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Bob Wollek aux 24 Heures du Mans, ou l'art de perdre

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 02/06/2022 à 20:02 GMT+2

24 HEURES DU MANS - De 1968 à 2000, Bob Wollek a disputé 30 éditions de la classique mancelle sans jamais monter sur la plus haute marche du podium. En y caressant la victoire plusieurs fois sans pouvoir la retenir. Une ironie au bout du compte pour le "Monsieur Porsche" des belles années de la marque allemande dans la Sarthe. Mais n'était-ce que de la malchance ?

Bob Wollek (Porsche) - 1988

Crédit: Getty Images

Au Mans, on aime dire que la course choisit ses vainqueurs. Parce que c'est une question d'humilité, de déférence devant ce monument de 24 heures né en 1923. Les futurs élus sont voués à une cause collective, un esprit d'abnégation qui les dépasse et sans lesquels rien n'est possible. D'ailleurs, ce n'est pas un pilote qui gagne, mais bien un équipage dédié à un même but. Le Mans, c'est une alchimie. Un bolide en partage soumis à diverses considérations, un trio réuni pour une raison pratique inhérente à la taille, aux ciblages du marketing. Rarement laissé au romantisme de l'amitié. Quoiqu'il arrive, c'est un contrat moral avant un pacte passé avec la chance.
Au bout de toute cela, il n'y a différentes façons de gagner, et de perdre. Bob Wollek le savait plus que personne. "C'est incompréhensible", juge encore aujourd'hui Henri Pescarolo. "Injuste", aurait-il pu dire ? C'est un mot qu'il n'a pas choisi, une question en creux sur laquelle nous aurions sûrement eu l'indélicatesse de l'entraîner… Le grand Henri a triomphé quatre fois dans la Sarthe au volant des plus magnifiques bolides, bardé des coéquipiers les plus clairvoyants. Son ami Bob a collé son nom aux palmarès des plus grandes courses d'Endurance mais pas à celui de la plus grande. Il a mené une cour assidue au Circuit de la Sarthe plus de trois décennies durant sans avoir jamais eu droit aux lauriers du vainqueur. Mais on le sait, ce n'est pas une question de droit.
Bob Wollek et Henri Pescarolo (Porsche) vainqueurs des 1000 km de Dijon en 1978
Le Strasbourgeois né en 1943 a disputé trente éditions des 24 Heures de 1968 à 2000, et n'a manqué que celles de 1970, 1971 et 1972 en raison de sa jeunesse et d'une notoriété encore insuffisante. D'une priorité aussi donnée à la monoplace qui ne s'était pas encore effacée devant la magie de l'Endurance, en GT et bientôt avec ces monstres qu'étaient devenus les protos. Les crus 1978, 1995, 1996 et 1998 restent ses plus aboutis en termes de résultats bruts. Les plus ingrats - le deuxième est le premier des perdants - pour cet homme fier qui aura accepté l'idée du renoncement au rêve ultime en bout de carrière, cerné par l'âge. Juste avant d'être emporté dans une mort accidentelle.

