Wimbledon : Elena Rybakina, la finaliste qui dérange

WIMBLEDON - Née à Moscou mais naturalisée Kazakhe en 2018, Elena Rybakina est une finaliste qui met dans l'embarras le All England Club. L'organisation, qui avait décidé de bannir Russes et Biélorusses du tournoi dans le contexte de la guerre en Ukraine, s'est piégée toute seule. Et ce même si le Kazakhstan a joué un rôle-clé dans l'éclosion de la championne.

Elena Rybakina à Wimbledon en 2022

Crédit: Getty Images

Son ultime retour de revers gagnant a laissé le Centre Court presque silencieux. Comme effaré par tant de puissance, de précision et la surprise de voir une ancienne championne, Simona Halep, balayée par une joueuse encore relativement inconnue du grand public. A Wimbledon, Elena Rybakina vit (pour le moment du moins) la quinzaine de sa vie : la 23e joueuse mondiale jouera sa première finale en Grand Chelem samedi face à Ons Jabeur, beaucoup plus attendue à ce stade, sur le Centre Court.
Et il n'y a vraisemblablement pas que sur le Centre Court que le silence s'est fait. Parmi les responsables de l'organisation du tournoi au All England Club, il n'était probablement pas question de soupirs d'admiration mais d'une certaine gêne. Car si le passeport d'Elena Rybakina mentionne le Kazakhstan depuis 2018, la joueuse était bien Russe avant sa naturalisation. Or, Wimbledon a banni les compatriotes de Vladimir Poutine et les Biélorusses en raison de la guerre en Ukraine pour ne pas leur donner de visibilité.
Mais quelle différence fondamentale y a-t-il entre une Rybakina et d'autres Russes expatriés toute l'année sur le circuit ? Immanquablement, le sujet est revenu sur le tapis en conférence de presse. L'intéressée représente-t-elle la Russie d'une certaine manière ? Se sent-elle russe ?
"J'ai déjà répondu à cette question. Comme je l'ai dit, je représente le Kazakhstan depuis longtemps et j'en suis très heureuse. Ils ont cru en moi et il n'y a plus de questionnement à ce sujet en moi. Ça ne date pas d'hier : j'ai participé aux Jeux Olympiques sous la bannière kazakhe, la Fed Cup aussi. Qu'est-ce que cela signifie pour vous de se sentir russe ? Je joue au tennis et je profite du temps que je passe ici. J'ai de l'empathie pour les joueuses et joueurs qui n'ont pas pu venir ici. Mais je prends du plaisir ici sur l'une des plus grandes scènes du tennis au monde et j'essaie de faire de mon mieux", a répondu Rybakina entre sincérité et embarras.
Et pour cause, difficile pour la native de Moscou de nier ses attaches avec la Russie. Un mystère subsiste d'ailleurs sur son lieu de résidence actuel. Vit-elle toujours dans la capitale russe ? "Je pense que je vis sur… le circuit parce que je voyage beaucoup. Je m'entraîne en Slovaquie entre les tournois et j'ai eu des camps d'entraînement à Dubaï aussi", a-t-elle encore botté en touche. Son histoire n'est pourtant pas si étonnante et ressemble à celle de beaucoup de ses nouveaux compatriotes, comme Mikhaïl Kukushkin par exemple, le premier à avoir franchi le pas de la naturalisation en 2008.

Des moyens contre une naturalisation et des résultats rapides

Après s'être essayée à la gymnastique et au patinage artistique - disciplines pour lesquelles elle était déjà estimée trop grande à 3 ou 4 ans -, Elena Rybakina s'est mise au tennis à Moscou à l'âge de 5 ans. Douée, elle a intégré le Spartak Club, groupe de joueuses et joueurs russes prometteurs entraînés par Andrei Chesnokov, jusqu'à briller chez les juniors. Mais pour se lancer en tant que professionnelle, elle manquait de moyens.
Elle aurait pu étudier et jouer au tennis dans un cursus universitaire aux Etats-Unis, mais Rybakina a donc préféré la proposition faite par la fédération kazakhe de tennis de l'accompagner dans son début de carrière. Elle a ainsi pu bénéficier d'installations idéales pour pouvoir s'entraîner et progresser. La seule contrepartie était d'accepter de se faire naturaliser. Président de la fédération kazakhe de tennis et milliardaire selon le magazine Forbes, Bulat Utemuratov, qui a d'ailleurs fait le déplacement à Wimbledon pour soutenir la joueuse, a joué un grand rôle dans cette affaire.
Et ce choix fondamental n'a pas tardé à porter ses fruits. Un an après sa naturalisation, Rybakina a été élue révélation de la saison 2019 par la WTA grâce à sa progression impressionnante de la 186e à la 37e place mondiale, avec une première finale sur le circuit WTA à Nanchang et un premier titre à Bucarest. Avant de commencer l'exercice suivant sur les chapeaux de roue par quatre finales en cinq tournois dont un nouveau sacre à Hobart. Finalement, seule l'émergence du Covid a alors contrarié son ascension.

Pas de message politique à craindre, mais une polémique évitable

"C'était vraiment dur parce que j'avais l'impression que tout me réussissait. Mais après l'interruption, c'était vraiment difficile de revenir, d'autant que je n'avais pas pu m'entraîner pendant la pandémie. Et j'enchaînais les pépins : blessures, maladies, allergies. J'étais très déstabilisée mais mon coach me disait que, peu importait ma condition physique, je devais continuer à travailler pour progresser. Et d'ailleurs, je ne suis pas à 100 % physiquement dans ce tournoi, je devrai continuer à travailler après pour bien préparer la tournée américaine", a-t-elle encore expliqué.
Malgré son service canon et son aisance pour empiler les coups gagnants, Rybakina n'avait pas fait mieux qu'un quart de finale à Roland-Garros l'an passé en Grand Chelem avant cette quinzaine. Déjà étonnée de se retrouver en seconde semaine pour la troisième fois de sa carrière en Majeurs, la 23e joueuse mondiale est d'autant plus surprise de jouer la finale. Sans préparation et sans attente particulière avant le tournoi, elle a finalement joué plus relâchée que d'habitude tout en profitant de l'absence des Russes et Biélorusses dans le tableau pour tracer sa route.
Et si cette insouciance et ce relâchement lui permettaient de soulever le trophée samedi ? "Si ça arrive, c'est bien. Sinon, c'est toujours un bon résultat pour moi. Quand j'étais enfant, je ne pensais pas que je serais ici un jour, parce que je n'ai décidé de passer professionnelle qu'à 17-18 ans." Il n'y aura donc aucun message à caractère politique à craindre pour le All England Club, mais le mal est fait pour l'organisation dont l'inanité de la décision a été plus que soulignée par ce cas de figure inattendu. Un clin d'œil ironique du destin que certains pourraient qualifier de juste retour de bâton.
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