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WIMBLEDON 2023 - Casper Ruud éliminé au 2e tour après sa finale à Roland-Garros, l'herbo-allergique anachronique

Rémi Bourrières

Mis à jour 07/07/2023 à 08:49 GMT+2

A une époque "uniformisée" où le premier terrien venu semble capable de briller sur gazon, Casper Ruud, encore battu au 2e tour de Wimbledon jeudi par Liam Broady, entretient une allergie à l'herbe qui nous ramène à des temps très anciens. Une position quasiment anachronique qui lui vaut des critiques, mais que le Norvégien assume et, en tout cas, explique.

Casper Ruud | Wimbledon

Crédit: Getty Images

"C'était un bon Wimbledon pour moi, le meilleur de ma carrière". Avec l'humour scandinave qu'on lui connaît, Casper Ruud avait visiblement envie de "troller" un peu le vénérable tournoi londonien, ou peut-être de se moquer de lui-même après avoir encaissé jeudi la pire défaite de sa carrière en Grand Chelem - en termes de classement - face à Liam Broady, 142e mondial, au 2e tour. Il est vrai qu'après avoir mené deux sets à un, Ruud n'était pas loin d'accéder au 3e tour à Londres pour la première fois de sa carrière. Ce sera pour une prochaine fois. Ou pas.
Car visiblement, hormis le golf qui est son autre grande passion, Ruud considère que tout ce qui se joue sur herbe n'est pas pour lui. Chaque année, à l'approche de Wimbledon, il arrive sans afficher de grandes ambitions et l'a d'ailleurs ostensiblement montré cette année en laissant s'épandre sur les réseaux des vidéos de lui à un concert de The Weeknd, où il s'était rendu à Londres pendant que ses collègues suaient sang et eau à l'entraînement.
"The Weeknd a deux autres concerts lors de la première semaine de Wimbledon (7 et 8 juillet, Ndlr), donc ma motivation est assez grande pour aller voir un troisième concert", avait-il ensuite déclaré à Eurosport. Tout était dit sur l'extrême détermination qui était la sienne avant la quinzaine…
Un dilettantisme surprenant, voire à la limite du choquant aux yeux de certains qui considèrent qu'un 4e joueur mondial ne devrait pas se permettre de traiter ainsi par-dessus la jambe le plus prestigieux tournoi du monde. Surtout à une époque où l'on ne jure que par l'uniformisation des surfaces, et où l'on considère que la frontière entre le monde des terriens et celui des herbivores, frontière autrefois en béton armé (et infranchissable pour tous ceux ne s'appelant pas Björn Borg ou Rod Laver), est aujourd'hui devenue aussi poreuse qu'un mur de paille.
On ne sait pas si Casper Ruud considère que "l'herbe, c'est pour les vaches", comme l'avait un jour proclamé Guillermo Vilas dans une citation restée célèbre, et reprise ensuite à leur sauce par de nombreux herbo-allergiques (Marat Safin, si tu nous lis…). Mais le Norvégien considère que l'herbe n'est pas faite pour lui. Il l'a très clairement et très sereinement répété lors de la conférence de presse qui a suivi sa défaite.
"Quand j'étais petit, je voulais jouer comme Nadal, un tennis de pur terrien avec de gros coups liftés. Mais les coups liftés ne sont pas aussi efficaces sur gazon que sur terre battue, a expliqué le double finaliste sortant de Roland-Garros. Sur herbe, il faut jouer beaucoup plus plat, garder la balle beaucoup plus basse. C'est difficile d'arriver ici et de se mettre à faire d'un coup quelque chose de complètement différent de ce que je fais depuis vingt ans."
On ne compte pourtant plus le nombre de terriens qui ont profité du changement du gazon, au début de ce siècle, pour faire leur mue et passer de l'ombre à la lumière au All England Club. A commencer bien sûr par le héros d'enfance de Casper, Rafael Nadal. Mais aussi d'autres "lifteurs" beaucoup plus obscurs, comme par exemple, au hasard - qu'il nous pardonne, ça n'a rien de personnel - un Guido Pella, quart de finaliste en 2019.

Des soucis d'appuis pour Ruud sur gazon

Si Pella y arrive, il n'y a aucune raison qu'un joueur comme Ruud, par ailleurs finaliste sur des surfaces rapides comme à l'US Open ou au Masters l'an dernier, n'y arrive pas à son tour. Mais non, rien à faire. Le Scandinave évoque aussi un problème d'appuis : "J'ai l'habitude, particulièrement en coup droit, d'utiliser la force des jambes pour jouer et pour me replacer. Je pousse énormément sur ma jambe droite. Mais sur gazon, quand je fais ça, j'ai l'impression que je vais me "ramasser" salement. Donc je n'ose pas jouer les mêmes coups que sur terre ou sur dur."
Avec un poil de bonne volonté en plus, sans doute parviendrait-il à trouver un moyen de s'adapter. Mais en "bâchant" ainsi le gazon, Casper Ruud nous ramène finalement à un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Jusqu'à la fin du siècle dernier, ils étaient légions, les forçats de la terre, à ne pas faire l'effort de bien jouer à Wimbledon. Parfois même à ne pas venir du tout, à l'instar d'un Yannick Noah ou d'un Thomas Muster, qui n'a jamais gagné un match de sa vie à Wimbledon. Tout a changé à l'aube du nouveau siècle et du nouveau gazon. Le jeu a changé, les mentalités ont changé, les lignes ont bougé. Mais pas Casper Ruud.
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Nadal en Wimbledon

Crédit: Getty Images

Lui est resté cet herbo-allergique patenté, figé dans une position quasi-anachronique que l'on peut certes regretter, mais qui a aussi son charme, un brin suranné. Et qui doit de toute façon se respecter, tant elle touche à sa liberté fondamentale. En un sens, elle rappelle un peu - mais à l'envers - l'aversion de Daniil Medvedev pour la terre battue. Sauf que le Russe, après avoir décrété pendant des années que son jeu n'avait rien de terrien et que se rouler dans la terre comme un cochon dans la boue n'était décidément pas sa "cup of tea" (sa tasse de thé), a quand même trouvé le moyen de bien y jouer cette année, en remportant le Masters 1 000 de Rome. Casper Ruud se reconvertira-t-il un jour, lui aussi ?
Ça n'est, pour l'heure, pas prévu au programme. Car Ruud tient à son calendrier, essentiellement basé depuis toujours sur les temps forts de la terre battue. "Cette année encore, j'ai priorisé les semaines sur terre battue, j'ai enchaîné 10 ou 11 semaines à travers le monde jusqu'à Roland-Garros et à un moment donné, j'ai besoin de passer un peu de temps à la maison, s'est-il encore justifié. Sachant que je tiens à jouer Bastad et Hambourg cet été, si je dispute en plus deux tournois sur gazon pour préparer Wimbledon, je ne me repose jamais. Donc pour moi, couper la saison après Roland-Garros et faire une petite pause à ce moment-là, ça a du sens. Je continuerai de faire comme ça."
L'homogénéisation des surfaces, manifestement, n'a donc pas encore gangréné tous les esprits. Casper Ruud demeure l'un de ces derniers Mohicans venus nous rappeler que de l'ocre parisien au vert londonien, il y a encore un monde. Quelque part, ça fait presque du bien de se le dire.
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