De l'école de pilotage aux 24 Heures du Mans

Certains pilotes n'ont eu besoin que d'une participation pour triompher sur le Circuit de la Sarthe, comme Tom Kristensen. Et après 1997, ce dernier a donné le sentiment de pouvoir revenir indéfiniment la première fois pour la même issue glorieuse. Comme le Danois, Bob Wollek n'avait nourri aucune frustration de se tourner vers les courses au long cours après un apprentissage inabouti de la monoplace. L'Alsacien l'avait peut-être quitté sans regret, fort d'une seconde révélation. Car la première avait été le ski, découvert dans sa jeunesse au Champ du feu, dans les Vosges. Jusqu'à s'y investir totalement, côtoyer les plus grands noms français du moment : Killy, Perillat, Orcel, Melquiont, Joffret, Augert et autres Lacroix… Normal quand on fait partie de l'équipe de France. De cette période dorée 1966-1968 resteront des titres de champion du monde militaire et universitaire, trois médailles d'or aux Universiades de Sestrières en 1966, en descente, géant et combiné ; d'argent en slalom. Et d'argent encore, à Innsbruck, en combiné deux ans plus tard avant un sérieux accident. Avant les Jeux Olympiques de Grenoble. Une vilaine entorse qui précipite sa sortie du groupe France. Pour lutter contre cette brutalité, il reste dans le milieu en entrainant l'équipe d'Australie. En donnant en parallèle des cours de pilotage automobile sur glace.
Il le savait, depuis le 2 juillet 1961 sa vocation automobile sommeillait ; prête à le consoler de ce qui n'était plus possible. Lui éviter une vie de regrets devant ce don premier devenu inexploitable comme il l'entendait. Au bout de l'engagement sur les trajectoires les plus ténues, à la limite du raisonnable. Sur le circuit de Reims-Gueux, il a vu Giancarlo Baghetti débuter en Formule 1 et gagner. Vu ces bolides lancés sur ce circuit de vitesse pure. Un souvenir marquant et désormais un idéal fascinant à vivre à plein temps.
Bob Wollek (Alpine A210 Renault) aux 24 heures du Mans 1968
En fait, il a déjà franchi le pas. En juillet 1967, au Rallye du Mont Blanc, avec sa R8 Gordini personnelle. Il a fini premier du classement national. Gérard Larrousse, Luciano Bianchi et Jean-Claude Andruet monopolisent le podium du classement international sur leurs Renault Alpine A110. Il ne les enviera pas longtemps. Avec une Gordini plus puissante en 1968, il écume les rallyes français - Ronde cévenole, Coupe des Alpes, Rallye du Mont Blanc, etc - et s'inscrit à l'école de pilotage du Mans avec une idée derrière la tête : briller au Trophée Alpine - Le Mans pour gagner un baquet aux 24 heures du Mans. Un raccourci qui ne lui fait pas peur. Un coup d'essai transformé en coup de maître : il est retenu avec l'autre lauréat, Christian Ethuin, pour former l'un des onze équipages officiels Alpine, sur l'A210 n°53 qui a déjà fait les deux tours d'horloge manceau en 1966 et 1967. L'épreuve, repoussée aux 8 et 9 septembre à cause de Mai-1968, leur offre une réputation naissante avec une 11e place.

"Il savait raisonner au volant"

C'est donc tout naturellement que l'aspirant de 24 ans est de la partie pour la der de la firme de Dieppe au Mans en 1969. Il cherche à se faire un nom mais on ne sait pas si celui de son coéquipier, de circonstance, l'aide vraiment. Il s'agit de Jean-Claude Killy, jeune retraité des pistes blanches et rentier de la gloire. Qualifiée 38e, l'A210 n°45 abandonne sur un problème de suspension dans la 20e heure.
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Jean-Claude Killy et Bob Wollek (Alpine) aux 24 Heures du Mans 1969

