La gagne et rien d'autre ? Ce que Gilbert apporte à Gauff

A 62 ans, il semblait avoir fait le tour des circuits. Depuis quelques années consultant pour la télévision américaine (ESPN), intervieweur d'après-match à l'US Open et observateur attentif du jeu sur les réseaux sociaux, Brad Gilbert était passé de l'autre côté du décor. Il faut dire que sa réputation n'était plus à faire après avoir accompagné les derniers succès de l'âge d'or du tennis masculin US avec Andre Agassi d'abord (six titres du Grand Chelem ensemble) et Andy Roddick, dernier représentant de la bannière étoilée à avoir triomphé en Majeur à Flushing en 2003.

Mais celui qui est également connu pour son best-seller Winning ugly ("Gagner moche" en français publié en 1994) a donc surpris son monde au début du mois d'août en reprenant du service. Et cette fois, il a répondu positivement à l'appel d'une joueuse, Coco Gauff. "J'ai eu des offres ces dernières années, mais je dirais que je cherchais le bon joueur ou la bonne joueuse. Je pensais vraiment à entrainer à nouveau, mais je pensais surtout à le faire auprès d'un ou une jeune Américain(e)", a-t-il expliqué sur le site de l'US Open.

Et il connaît le secret pour mener au Graal un champion en devenir. Il y a tout juste vingt ans, Roddick l'avait également engagé au cœur de l'été avec des résultats plus que probants : un triplé Montréal-Cincinnati-US Open (19 victoires d'affilée) et une place de numéro 1 mondial en fin d'année. Cori Gauff connaîtra-t-elle la même réussite ? Rien ne l'assure, mais les débuts sont prometteurs. Avec Gilbert en soutien de l'Espagnol Pere Riba, elle a remporté deux de ses trois premiers tournois (Washington et Cincinnati, son premier WTA 1000) ainsi que 14 de ses 15 derniers matches dont 8 consécutifs (série en cours).

Battue d'entrée à Wimbledon en juillet, l'enfant-prodige du tennis US avait besoin d'un second souffle. Car si elle n'a que 19 ans – et il est très important de le rappeler –, elle semblait s'éloigner ces derniers temps de son prochain objectif logique : la gagne en Grand Chelem. Après sa finale à Roland-Garros en 2022, la stagnation guettait avec des quarts à l'US Open 2022 et encore sur la terre parisienne en 2023. De beaux accomplissements pour la plupart des joueuses, pas pour l'Américaine et ses hautes ambitions.

Mais en quoi Gilbert fait-il donc la différence ? Pour en avoir une idée plus précise, écouter Andy Murray qui avait travaillé avec lui en 2006-2007 est un bon début. "Il adore parler des face-à-face avec les adversaires, de comment exploiter les faiblesses des autres, a-t-il expliqué en conférence de presse. Il comprend juste comment gagner, vraiment. Il ne s'agissait pas tant de se concentrer sur l'aspect technique ou physique des choses. Tout était très axé sur la stratégie et la méthode pour gagner des matches, ce qui est le plus important en fin de compte. Tous les joueurs peuvent gagner quand ils jouent bien, c'est quand votre tennis est moyen qu'il faut trouver un moyen de s'en sortir."

Le principal intéressé confirme, toujours sur le site de l'US Open. "La chose qui m'a le plus manqué, de loin – et on ne le réalise qu'en replongeant dans le grand bain – c'est l'art simple de l'observation et de l'analyse. Je pense que c'est la force de mon coaching." Indéniablement, Gauff en bénéficie. Dans ce début de tournoi, si elle a eu parfois du mal à se mettre en route, elle s'est surtout distinguée par sa capacité à résoudre les problèmes qui lui étaient proposés. D'abord contre Laura Siegemund et son jeu tout en variations au 1er tour (3-6, 6-2, 6-4), puis face à Elise Mertens (3-6, 6-3, 6-0) au 3e. Par le passé, l'Américaine aurait peut-être laissé la frustration la gagner, ce n'est plus le cas car son plan de jeu est plus clair dans sa tête.

Sur ce chemin, l'observation des meilleurs est toujours très instructive. Gilbert la recommande, mais Gauff en avait déjà conscience, elle qui a dégusté les duels récents entre Novak Djokovic et Carlos Alcaraz. "La chose que j'ai le plus apprise d'eux, c'est la manière dont ils sont capables de gérer les situations dans lesquelles ils ne jouent pas leur meilleur tennis, a-t-elle noté face aux journalistes. Par exemple, contre Hubert Hurkacz à Cincinnati, alors qu'il avait un set de retard et qu'il a dû sauver une balle de match, Carlos souriait. S'il peut sourire alors qu'il est numéro 1 mondial, qu'il a toute cette pression et qu'il est censé battre Hubi sur le papier, alors je peux le faire contre Iga (Swiatek) ou Sabalenka par exemple, quand je suis considérée comme l'outsider."

Gilbert et Gauff sont donc sur la même longueur d'onde. L'approche tactique et psychologique sera d'ailleurs fondamentale pour le huitième de finale à venir contre la revenante Caroline Wozniacki dont l'intelligence de jeu n'est plus à prouver. Reste à savoir si l'ex-coach d'Andre Agassi sera aussi capable de faire progresser tennistiquement sa nouvelle élève. Des changements sont déjà à noter sur la seconde balle de l'Américaine, visiblement moins fragile ces dernières semaines. Son coup droit est un autre chantier auquel il fraudra s'attaquer à moyen terme.

"Elle a beaucoup de grands atouts dans son jeu et je réfléchis aux moyens d'améliorer ce qu'elle fait, a-t-il encore estimé. J'aime aussi réfléchir beaucoup sur la stratégie et sur certaines des choses que vous pouvez faire pour aider les joueurs dans le travail au quotidien." En attendant de juger de ce travail de fond, les résultats sont là. De ce point de vue, la méthode Gilbert fonctionne toujours visiblement.