre finale. Un vrai maudit des demies, surtout à Wimbledon, où il a porté les espoirs de tout un peuple. En vain. La "Henmania" a mis Londres en transe pour générer, campagne après campagne, des frustrations colossales.

Tim Henman

Crédit: Eurosport

Fin 2018, nous vous avions proposé de choisir vous-mêmes les sujets de nos Grands Récits. Plus de 460 histoires ont été soumises par vous, lecteurs. Nous en avons retenu douze. Vous pourrez les découvrir dans notre rubrique du mardi jusqu'au mois de juin. Après Steven Bradbury en héros improbable et Elgin Baylor le révolutionnaire maudit, voici, à nouveau dans la catégorie "Malédictions", l'épopée inaboutie de Tim Henman. Six fois demi-finaliste en Grand Chelem, l'Anglais a surtout échoué à quatre reprises aux portes de la finale dans son jardin de Wimbledon.

Bâle, octobre 2005. Tim Henman a 31 ans. Le déclin le pousse doucement mais sûrement vers la sortie. Il n'a plus disputé la moindre finale sur le circuit depuis un an et demi. 2005 sera d'ailleurs sa première campagne sans finale depuis 1996. Contrarié par un dos récalcitrant, la carrière du Britannique agonise gentiment. Sur les terres de Roger Federer, il traine un peu sa misère. Sorti au premier tour, sa saison s'arrête là.
Une défaite dont la presse britannique s'est emparée pour sa portée symbolique. Son bourreau, ce jour-là, a 18 ans. Il porte lui aussi les couleurs de sa Majesté. Il s'appelle Andy Murray et tout le monde connaitra très vite son nom. Cette fratricide bataille dans la très neutre Suisse est la toute première entre l'ex-idole et le grand espoir. La veille, l'ancien comme le novice se sont escrimés à minimiser l'aspect spécial de ce duel. "Un match comme un autre", lancent-ils en chœur.
Tu parles, Charles. Pour l'un comme l'autre, le rendez-vous est plus que particulier. Plus qu'on ne lui murmure, on rabâche le nom de Murray à l'oreille d'Henman depuis des mois. Le successeur, la relève. On lui parle comme s'il n'était déjà plus là. Il ne dit rien, Tim. Trop bien élevé pour ça, l'enfant d'Oxford sait se tenir. Mais le manque de respect pour ce qu'il a été, à défaut de ce qu'il est devenu, le chiffonne.

Murray : "Sans Tim, je n'aurais pas joué au tennis"

Quant à Murray, il s'apprête à se confronter à son principal point de repère. L'Ecossais vient tout juste d'intégrer le Top 100. Pour lui, ce match, c'est comme sa première finale de Grand Chelem. Un rendez-vous dont il se fait une montagne. Comme souvent dans ces circonstances, la rencontre vaut davantage pour sa crispante incertitude que pour ses envolées.
Le cadet finit par l'emporter, 7-6 au dernier set. Le jeune Murray ne lève évidemment pas les bras. Sitôt revenu sur sa chaise après la poignée de mains, il plonge la tête dans sa serviette et fond en larmes. "Sans Tim, je n'aurais pas joué au tennis, dit-il. Il est une telle inspiration. C'est ma plus grande victoire et je me souviendrai de ce jour toute ma vie. J'ai essayé de masquer mes émotions mais à la fin, c'était trop."
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Andy Murray et Tim Henman à Bâle en 2005.

Crédit: Getty Images

Paradoxalement, des deux, c'est donc le gamin qui a le mieux su maîtriser ses émotions. "Il y avait une forme de nervosité et je n'ai pas su la gérer, Andy y est mieux arrivé que moi", admet humblement Henman en quittant le court. Tout ce qui finira par séparer les deux meilleurs joueurs britanniques de l'Après-Guerre face au regard implacable de l'Histoire tient déjà ici. L'un comme l'autre auront porté les espoirs tennistiques de toute une nation. L'un a échoué, l'autre est allé au bout. Si Murray, non sans mal, aura fini par vaincre ses démons, Henman y est resté accroché. Il n'est pas allé au bout de son rêve, triompher à Wimbledon, ni même de son ambition, remporter un Grand Chelem.