Crédit: Getty Images

Cette expérience l'encourage à ouvrir le chapitre tant attendu de la monoplace en 1970. Pour le pire : en Formule 3, à Rouen-Les-Essarts, il est aux premières loges de l'accident mortel de Jean-Luc Salomon. Les deux hommes étaient à la lutte avec Jean-Pierre Jaussaud, Richard Scott et Mike Beuttler à la Scierie. Après un tel événement, on s'écroule ou on se blinde. "Il n'était pas sorti diminué de ça, non, atteste Henri Pescarolo. Mais le gros avantage d'avoir eu un accident si jeune, c'est qu'il savait comment réagir ensuite. C'était la question que se posaient tous les pilotes à cette époque, sachant que c'était sûr que ça leur arriverait. Dès qu'il est revenu, Bob a été aussi rapide qu'avant."
Vainqueur du Grand Prix de Paris sur une Lola T70 en 1971 devant Claude Ballot-Léna, il n'obtient pas la reconnaissance espérée en championnat d'Europe de Formule 2. Il pilote pourtant pour Rondel Racing, une équipe dirigée par le rigoureux Ron Dennis et son associé Neil Trundel. C'est l'heure des choix. Sa seule victoire dans la catégorie, à Imola en 1972, ne lui ouvre pas les portes de la Formule 1, alors il s'empresse d'accepter la proposition de courir pour Matra en Endurance en 1973.
Le Mans c'est bien, ça ne remplit pourtant pas un agenda. Sa nouvelle saison d'éclectique commence donc par le Rallye Monte-Carlo, épreuve d'ouverture du tout nouveau championnat du monde des rallyes. Jean-Claude Andruet l'emporte et il termine 14e, lui aussi sur une Alpine. S'il a tiré un trait sur la monoplace, mesuré tout le chemin qui lui restait à parcourir en rallye, il revient au Mans, avec le même plaisir. Car Matra a des projets, un avenir à lui offrir. Avec Jean-Pierre Jabouille, François Migault et Patrick Depailler, il incarne la future génération que les chevronnés Gérard Larrousse, Henri Pescarolo et François Cevert ont la charge d'encadrer.
Henri Pescarolo connait la fragilité d'une carrière. Il tente de percer en Formule 1 depuis 1968, avec Matra, et a embarqué depuis 1971 dans la galère de Frank Williams. Il a attaqué sa carrière aux 24 Heures du Mans par cinq abandons avant son triomphe de 1972 avec Graham Hill, pour Jean-Luc Lagardère. "On s'est connu grâce à l'Endurance, on est devenu très amis, se souvient le Francilien. C'était un ancien skieur de haut niveau qui avait toutes les qualités pour devenir un grand pilote en général, et un grand pilote d'Endurance en particulier. Il était intelligent et il savait - en dehors de conduire vite - raisonner au volant", se remémore Henri Pescarolo.
Jean Pierre Jaussaud, Mike Beuttler, Bob Wollek en Formule 2 à Hockenheim en 1971

"Un caractère de cochon"

Avec Patrick Depailler, il se qualifie septième sur la Matra MS 670 B, et est l'un des trois équipages Matra pointé en tête, avec Jean Pierre Beltoise - François Cevert et Henri Pescarolo - Gérard Larrousse. Le duel avec Ferrari est somptueux, mais la n°14 démissionne en début de soirée. En 1974, l'Alsacien repart avec la machine championne en titre de "Pesca" et Larrousse, flanqué de José Dolhem, le demi-frère de Didier Pironi, et Jean-Pierre Jaussaud. Pour une cinquième place sur la grille et un nouvel abandon moteur. Un sentiment d'inachevé le parcourt, de malchance aussi car les trois autres bolides de la marque française ont fini sur le podium. Un parfum de nostalgie embaume aussi Le Mans : après trois victoires, Matra tourne la page pour se concentrer sur son moteur de Formule 1…
Il avait mis le pied chez Alpine, Matra, et voilà que tout est à refaire... Mais sans le savoir, il s'est rapproché d'une autre marque qui compte dans l'univers de l'Endurance et du Grand Tourisme. Ses résultats sur une Carrera en font un titulaire évident chez Kremer Racing en 1975. "Il parle allemand, cela a donc tout de suite été un gros avantage pour entrer dans des écuries allemandes, note Henri Pescarolo. Ensuite, il s'est spécialisé dans les courses allemandes."
Aux 1000 km du Nürburgring, il s'adjuge la victoire en catégorie GT mais connaît une nouvelle déception au Mans. Sur une 911 préparée par Robert Buchet et Cyril Grandet, il est disqualifié pour un ravitaillement anticipé.
Cependant, 1976 est le grand tournant de sa carrière puisqu'il se lie à Porsche en dominant la Porsche Cup - il en remportera un record de sept qui tient toujours – et en participant aux 24 Heures du Mans avec l'écurie des frères Kremer, Erwin et Manfred. Cette édition du Mans sera une déception, à plus d'un titre. Elf a imposé l'espoir Didier Pironi à la place de son grand ami Claude Ballot-Léna et, même s'il n'était pas question de viser le scratch avec la 934, il espérait autre chose qu'une 19e place au bout d'une litanie d'incidents. Entre embrayage, amortisseurs, câble d'accélérateur, triangle de suspension et à nouveau embrayage. Amer, Bob pointe sa coéquipière : "Si Marie-Claude Beaumont n'avait cassé qu'un seul embrayage, nous aurions tout au moins enlevé la victoire en Groupe 4…"
Bougon, il n'est pas à prendre avec des pincettes sur ce coup-là, sachant qu'ordinairement recueillir ses impressions dans ces moments n’était pas une sinécure. "Il avait un caractère de cochon, rappelle Henri Pescarolo. Il ne supportait pas qu'on lui pose des questions qui ne lui plaisaient pas, ou qu'on lui dise des choses qui ne lui plaisaient pas. Et il ne prenait pas de gant pour le dire. Il envoyait chier tout le monde ! Il avait des rapports tendus avec une certaine partie de la presse et il n'en avait vraiment rien à secouer des réactions potentielles vis-à-vis de son attitude…"

