US Open 2025, simple messieurs – Adrian Mannarino, l'homme qui a façonné un tennis qu'on ne connaissait pas

Adrian Mannarino dispute ce dimanche son premier huitième de finale à l'US Open face à Jiri Lehecka. Au bout, peut-être, le premier quart en Grand Chelem d'une carrière vraiment pas comme les autres. Désormais sûr de ce qu'il est et du jeu qu'il veut pratiquer, le "Divin chauve", cultive son côté atypique. C'est ce qui lui réussit et qui lui permet encore de gagner et de s'éclater à 37 ans.

Mannarino, la résurrection du Divin Chauve

Video credit: Eurosport

Et dire qu'au début, il était un peu l'archétype du joueur français, nourri au goût du geste beau et du tennis champagne. Quand il a débarqué sur le circuit et signé son premier coup d'éclat en atteignant les demi-finales du Moselle Open en 2008, à l'âge de 20 ans, Adrian Mannarino était d'ailleurs un peu perçu ainsi : un gaucher talentueux, mais assez indolent, façon Marcelo Rios, l'une de ses idoles d'enfance. Dix-sept ans plus tard, alors qu'il va tenter ce dimanche, face à Jiri Lehecka, de se hisser pour la première fois de sa carrière pour les huitièmes de finale d'un Grand Chelem, on peut dire qu'il a bien changé.
Laurent Vergne le disait l'autre jour dans ces colonnes : dans un tennis français qui brille par sa densité et sa diversité, on trouve vraiment de tous les styles par chez nous. C'est vrai. Mais le style Adrian Mannarino, en revanche, on ne le trouve nulle part ailleurs. Même s'il est amplifié par le son de la télé, écoutez le bruit de la balle qui sort de sa raquette : il n'y en a pas, ou presque. Normal. Avec son filet à papillon en guise de cordage (entre 10 et 12 kg de tension), Adrian caresse la balle plus qu'il ne la frappe. Ne cherchez pas : c'est unique en son genre.
Quand on le regarde jouer, ça a l'air tellement facile… Il dénote par rapport à nous qui avons l'air de souffrir à chaque frappe.
C'est aussi, en plus de son amour pour le tennis, l'une des raisons de son exceptionnelle longévité. "Manna" ne meurtrit pas son corps à envoyer des souches. Son geste semble dénué du moindre effort apparent. Son talent à lui, ce fameux talent qu'on a souvent du mal à repérer, est incontestablement là. Associé au gaucher val-d'oisien l'an dernier en United Cup, la néo-retraitée Caroline Garcia s'en était d'ailleurs émue auprès de l'ATP : "Quand on le regarde jouer, ça a l'air tellement facile… Il dénote vraiment par rapport à nous tous qui avons l'air de souffrir à chaque frappe. Et c'est vraiment sympa à voir."
Atypique. Voilà bien le mot le plus souvent accolé au nom Mannarino. Un mot qu'il ne renie pas, du reste. Mieux : il le cultive. Tout, chez Adrian, est atypique. Son jeu et son cordage, on l'a dit. Cette fixette sur ses raquettes et plus encore sur ses grips de raquette, qu'il prend soin de sculpter à la main avant (voire pendant) chaque match avec un drôle d'engin. Ce refus de connaître jusqu'au dernier moment le nom de son adversaire, parce qu'il ne veut pas titiller ses complexes d'infériorité ni se pourrir la tête sur le plan tactique trop longtemps à l'avance. Cette faible appétence pour les tournois en France. Cet ego sous-dimensionné pour un joueur de sa trempe. Et cet humour pincé qui gagne à être connu. Chez "Manna", il n'y a à la fois rien qui va, et tout qui fascine.
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Mannarino, la résurrection du Divin Chauve