De papy à Borg, entre tradition et révélation

Ce rêve venait de loin. De l'enfance. Précocité compréhensible, car le premier atout de Tim Henman, ce fut son arbre généalogique. Les trois générations au-dessus de lui ont pratiqué le tennis à un haut niveau, avec le grand-père maternel en porte-étendard. Henry Billington a atteint les huitièmes de finale à Roland-Garros en 1939 et le 3e tour de Wimbledon après la Guerre. Il est mort en 1980, bien trop tôt pour assister aux exploits de son petit-fils, mais sa femme, Susie, a eu cette chance. "Henry aurait été fier de Tim", a-t-elle dit quand, en 1995, l'héritier tennistique de la famille a gagné son tout premier match à Wimbledon.
Wimbledon. Plus qu'un tournoi. Un mythe national. Le jeune Tim n'a pas encore six ans quand il y met les pieds pour la première fois, en 1980. Une édition marquante, celle de la légendaire finale entre Björn Borg et John McEnroe. Il a raconté l'influence de ce moment sur lui : "Ma mère m'avait emmené et je me suis retrouvé dans les tribunes du Centre Court à regarder Borg jouer. Il avait gagné les quatre années précédentes, c'était un dieu. Il y a eu comme un déclic en moi. J'ai été accroché pour la vie. Je me suis dit 'c'est là que je veux être'. C'était même plus que ça. Ce n'était pas 'je veux jouer ici un jour', mais plutôt 'je veux gagner ici un jour'."
Dès l'enfance, Henman est donc un "tennis addict". En théorie comme en pratique. "Je savais tout des meilleurs joueurs, livre-t-il sur son site officiel. La raquette qu'ils utilisaient, leur cordage, leur classement, leurs forces et leurs faiblesses." Il touche sa première raquette dès l'âge de deux ans et demi. Pas étonnant, vu les antécédents familiaux.
J'ai gagné quelques fois Wimbledon au fond du jardin...
Aussi loin que remontent ses souvenirs, il a vécu et respiré au rythme du tennis. Même s'il était "hyper doué pour tous les sports", selon les dires de son père, la petite balle jaune est vite devenue une obsession. Dans leur propriété de Weston-on-the-Green, petit village coquet de l'Oxfordshire, les Henman disposent même de leur propre court de tennis. En gazon, évidemment. C'est alors son Centre Court à lui. Il le foule tous les jours, s'imaginant, comme n'importe quel gosse, sur une autre scène, plus grande. "J'ai gagné quelques fois Wimbledon au fond du jardin...", sourit-il.
Il a 19 ans quand il accomplit sa première part de rêve en disputant son premier Wimbledon. Battu dès le 1er tour, il décroche son premier succès l'année suivante, avant de s'incliner face à Pete Sampras, déjà double tenant du titre. L'Américain, ogre vert de la décennie, sera à l'origine de certains des nombreux malheurs de Tim Henman. Il n'aura pas été le seul, cela dit.
C'est à partir de 1996 que l'Anglais devient un personnage central de "son" tournoi. Cette année-là, celle du 60e anniversaire du dernier sacre britannique via Fred Perry, il signe son premier coup d'éclat en sortant Evgueni Kafelnikov au 1er tour. Le Russe n'est certes pas un monstre sur herbe, mais il vient de s'imposer à Roland-Garros et avait tout de même atteint les quarts à Londres l'année précédente.