"A 20 heures, j'en ai eu assez"

Septième en 1977 avec Philippe Gurdjain et Jean-Pierre Wielemans, il continue sa moisson avec Porsche - 71 victoires de ses 76 en carrière - et s'offre ainsi une vraie chance de revenir dans la Sarthe en favori l'année suivante, avec un proto 936 Kremer. Affilié à l'usine sans être officiellement de la maison de Stuttgart, il commence l'épreuve avec Jurgen Barth, champion en titre, et finit avec un deuxième coéquipier, Jacky Ickx. L'explication ? Suite à l'abandon de la 936 n°5 qu'il partageait avec Henri Pescarolo et Jochen Mass, le Belge a sauté dans la n°6. Sans pouvoir menacer la Renault victorieuse de Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud.
Cette fois, Bob Wollek n'a jamais vu la victoire d'aussi près, sans qu'elle ait été objectivement à sa portée. Et comme il est devenu un élément de poids chez Porsche, il prend la liberté de quitter Kremer pour Gelo, plus argenté et ouvertement soutenu par usine. Associé à Hurley Haywood sur la 936 n°14, il claque la pole position, se bat pour la victoire mais vit la suite comme une ironie. Son moteur cassé, il n'a plus qu'à contempler le triomphe d'une des Porsche de Kremer…
Bob Wollek (Porsche Kremer) aux 24 heures du Mans 1981
L'exercice de 1980 soldé par un nouvel abandon avec Gelo, il retourne chez Kremer en 1981 pour de la figuration avec une 917 - exemplaire neuf d'une conception de 1969 - et un abandon volontaire, agacé. En quelques heures, il a touché à toutes les limites. "A 20 heures, j'en ai eu assez, peste-t-il. J'ai décidé d'arrêter la course. J'étais prêt à prendre le maximum de risques calculés… mais je n'avais pas envie de mourir au volant pour rien. Depuis le départ, j'avais un pressentiment funeste. Durant les premières heures, j'ai essayé d'écarter cette image. La mort de mon ami Jean-Louis Lafosse avec lequel j'avais débuté en 1968, l'a fait rejaillir dans mon esprit. Mais ce n'est pas seulement cette inquiétude qui fut à l'origine de mon renoncement. La voiture marchait mal. Théoriquement, elle aurait dû avoir deux points forts : sa vitesse de pointe et sa faible consommation d'essence. En fait, elle roulait à 50 km/h moins vite que les 936 et brûlait deux fois plus de carburant et puis notre équipage n'était pas homogène. Chasseuil et Lapeyre ne sont pas des professionnels à ce niveau. Ils ne roulaient pas assez vite et ne comprenaient pas assez la course." Bref, il est tombé de haut.
Nouvelle déception en 1982 : avec Philippe et Jean-Michel Martin, l'histoire de la 936 n°4 du Joest Racing s'achève par un abandon dans la dernière heure (moteur). Alors, 1983 sera-t-elle la bonne année ? Elle commence par la plus grande victoire de l'Alsacien, aux mythiques 24 Heures de Daytona avec AJ Foyt, Claude Ballot-Léna et Preston Henn, et se poursuit dans la même veine aux 1000 kilomètres de Monza avec l'espoir belge Thierry Boutsen.
Bob Wollek, Claude Ballot-Léna, A. J. Foyt et Preston Henn vainqueurs des 24 Heures de Daytona 1983
Au Mans, il va partager une Porsche 956 Groupe C, auteure du triplé en 1982, avec Stefan Johansson et Klaus Ludwig. Le team Sorga reste un privé face à l'usine mais le handicap le plus important n'est pas là pour Bob Wollek, qui s'est fait opérer d'une hernie discale une semaine avant le "pesage" au Mans. Il faut normalement un mois pour se remettre d'une telle intervention. Il se présente aux vérifications techniques avec son médecin et son kiné... Souffrant des violents maux de tête dus à l'anesthésie, il ambitionne de couvrir 30% de la distance pour gratter des points au championnat du monde, mené par Jacky Ickx. A l'aune de cette difficulté, la 6e place fait figure d'exploit au coeur d'un Top 9 dominé par le Belge.
La course a raisonné comme un verdict implacable. Devenir pilote d'usine devient une obsession. "J'y pensais depuis longtemps, avouera-t-il, plus tard dans une interview à Sport Auto. J'avais été, à plusieurs reprises, en discussion avec Porsche depuis 1982. Porsche était moralement obligé d'engager Stefan Bellof. Ensuite, Porsche s'est tourné vers Hans Stuck." La solution ? Lancia ! Eh oui, en 1984, il franchit le Rubicon.