Video credit: Eurosport

Parce qu'il est une sorte de dinosaure égaré dans un tennis moderne essentiellement basé sur la surpuissance, le "Divin Chauve" – un surnom qui prouve l'attachement que lui porte désormais le public français - marche en permanence sur un fil. Il a besoin, pour imposer son style dans ce monde qui n'est a priori pas le sien, de trouver ce relâchement extrême qui va lui permettre de prendre confiance. Et, petit à petit, de tisser sa toile d'araignée sur le terrain, pour rentrer dans le cerveau d'adversaires beaucoup plus costauds, comme il avait su le faire au troisième tour contre Ben Shelton, avant que l'Américain ne se blesse. Pas simple pour ce maniaque quasi-obsessionnel qui n'aime pas la lumière et qui s'estime au fond de lui "inférieur à 95% des autres joueurs", jusqu'à ce qu'il réalise sur le court qu'il ne l'est pas tant que ça.
Comment définir son jeu, unique en son genre ? Lui-même ne sait pas trop. Ce qui est sûr, et c'est aussi pourquoi il est devenu si fort, c'est que Mannarino a passé énormément de temps à travailler sur cette identité de jeu. "Quand il a commencé, il n'a jamais "voulu" avoir un style, et je pense qu'il ne s'est jamais posé la question, raconte son père, Florent, lui-même professeur de tennis et qui a longtemps été son entraîneur, jusqu'à ce qu'il prenne du recul en 2009. Il a toujours joué à l'instinct, en prenant la balle très tôt, sans aucun effet, en coup droit comme en revers, en cherchant souvent à déplacer l'adversaire et en attendant que l'autre fasse la faute."
Ce style, beaucoup ont voulu le lui changer, pour le faire entrer dans les carcans du tennis moderne. Ça n'a jamais vraiment marché, bien au contraire. Jusqu'à ce que le joueur réalise à la tournure des années 2010, au prix notamment de longues discussions avec Jean-Christophe Faurel (désormais coach de Coco Gauff), qu'il lui fallait au contraire cultiver son atypisme. Progressivement, méthodiquement, il a alors façonné ce tennis de contreur un peu "laborieux", comme il le dit parfois lui-même, qui tranche assez nettement avec le style plus flamboyant de ses débuts.
"Comme beaucoup, j'ai failli me perdre en voulant pratiquer un beau tennis. Et, puis j'ai fini par comprendre et par accepter que ce n'est pas ce qui marchait le mieux pour moi, nous disait-il il y a quelque temps. A partir de là, j'ai mis en place autre chose. Progressivement, j'ai adopté un tennis solide et régulier. J'ai mis du temps aussi à trouver l'équilibre entre être un joueur solide tout en gardant une certaine dose d'imprévisibilité qui me correspond également. C'est un subtil équilibre et cela prend du temps pour trouver la bonne recette."
Je ne supporte pas de me regarder à la télé. J'ai l'impression que c'est horrible, immonde.
La bonne recette, il a fini par la trouver en même temps qu'il tirait un trait sur ses fantasmes tennistiques de jeunesse. On ne les citera pas, mais on les connaît tous, ces joueurs qui adorent se regarder jouer, parfois un peu trop. Ce n'est pas vraiment le style de la maison "Manna". "A un moment donné, j'ai tiré un trait sur mes espoirs de pratiquer un beau tennis, avait-il rajouté avec ce fameux humour décapant. Aujourd'hui, je ne supporte pas de me regarder à la télé. J'ai l'impression que c'est horrible, immonde. Mais je préfère jouer comme ça et gagner ma vie plutôt que jouer "champagne" et perdre chaque semaine en Challenger." 
Quoi que perdre chaque semaine en Challenger, c'était un peu devenu son triste quotidien en début de saison, à une période où, plombé par des soucis physiques et une confiance en berne, il ne retrouvait plus la clé de son tennis mystère. A ce moment-là, et pour la première fois depuis de longues années, Adrian Mannarino avait perdu contact avec le haut niveau. Au point d'envisager très sérieusement d'arrêter. C'eût été franchement dommage. Il n'aurait pas connu cette magnifique occasion qui va s'offrir à lui, ce dimanche, de percer enfin en pleine lumière. Et le tennis français aurait perdu l'un de ses joueurs les plus attachants, mais aussi les plus intrigants.
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