Avant lui, le tennis britannique n'existait plus

Pour la première fois, Henman met le feu au Centre Court. Dans une ambiance proche du délire, il s'impose en cinq sets, sauvant au passage deux balles de match. Le premier d'une longue série de combats épiques. Quand il raccrochera, 11 ans plus tard, le natif d'Oxford aura disputé 13 matches en cinq sets à Wimbledon, pour 9 victoires. Certains sont devenus cultes. Le match contre Kafelnikov a tout de l'acte fondateur. Dès lors, pendant près d'une décennie, Henman fera la pluie et le beau temps dans les cœurs londoniens. Le Royaume va s'enticher de ce jeune garçon aux allures de gendre idéal. Pour ce qu'il était, sans doute, mais plus encore pour le vide qu'il comblait.
Car le tennis britannique est au fond du gouffre quand émerge Henman. Depuis la fin de la Guerre, il n'existe presque pas sur la scène internationale. Il y a bien eu quelques coups d'éclat, comme la finale de John Lloyd en Australie en 1977 (à l'époque où le Majeur des Antipodes était snobé par les principaux ténors), mais jusqu'à Henman, les Britanniques sont condamnés à la figuration.
Public et médias vont s'accrocher à cet espoir comme à une bouée. Entre vent porteur et fardeau, il lui faudra cohabiter avec ces attentes démesurées et ces rêves par procuration. Pas toujours simple. Mais il n'aura pas son pareil dans le rôle de l'aguicheur. Chaque fois que Tim Henman va mettre le pied dans la porte de la gloire pour l'entrouvrir, elle finira par lui claquer au nez. Comme en 1997. En huitièmes de finale, il écarte Richard Krajicek. Le tenant du titre. L'homme qui avait déboulonné Sampras. Henman fait tomber le nouveau roi en quatre sets. Exploit majeur. Mais en quarts, il s'écroule en trois sets contre un autre ancien vainqueur, Michael Stich.

"J'ai joué contre toute l'Angleterre " : La naissance de le "Henmania"

C'est pourtant cet été-là que la passion pour Tim Henman a vraiment décollé pour de bon. La naissance de ce que l'on appellera désormais la "Henmania". Tout a basculé en 24 heures et deux actes. Le premier s'est tenu face à Paul Haarhuis, exceptionnellement le dimanche du milieu du tournoi, les organisateurs n'ayant eu d'autre choix que de programmer des matches ce jour-là, en raison du retard pris à cause de la météo, déplorable.
Loin de l'atmosphère feutrée du vénérable All England Club, Wimbly se transforme en volcan digne des ambiances les plus chaudes de la Coupe Davis. Haarhuis sert pour le match à 5-4 dans le dernier set, mais Henman débreake, avant de s'imposer une heure plus tard, 14 jeux à 12. "Ce n'est pas le meilleur match que j'ai joué, loin de là, mais en termes d'ambiance, c'est le plus fou que j'ai connu, à Wimbledon ou n'importe où ailleurs, s'est remémoré l'Anglais en 2014. Il y avait eu une hola dans les tribunes dès notre entrée sur le court. A l'échauffement, le public hurlait à chacune de mes frappes. C'était dingue."
Haarhuis confirme. Il avait eu, six ans plus tôt, le "privilège" d'affronter Jimmy Connors en quarts de finale à Flushing Meadows lors de la folle épopée de papy Jimbo à l'US Open 1991. Cette fois encore, il a été emporté par la foule. "J'ai joué contre toute l'Angleterre, souffle alors le Batave. Je ne pensais pas revivre un match dans une ambiance aussi extrême, et surtout pas à Wimbledon. Je crois que le public a fait encore plus de bruit qu'à New York quand j'ai joué Connors." Ce qui n'était pas peu dire...
Le lendemain, Krajicek passe donc à son tour à la trappe. La Grande-Bretagne devient folle de sa nouvelle étoile. C'est après ces deux journées que la Terrasse Aorangi, devient la "Henman Hill", la colline d'Henman, où se masse la foule pour regarder les matches sur l'écran géant adossé au court N°1. Ces rassemblements massifs vont contribuer à renforcer l'engouement autour du champion lors de la quinzaine londonienne. "Quand je repense à ces matches, et à l'ambiance qu'il y avait sur la colline, c'est incroyable, frissonne aujourd'hui Henman. Avoir été l'enfant du pays, impliqué dans le plus grand tournoi du monde, et faire rêver un peu les gens, c'est quelque chose dont je reste très fier."
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La Henman Hill, à Wimbledon.