Pilote homme-sandwich

Sur la LC 2, il signe la pole et termine huitième en compagnie de l'espoir italien Alessandro Nannini, derrière sept Porsche 956 dont la Joest de Henri Pescarolo et Klaus Ludwig, qui ont fait le boulot à deux.
Les binômes ont montré leurs limites et l'année suivante, la paire Bob Wollek - Alessandro Nannini est complétée par Lucio Cesario. Mais Bob Wollek sent qu'il n'a plus toutes les cartes en main car le directeur de l'équipe, Cesare Fioro, tient à ce que Alessandro Nannini chasse la pole position. Le pilote de Sienne règle la voiture pour lui, et pas bien !, au grand désappointement de Wollek... Quand Nannini part avec un set up erroné, il est trop tard : Porsche a pris la pole position. Le second soir, Wollek tient enfin sa chance sur le mulet. Qu'il ne pourra exploiter à cause d'un accident entre une Porsche et une Alba-Carma aux Hunaudières, un turbo réfractaire et les débris laissés par une Sauber partie en loopings.
Au Mans, les team managers s'arrangent pour ménager les susceptibilités. Dans un monde idéal, un pilote chasse la pole, un deuxième - souvent expérimenté – gère le départ, et un troisième le relais final. Le samedi, à 15h, Bob Wollek est au départ. En mission publicitaire : il s'agit de s'emparer de suite du commandement au mépris de toute considération énergétique pour montrer son sponsor (Martini) devant ceux des Porsche qui ne manqueront pas d'avoir leurs 24 Heures de gloire. L'Alsacien n'a eu qu'une chance de le faire, il ne s'est pas raté. Il le fallait, car avant même la fin du premier tour, à Mulsanne, la 956 de Klaus Ludwig l'a déjà rangé dans ses rétros. Avant de perdre du terrain, battu par la course à l'économie. A mi-course, la Lancia de Wollek, Nannini et Cesario résiste à la quatrième place, et finit sixième sous le damier, à 14 tours après des soucis de fiabilité. Mais première non-Porsche.
Pourtant, Wollek y croyait encore. Qu'est-ce qui a consommé sa nouvelle défaite ? Avoir eu à se priver de son carburant spécial Esso à haute teneur énergétique - façon Formule 1 - qui limitait la consommation de la Lancia dominatrice depuis le début de la saison. Au Mans, c'était la même essence pour tous, et d'un coup la LC2 a perdu de sa superbe...
Bob Wollek (Lancia) aux 24 heures du Mans 1984

