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A Roland-Garros, seul Rafa arrêtera Nadal

Laurent Vergne

Mis à jour 10/06/2019 à 11:30 GMT+2

ROLAND-GARROS – Et de douze. Le surréaliste palmarès parisien de Rafael Nadal a encore grossi dimanche avec la victoire du Majorquin contre Dominic Thiem. La durée de sa suprématie terrienne sidère peut-être davantage encore que son ampleur. Et ce n'est peut-être pas fini. Tant que, physiquement, Nadal évoluera à ce niveau, il sera très compliqué de le dompter Porte d'Auteuil.

Rafael Nadal est toujours le roi de Roland-Garros.

Crédit: Getty Images

Le tout premier Roland-Garros dont je me souvienne est l'édition 1981. Cette année-là, Björn Borg enlevait son 6e titre à Paris et, du haut de mes six ans, j'entendais autour de moi "six victoires à Roland-Garros, on n'est pas près de revoir ça". Borg n'avait que 25 ans et, semble-t-il, amplement le temps de repousser ses propres limites statistiques. Le Suédois au bandeau apparaissait comme un monument indépassable. Jamais on n'avait vu un joueur dominer à ce point la concurrence sur terre battue. Mais il n'a plus remis les pieds à Roland, sur les courts en tout cas. Il s'est arrêté là, nous laissant avec ce goût d'inachevé et cette interrogation : jusqu'où serait-il allé ?
Presque quarante ans plus tard, Borg apparait loin. Dans le temps, ce qui est fâcheux pour moi mais dans l'ordre des choses. Mais aussi au palmarès du majeur parisien. Rien que sur ces trois dernières années, Nadal a claqué un triplé, à plus de trente ans, qui suffirait à lui seul à l'ancrer dans le gotha parisien. Trois titres (consécutifs, donc, en prime), soit autant qu'un Lendl, un Wilander ou un Kuerten, des champions majuscules de l'histoire de Roland-Garros. Quand bien même il n'y aurait que cela, il serait déjà un roi. Mais ce n'est là qu'un chapitre de son roman de Roland.
Il y a huit ans, Rafael Nadal égalait Borg. Douze mois plus tard, en 2012, il dépassait la légende nordique pour devenir l'unique recordman des titres à Roland-Garros. Nous sommes maintenant en 2019, 14 années après le début du règne nadalien et Rafa de Manacor a apposé à douze reprises son nom sur la Coupe des Mousquetaires. Nadal a désormais un Borg dans chaque main. Effarant.
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Rafael Nadal et Björn Borg, duel à travers les âges. (Par Florian Nicolle)