Crédit: Getty Images

Sampras : "Il gagnera ici un jour"

En dépit du dénouement brutal face à Stich, qui ne lui laisse que neuf jeux en quart de finale, l'avenir semble appartenir à Tim Henman. Toute l'Angleterre en est convaincue. Il ira plus loin. Très vite. Il ira au bout. Un jour. La première assertion se vérifiera dès l'année suivante. La seconde, jamais. En 1998, il franchit un pas de plus, pour devenir le premier Britannique dans le dernier carré du simple messieurs depuis Roger Taylor un quart de siècle plus tôt. Il dompte au passage Patrick Rafter et Petr Korda, vainqueurs de deux des trois derniers Majeurs.
Mais il cale aux portes de la finale, en quatre sets, contre Pete Sampras. Le discours ne change pas. Après tout, Henman avance. Et n'a encore que 23 ans. "Je ne vois pas de faille dans son jeu, et la seule différence entre nous aujourd'hui, c'est la seconde balle. Mais Tim a toutes les armes. Il gagnera ici un jour." Les mots sont de Pete Sampras.
Au-delà de la formule de politesse du bourreau pour sa victime, le consensus reste ferme pour abonder dans le sens du maître des lieux. Le même Sampras se chargera encore de lui barrer la route l'année suivante. En demi-finale, encore. En quatre sets, encore. Deux autres échecs en demi-finales suivront. Plus douloureux. Avec, cette fois, la sensation de passer à côté de quelque chose de grand.

Ivanisevic, le crève-cœur

2001. La fin d'une époque. Pete Sampras, septuple vainqueur et quadruple tenant du titre, chute en huitièmes face au jeune Roger Federer. C'est un tournoi à prendre. Notamment pour Henman, à qui tout le monde parlait depuis le tirage au sort de son quart de finale à venir face à Sampras. Le Britannique hérite finalement de Federer, qu'il dompte en quatre sets tendus.
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Tim Henman et Roger Federer à Wimbledon en 2001.

Crédit: Getty Images

Pour sa troisième demi-finale à Londres, il fait face à l'imprévisible et improbable Goran Ivanisevic. Le Croate, retombé au-delà de la 150e place mondiale, a bénéficié d'une wild-card. "Goran, il y a tout ce dont on sait de lui, dit Henman. Ce qu'il est capable de faire sur gazon. Il n'y aura pas de surprise. Puis il y a tout ce qu'on ne sait pas, ni nous ni lui : ce qui va se passer entre ses deux oreilles."
Ce match sera le sommet émotionnel de la carrière de Tim Henman. Cinq sets, près de quatre heures et... trois jours. Débutée le vendredi, la rencontre ne s'achèvera que le dimanche, à cause de la pluie. Pour les nerfs des deux hommes, facilement à vif, un calvaire. Entre les deux, le samedi, à 5-5 dans le tie-break du 4e set, Henman est passé à deux points de sa première finale. Jamais il n'en aura été aussi près. Il s'incline finalement 7-5, 6-7, 0-6, 7-6, 6-3. "Je n'ai perdu que deux fois mon service, j'ai tout donné, mais ça n'a pas suffi. Là, tout de suite, c'est dur à avaler", bredouille le Brit'.
Le match a tenu à rien. Battu par Ivanisevic, Henman l'a peut-être aussi été par les cieux. "Si le match s'était terminé le vendredi, je ne sais pas si je m'en serais sorti", admet le Croate. Henman jouait alors un tennis de rêve. Il n'avait perdu que quatre points dans un 3e set en mode perfection, plié en moins d'un quart d'heure. "Il s'est mis à jouer comme un dieu, il ne ratait rien, je ne contrôlais plus du tout la balle", témoigne Ivanisevic en conférence de presse. Sauvé par les eaux, Goran finira donc par doucher les espoirs de Tim : "Ça me fait mal pour lui, je sais qu'il rêve de gagner ici. Mais c'est mon destin de gagner ce tournoi. Dieu veut que je gagne. Alors il a envoyé la pluie à 2-1 dans le 4e set."
Ivanisevic a raison. Sur la finalité, en tout cas. Le lendemain, lors de la première finale disputée un lundi depuis 1922, il l'emporte 9-7 au 5e contre Patrick Rafter dans un autre match passé à la postérité, à l'image de cette édition 2001 définitivement pas comme les autres. Cette finale, Tim Henman n'a pas voulu la regarder.
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Tim Henman et Goran Ivanisevic après leur incroyable demi-finale en 2001.