"J'y suis mal car je me suis à la merci de tout"

Il y a tellement de façon de perdre au Mans ! Et d'essayer de rebondir. Aux yeux de tous, Bob Wollek commence à incarner ce combat contre l'ingratitude. Seulement, il courrait en même temps après la reconnaissance. "Quand il a été un pilier de Porsche, il a régulièrement eu des équipiers de grande valeur. Cela a toujours été un peu son problème. Il devait toujours faire ses preuves", se souvient Henri Pescarolo. En vérité, le problème s'est posé un peu partout. "Il n'était pas premier pilote chez Lancia : il a toujours eu des pilotes très rapides avec lui comme Riccardo Patrese ou Alesandro Nannini, ajoute le quadruple vainqueur du Mans. Ça l'a un peu déstabilisé. Il reconnaissait lui-même qu'essayer de battre Riccardo Patrese était presque impossible. Et effectivement il avait l'habitude d'être n°1 dans sa voiture et de faire un petit peu ce qu'il voulait, et ça l'a déstabilisé."
Sa carrière paraît dans l'impasse quand Jacky Ickx annonce sa retraite de l'Endurance. Voilà une place de pilote d'usine libre ! Jochen Mass avance le nom de Bob Wollek chez Porsche. L'Alsacien appelle le Pr Falk, directeur de Porsche Motorsport, à Stuttgart... Autant dire une formalité. "Quand Porsche m'a demandé mon avis, l'unanimité s'était déjà réalisée sur le nom de Bob Wollek", indique Jacky Ickx. Ickx, 40 ans, va donc laisser les commandes à Wollek, 42 ans… Et "Monsieur Ickx" va s'effacer devant "Monsieur Porsche".
La Porsche 962C Joest n°9 de Bob Wollek et Hans Stuck  aux 24 Heures du Mans 1989
Voilà donc "Brillant Bob" pilote d'usine Porsche... De quoi tomber d'encore plus haut trois ans suite, sur un accident et deux casses du moteur. Même si en 1989 la 956 rose du team Joest se hisse sur le podium, ce n'est pas une consolation pour Bob Wollek, enfermé dans sa relation ambivalente avec le lieu. "J'aime Le Mans pour tout ce qui s'y passe durant les essais et la course, confie-t-il à Sport Auto. Mais je hais la ligne droite des Hunaudières. J'y suis mal car je me suis à la merci de tout. Du moindre incident. Je suis sans défense. Sur aucun autre circuit, on ne dépasse aussi allègrement les 300 km/h pour rouler, sur 6 kilomètres à 340 km/h en ayant la hantise du pépin anodin et stupide. C'est le seul endroit au monde où j'ai réellement peur, quasi physiquement. Mais un pilote digne de ce nom ne peut pas ne pas aller au Mans."

"Je le laissais rouler avec une pression élevée"