Crédit: Eurosport

On pourra toujours avancer que Borg, s'il avait continué, aurait peut-être, lui aussi, marqué dans des proportions historiques Roland-Garros. Peut-être pas douze. Mais neuf ou dix, oui. Sauf que ce "si" n'a pas de sens. Ce qui rend phénoménale la suprématie nadalienne, c'est précisément la combinaison de l'ampleur de cette domination et sa longévité. Il n'a jamais été effleuré par une quelconque lassitude, contrairement à Borg ou à tant d'autres champions ayant émergé si précocement. Et pour cause : Nadal est peut-être le plus formidable compétiteur que ce sport n'ait jamais connu.
Il a su, aussi, bonifier son jeu dans des proportions inimaginables. Revoyez les images de son premier titre à Roland-Garros. Dans sa férocité, sa puissance, sa détermination, Rafa était déjà Nadal. Mais le joueur qu'il est devenu au fil des ans est autrement plus complet. Son service, devenu une véritable arme trop souvent sous-estimée. Côté revers, il est aujourd'hui presque aussi inabordable que sur son coup droit. Et que dire de son jeu au filet. Dimanche, contre Dominic Thiem, l'Espagnol a peut-être livré sa plus belle partition dans ce domaine remportant 23 points en 27 montées et délivrant quelques volées d'une absolue maîtrise.
La dimension physique du personnage, elle, demeure inégalable. A 19 ans, les ruades du taureau de Manacor renversaient déjà tout sur leur passage. Il en a 33 ans et cette équation-là parait toujours aussi complexe à résoudre. C'est tout le problème, pour la concurrence. On ne soulignera jamais assez l'immensité du gouffre qui sépare une victoire contre Nadal sur terre battue en deux sets gagnants et sur la distance des cinq manches. Dominic Thiem peut en témoigner. Il n'est ni le premier ni le dernier.
Oui, le fait d'avoir dû jouer jeudi, vendredi et samedi ne l'a pas aidé. Le contexte de cette fin de quinzaine a pesé sur l'intérêt de cette finale, terminée à partir du moment où l'Autrichien n'avait plus de réserves. A-t-elle pesé au point de modifier son dénouement ? On ne le saura jamais. A défaut de savoir, on peut en penser quelque chose. A mon humble avis, Thiem aurait peut-être tenu un set de plus, mais il aurait fini par exploser. Dimanche, il a dû déployer une débauche d'énergie phénoménale dans les deux premiers sets. Il l'a payé chèrement. Battre Nadal en trois sets gagnants sur terre revient à devoir couvrir un trajet de 800 kilomètres avec un réservoir taillé pour en faire 500. Sans ravitaillement possible.
La réalité, c'est que tant que Nadal évoluera physiquement à ce niveau, il aura de fortes chances de gagner Roland-Garros. Cette douzaine, qui nous sidère aujourd'hui, sera peut-être bientôt contemplé dans le rétroviseur, comme le record de 2012 ou la decima de 2017. Seul Rafa peut écarter Nadal de la liste des prétendants. Comme en 2015, où il n'était que l'ombre de lui-même, ou l'année suivante, quand il avait dû renoncer avant les 16es de finale, le poignet en vrac.
Un seul homme sur le circuit peut aujourd'hui rivaliser sur terre pendant quatre ou cinq heures avec le duodécuple (je ne savais même pas que le terme existait avant de le chercher) vainqueur de Roland-Garros. Il s'appelle Novak Djokovic. Physiquement, ce n'est pas un problème pour lui. Son problème, c'est que, contrairement à Nadal, le Serbe peut se trouver fragilisé face à d'autres adversaires.
Nadal n'a été battu que par deux hommes en 120 matches au meilleur des cinq sets sur terre. Rien que ces quatre dernières années, et rien qu'à Roland-Garros, Djokovic, lui, s'est incliné face à Wawrinka, Thiem (deux fois) et Cecchinato. Les circonstances varient d'un échec à l'autre, à commencer par sa propre forme. Le Djoko de 2015 n'était pas celui de 2018 qui lui-même ne ressemblait pas à celui de la quinzaine écoulée. Mais selon ces variables d'ajustement, Djokovic peut tomber à Paris avant de défier Nadal. L'inverse n'est pas vrai.
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Novak Djokovic

Crédit: Getty Images

Dans un demi-siècle, les contemplateurs du tennis du futur auront sans doute du mal à appréhender les accomplissements terriens du Majorquin. Ils sont sous nos yeux, et nous n'en sommes pas moins étourdis. Il est difficile, et sans doute vain, de comparer les pages de légende. Mais le couple Nadal / Roland-Garros tient une place à part. Je ne dis pas au-dessus des Grands Chelems de Budge ou Laver, ou de celui sur deux ans de Djokovic, ou encore des vingt couronnes de Federer. Mais à part, oui.
Pourquoi ? Parce que nous reverrons peut-être un jour un champion gagner vingt tournois du Grand Chelem ou davantage. Après tout, qui aurait pensé, fin 2002, que le recordman Sampras tomberait du podium historique à peine plus de quinze ans après ? Nous reverrons peut-être un joueur détenir les quatre couronnes majeures en même temps. C'est monumental mais cela requiert, au fond, de dominer son sujet et ses sujets sur une période relativement courte.
Mais douze titres à Roland-Garros, compte tenu des exigences de la surface, c'était inimaginable. Il faut gagner très jeune (fait rarissime aujourd'hui), imposer une domination sans partage et durer au-delà de la trentaine. La combinaison de ces éléments rendait invraisemblable cette douzaine-ci, et tout aussi improbable sa reproduction à l'avenir. En cela, Rafael Nadal laissera dans l'histoire de son sport une trace non seulement indélébile, mais absolument unique.
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Rafael Nadal

Crédit: Getty Images

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