Crédit: Getty Images

De la mansuétude à la sulfateuse

Après ce crève-cœur, le ton change. Adieu la mansuétude, la compréhension et les défaites prétendument porteuses d'espoir. La presse britannique, convaincue que son poulain irait au bout, le dézingue. Le Guardian, par exemple, sort la sulfateuse : "Henman nous a beaucoup répété qu'il avait le temps. Mais l'argument ne tient plus. Il a 26 ans, une nouvelle génération arrive, affamée. La réalité, c'est qu'il vient probablement de laisser passer sa meilleure chance de gagner Wimbledon. Il ne sait pas gagner dans les grandes occasions. Mentalement, il n'est pas assez fort." La sentence finale va lui coller à la peau. Une étiquette réductrice, comme toutes les étiquettes.
Il dispute une quatrième et dernière demi-finale en 2002. La perspective d'affronter le novice David Nalbandian en finale a de quoi allécher. Mais il n'aura pas le temps d'y croire. Le public non plus. Loin de la symphonie face à Ivanisevic, l'Oxfordien est balayé en trois manches par le jeune Lleyton Hewitt. Quatre meurtres dans un jardin anglais. Chacune de ses défaites en demie aura été concédée face au futur vainqueur...
Battu en quarts de finale par Sébastien Grosjean (2003) puis Mario Ancic (2004), il s'efface alors progressivement. S'il jouera deux autres demi-finales majuscules, ce sera paradoxalement loin de son cher Centre Court, à Roland-Garros puis à l'US Open, en 2004. Deux défaites de plus. Henman, ou le maudit des demies. Mais rien de comparable, sur l'échelle de la douleur, avec ses échecs répétés à Londres.

"Timbledon", ou le gentleman maudit

Son bilan à Wimbledon est tout sauf négligeable. Il y a gagné 43 matches. Plus que Leyton Hewitt. Plus qu'Andy Roddick, triple finaliste. Dans toute l'histoire du tournoi, il est le seul, parmi les joueurs à plus de 40 matches gagnés, à ne jamais avoir atteint la finale. Il reste ainsi associé à l'image du héros inachevé, du loser magnifique. "Timbledon", ou le gentleman maudit.
Au fond, que lui a-t-il manqué ? Un mental de tueur, comme le suggérait le Guardian ? Tim Henman ressemble à Oxford, incarnation ultime de l'excellence et de la tradition britannique. De son jeu, certains ont dit qu'il ressemblait à sa ville natale : classique et élégant, sans que l'on sache bien s'il s'agissait là d'un compliment ou d'une perfidie, comme pour souligner en creux tout ce qu'il n'était pas.
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Tim Henman, une passion anglaise

Crédit: Getty Images

"Le jeu de Tim était à l'image du personnage, juge Cédric Pioline, qui l'a longtemps côtoyé sur le circuit. Il était 'smart', sur le court comme en dehors. C'est quelqu'un que j'appréciais beaucoup, un mec intéressant, très british, jusque dans son humour."
Le joueur Henman avait l'allure du gazon de Wimbledon au premier jour du tournoi : propre, impeccable. Un tennis au charme suranné. Celui de l'Angleterre dont il est issu. Mais quand, en fin de quinzaine, le court, ravagé, prend des allures de tranchée, que le match devient bataille, il faut, aussi, se muer en guerrier.
Alors, était-il trop "soft" pour aller au bout de ses rêves ? "Je suis un combattant, s'était-il défendu, agacé, en 2003. Je suis quelqu'un de réservé, de poli, mais quand je suis sur le court, au fond de moi, je suis extrêmement déterminé. Je n'ai pas peur de l'enjeu ou de la foule, et je suis un vrai compétiteur. J'ai l'instinct du tueur, croyez-moi." En somme, on lui aurait fait un délit de belle gueule.