En ce sens, 1990 est une libération : Jean-Marie Balestre, président de la Fédération internationale du sport automobile, impose deux chicanes dans la ligne droite des Hunaudières. Au bout d'une conflit ubuesque avec l'Automobile Club de l'Ouest, organisateur des 24 Heures, "JMB" s'offre une victoire politique et une solution médiatique - la sécurité c'est son dada - à un faux problème.
"La vitesse la plus élevée au Mans, c'était souvent avant Indianapolis, pas dans les Hunaudières, peste encore Henri Pescarolo. Il y a beaucoup d'endroits où on allait plus vite. Avoir mis deux chicanes n'a rien changé : tous ceux qui se sont envolés - et je suis bien placé pour le savoir - l'avaient fait avant la première chicane. Personnellement, ça m'était totalement égal. Quand on avait une bonne voiture, stable, les Hunaudières étaient le seul endroit où on pouvait se décontracter, se reposer. Mais il y a 50 ans, avec une voiture moins rapide et moins stable, c'est vrai que c'était une sacrée partie de pilotage. Une voiture pas bien étudiée au plan aéro décollait avant la première chicane."
Si Wollek s'en trouve rassuré, il erre pendant 24 Heures avec ses coéquipiers sur les 13,6 km du circuit sarthois dans la 962C n°9 de Joest. Finalement huitième à 13 tours. Des regrets ? Moins que d'habitude. Porsche a perdu pour la première fois depuis sept ans et la nouvelle reine s'appelle Jaguar XJR12. Avec un temps de retard, il mise donc sur ce nouveau cheval prometteur. Sauf que, pas de chance, c'est la Mazda et son moteur rotatif qui l'emportent en 1991...
Bob Wollek (Jaguar) aux 24 heures du Mans 1991
Et pour ce qui est de 1992, c'est réglé depuis longtemps : la XJR-12 est au musée, la Peugeot 905 devenue une machine imbattable et la Porsche 962C en bout de course. S'ouvre donc pendant deux ans une parenthèse où la victoire n'est pas à l'ordre du jour. En 1992 sur un proto Cougar de Courage Compétition, et en 1993 sur une 962C de Joest. Avec un dénominateur commun : Henri Pescarolo. En fait, le quadruple vainqueur des 24 Heures est un fidèle compagnon de route. Au bout du compte, il aura disputé 20 courses avec lui, et seuls Frank Jelinski (28) et Franz Konrad (21) auront partagé plus de volants.
"Ce que je maintiens, c'est la nécessité d'avoir un compagnon, un partenaire idéal comme Henri Pescarolo, qui cherche la victoire de l'équipe avant la sienne propre, avait déjà dit Bob Wollek. Il ne sert à rien de vouloir briller pour soi, d'aller plus vite que l'autre."
En vérité, Wollek y trouve son compte... "C'est un état d'esprit naturel lors d'une course d'Endurance, sauf que moi j'avais complètement intégré le fait de le laisser - parce que c'est ce qu'il désirait - mettre au point la voiture, raconte le grand Henri. C'était une époque lors de laquelle on se servait beaucoup d'une manette à l'intérieur de la voiture qui réglait la pression du turbo. Je le laissais rouler avec une pression élevée, des pneus neufs. De mon côté, je ne pensais qu'à faire gagner la voiture et non pas prouver ou essayer de prouver que j'étais plus rapide que mon coéquipier. C'est cet état d'esprit qu'il a bien apprécié chez moi. Je l'ai bien aidé, de temps en temps, pour faire en sorte, avec une certaine abnégation, de faire gagner la voiture."

1995, le plus grand regret

Mais en 1992, il n'en était pas question. "Jean-Louis Ricci était un gentleman driver, rappelle "Pesca". Avec lui, on ne partait pas pour gagner. L'avantage est qu'il ménageait beaucoup la voiture et consommait un peu moins que tout le monde, ce qui permettait d'exploiter un peu mieux le potentiel de la voiture."
Cette figuration ne porte pas préjudice à Bob Wollek, choisi par l'usine Toyota pour vaincre la malédiction du Mans. Mais là encore, à qui s'en prendre ? Si Wollek n'a jamais été vernis, c'est plutôt vers la marque japonaise qu'il faut se tourner pour trouver une explication. Car, c'est incroyable, Jochen Dauer est parti d'un châssis de 962C pour fabriquer une GT triomphante...
Mine de rien, l'horloge tourne... Bob Wollek a 51 ans quand il revient courir avec Courage en 1995. Son meilleur atout ? Une météo exécrable qui "gare" les Porsche Syder de Kremer sous la pluie... Évidemment, on n'est pas superstitieux mais on se dit que Bob Wollek et sa poisse n'ont pas besoin de ce provocateur n°13 sur la C34, cher au constructeur manceau Yves Courage. Bob Wollek et Eric Hélary, lauréat avec la Peugeot 905 en 1993, feront le job. Mario Andretti beaucoup moins...
Revenu dans la Sarthe pour compléter son palmarès de champion du monde de F1 et de vainqueur des 500 miles d'Indianapolis, l'Américain tape au virage... Porsche à 19h57. A 55 ans, il vient de faire une erreur de débutant en pilant derrière la Kremer de Konrad. "J'aurais dû laisser la voiture partir en tête-à-queue plutôt que de vouloir la rattraper. Et là, je n'aurais pas tapé", remarque-t-il.
Débute alors une deuxième course, contre la montre. Pour réparer pendant 29 minutes, repartir de la 26e place, courir après les McLaren GT qui n'avaient à l'origine aucune chance contre les protos. La 49 est vite lâchée par son embrayage, puis la 51 qui a crânement challengé la 59. A 1h30 de l'arrivée, toutes les simulations donnent la barquette française perdante.
Bob Wollek est mandaté pour se jeter à corps perdu à la poursuite de la n°59 noire Ueno Clinic de Yannick Dalmas, Masanori Sekiya et JJ Lehto. A 45 minutes du damier, il la double. Mais voilà, il est juste revenu dans le même tour que la machine de Woking, qui gardera son avance. "C'est une énorme frustration", lâche-t-il à l'arrivée.

"Il valait mieux ne pas être avec lui pour gagner"

Meurtri, Wollek retrouve Porsche en 1996, et sa toute nouvelle GT1. Avec Hans Stuck et Thierry Boutsen. Pendant les 24 Heures, c'est la canicule et l'habitacle de la 911 est un enfer de 60°C. Et la deuxième place d'autant plus difficile à encaisser que Reinhold Joest lui avait proposé le volant de la TWR Porsche n°7 victorieuse...
L'année suivante, il se trouve au volant quand la n°25 sort de la piste sans rémission. Et 1998 est l'ultime édition lors de laquelle la victoire est à sa portée. Entre Porsche, Mercedes, BMW, Toyota, et Nissan, tout le monde a eu sa chance. On a dénombré 30 changements de leaders en 24 heures.
La Porsche 911 GT1 de Jörg Müller, Uwe Alzen et Bob Wollek  aux 24 Heures du Mans 1998
Sur cette quatrième deuxième place, ce septième podium, s'évanouit pour toujours le rêve de consécration. "Cette victoire au Mans lui manquait énormément. C'était sa grande frustration. Il avait gagné quatre fois les 24 heures de Daytona, il a été dans des voitures potentiellement gagnantes au Mans, et il n'a jamais gagné", confirme Henri Pescarolo.
Wollek a un contrat jusqu'à fin 2001 et Porsche le délègue au développement de la 996 GT3 en 1999, en plus de l'encadrement des jeunes. Il évoque une carrière "bien remplie" mais le ressort est cassé. Il parle de se consacrer aux tests, laboratoire de l'innovation. L'édition 2000 se termine en queue de poisson, par une disqualification. C'est sa 30e participation, sa dernière, et il l'ignore. Trente éditions qui font de lui le plus assidu au Mans après Henri Pescarolo et ses 33 engagements. "Pesca", qui a couru plus longtemps que quiconque et gagné quatre fois sans jamais se hâter. Avec pudeur, Henri Pescarolo se souvient : "J'en ai partagé souvent des voitures avec Bob ! Au Mans, ce ne fut pas souvent, mais en même temps il ne valait mieux pas car il n'avait tellement pas de vaine. Il valait mieux ne pas être avec lui pour gagner. Mais j'étais très content d'être avec lui. J'étais toujours content d'être avec un très grand pilote et en plus un très bon ami".
Pas de veine non plus quand il enfourche une fois de plus son vélo pendant le week-end des 24 Heures de Sebring, ce 16 mars 2001. Ce vélo qu'il a pris plus d'une fois au départ de Strasbourg pour se rendre au Mans, pour les 24 heures, en passant par le domicile d'Henri Pescarolo, à Molz sur Seine. Une fois de plus, Bob Wollek n'a pas de veine. Un conducteur de camping-car qui oublie l'envergure de ses rétroviseurs… Un coup dans la nuque en passant, Bob Wollek n'est plus. Il n'était pas au Mans mais la malchance rôdait encore. Une dernière fois.
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