Que reste-t-il de Tim Henman ?

Tim Henman fait probablement partie des meilleurs joueurs à jamais avoir remporté un Grand Chelem. Un "compliment" presque insupportable quand on rêvait de titres. "Quand tu es compétiteur, tu ne peux pas te satisfaire d'être bien placé, glisse Pioline qui, lui aussi, s'est approché tout près du Graal sans le toucher. Il y a une part de regrets chez moi, comme chez Tim j'imagine. Mais ce n'est jamais tout blanc ou tout noir. C'est un mélange de fierté et de constat d'échec. Ne pas être loin, ça génère forcément des regrets. Mais pour avoir ces regrets, il faut quand même avoir accompli de grandes choses, c'est tout le paradoxe."
De fait, de Mark Edmondson à Thomas Johansson (entre autres), des joueurs moins huppés et moins brillants que Tim Henman ont mis dans le mille. Une carrière c'est, aussi, affaire de circonstances. De chance ? "La chance existe. Sans cela, comment expliquerait-on la réussite des autres ?", ironisait l'académicien Marcel Achard. Mais suffit-elle à expliquer l'absence de réussite de Tim Henman ? A l'évidence, non. "Tomber sur le règne de Sampras, à Wimbledon, n'était pas un cadeau, mais il a eu sa chance en 2001 et 2002, et, malheureusement, n'a pas su la saisir", rappelait le Daily Telegraph à son départ à la retraite, en 2007.
Que reste-t-il de Tim Henman ? Les accomplissements d'Andy Murray ont, rétrospectivement, mis un peu plus dans l'ombre ceux de l'Anglais. Il n'y a pas photo entre les deux. En Grande-Bretagne, Henman est souvent considéré comme un "underachiever". Un type qui n'a pas atteint les sommets promis. "Peut-être a-t-il simplement joué au maximum de ses possibilités, jugeait au contraire John McEnroe en 2002 après sa défaite contre Hewitt. Peut-être a-t-il même accompli davantage encore que ce qu'il pouvait faire. Très peu de joueurs gagnent à Wimbledon. Être quatre fois demi-finaliste, c'est déjà remarquable. Il devrait plutôt être salué pour ça."
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Tim Henman à Wimbledon en 2003.

Crédit: Getty Images

Il n'a pas gagné, mais il nous a donné des palpitations à grande échelle
"Est-ce que je suis triste de ne pas avoir remporté Wimbledon ? Oui", avouait le principal intéressé dans le communique publié à son départ à la retraite, testament médiatique du champion. "Mais, ajoutait-il comme pour donner raison à McEnroe, quand je regarde ma carrière, je pense avoir maximisé mon potentiel. J'ai beaucoup de grands souvenirs à Wimbledon, et j'espère vous en avoir laissé".
Là-dessus, aucun doute. "Il est devenu un phare d'espoir national dans un sport qui, autrement, était passé sous silence, a écrit Mark Nicholas dans le Guardian il y a quelques années. La Henmania a happé des gens aux quatre coins du pays. Des gens qui, auparavant, se foutaient du tennis. Il n'a pas gagné, mais il nous a donné des palpitations à grande échelle, créant à lui seul, deux semaines par an, un soap opera sans rival en termes de dramaturgie et de rebondissements."
Les titres et les souvenirs sont deux métaux précieux. Ils n'ont pas le même éclat et n'apportent pas les mêmes satisfactions, au champion comme à l'observateur. Mais ceux qui, des années durant, ont vibré sur les flancs de la Henman Hill, dans les tribunes du Centre Court ou devant leur écran, savent ce qu'ils doivent à Tim Henman : des émotions sur lesquelles on ne peut mettre un prix. Ni même un voile.
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Tim Henman et Andy Murray à Wimbledon en 2018.

Crédit: Getty Images

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