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Pourquoi les Croates ont jeté des fumigènes qui ont (peut-être) coûté la victoire à leur équipe

Loïc TREGOURES

Mis à jour 21/06/2016 à 13:19 GMT+2

EURO 2016 - Vendredi dernier, tout porte à croire que des spectateurs croates avaient prémédité le jet de fumigènes et de pétards sur la pelouse de Saint-Etienne. Leur but : revendiquer des malversations au sein de leur fédération.

Des fumigènes ont été jetés sur la pelouse de Geoffroy-Guichard lors de République tchèque - Croatie

Crédit: AFP

Tout était calculé. Vendredi dernier à Saint-Etienne, le match entre la Croatie et la République tchèque a été interrompu quelques minutes par le jet de fumigènes et pétards sur le terrain de la part de certains individus se situant dans une tribune remplie de supporters croates. Après quelques minutes de flottement, le jeu a repris, et les Tchèques, pourtant nettement inférieurs pendant une bonne partie du match, ont fini par arracher un match nul inespéré. N’en déplaise à certains, expliquer n’est pas excuser. Chacun se fera donc son opinion des événements sur le plan moral, ce n’est pas le sujet ici. A l’inverse, la vraie question est de savoir pourquoi cet incident, prémédité, a eu lieu.
Pourquoi saboter un match de sa propre sélection nationale alors qu’elle file tout droit vers la victoire ? D’abord, cela aurait eu lieu quel que soit le scénario du match. Les rumeurs d’une action circulaient depuis deux jours, donc cela aurait eu lieu même si les Tchèques avaient mené 4-0. Ensuite, cette action est la suite de plusieurs autres actions spectaculaires du même type (fumigènes lancés à Milan lors d’Italie-Croatie ; croix gammée dessinée sur le terrain lors d’un match joué à huis clos à Split) qui ont pour but de discréditer la fédération de football de Croatie aux yeux de l’UEFA, et de publiciser leur cause dans toute l’Europe. Alors quel est le problème ? Pour faire simple, les supporters accusent les dirigeants du football croate de se servir de la vitrine de l’équipe nationale pour servir leurs propres intérêts privés.

Discréditer Zdravko Mamic et Davor Suker auprès de l’UEFA

Au sommet de cette organisation, Zdravko Mamic, vice-président de la fédération et patron tout puissant du Dinamo Zagreb. Le président de la fédération, Davor Suker, protégé par sa grande carrière, est le pantin de Mamic, comme le rappelle le journaliste croate Alexandar Holiga dans les colonnes du Guardian. Concrètement, Mamic touche de l’argent à chaque fois qu’un joueur du Dinamo est vendu à l’étranger car ceux-ci signent un contrat de management avec l’agence de son fils.
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Zoran Mamic, à gauche de la photo

Crédit: AFP

Cette situation de conflit d’intérêt est bien entendu illégale mais ni les autorités politiques ni la justice ni les autorités du football ne se penchent dessus. Autrement dit, le Dinamo est un club public financé par la mairie de Zagreb, mais la famille Mamic, Zdravko, son fils, mais aussi son frère Zoran qui est l’entraîneur du Dinamo, s’enrichit tous les ans un peu plus grâce aux ventes des meilleurs jeunes joueurs croates. Plusieurs joueurs ont d’ailleurs déjà eu des litiges financiers avec Mamic, notamment Eduardo et Luka Modric.
En novembre dernier, Zdravko Mamic a été arrêté pour la énième fois pour détournement de fonds et fraude fiscale, sans que cela ne l’empêche de garder ses fonctions à la fédération et d’être en France. La justice lui reproche d’avoir détourné plus de 17 millions d’euros issus de la vente de joueurs depuis 2008. Les supporters ont tenté depuis des années de faire bouger les choses, y compris par des moyens démocratiques et légaux. Ils ont été à la base d’une nouvelle loi sur le sport que la fédération refuse d’appliquer, et que le gouvernement croate n’a jamais essayé de faire appliquer en raison des liens entre le principal parti au pouvoir (jusqu’à la chute du gouvernement ce week-end) et Mamic.

Faire mal et se faire mal : un sacrifice nécessaire à leurs yeux pour se faire entendre

Il faut donc replacer ce geste dans une logique de sacrifice, de la part de gens qui aiment véritablement leur pays et leur sélection (peut-être mal et trop). Faire mal et se faire mal est devenu la dernière stratégie possible pour se faire entendre et publiciser le problème au-delà des frontières croates où tout le monde sait très bien comment la fédération fonctionne. Puisque la sélection est le délicieux plat qui cache les cuisines peu reluisantes du football croate, alors, il ne reste plus qu’à ruiner le plat pour que quelqu’un (les autorités politiques croates, l’UEFA) finisse par s’occuper des cuisiniers. Rien de bon ne peut sortir d’une telle opposition frontale, mais c’est dans ce conflit que les protagonistes sont enfermés actuellement.
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Le penalty accordé par M. Yuichi Nishimura n'a pas été du goût des Croates

Crédit: Panoramic

Il reste alors deux questions à traiter sur l’acte lui-même. Comment a-t-il pu se produire, et peut-il se reproduire ? L’UEFA a beau jeu de sanctionner, y compris le Portugal à cause d’un spectateur venu sur la pelouse quémander un selfie à Cristiano Ronaldo. La question est de savoir qui sanctionne l’UEFA. Elle supervise tout ce qui se passe dans les stades, et pas un jour ou presque ne se passe sans que des incidents se produisent.
Certes, celui-ci n’est pas aussi honteux que ceux de Russie-Angleterre à l’intérieur même du Vélodrome, mais cela pose immanquablement la question du dispositif mis en place à la fois par l'institution et les autorités françaises qui avaient pourtant expliqué pendant des mois que tout irait bien. Sur les images, ce sont les Croates eux-mêmes qui ont réglé leur compte aux lanceurs de fumigènes pendant que les stadiers étaient dépassés. Et encore une fois, il y avait de forts soupçons en amont que quelque chose se préparait.
Ces manquements signifient-ils pour autant que le match Croatie-Espagne est à risque ? C’est peu probable. L’objectif était de marquer le coup, c’est chose faite. De surcroît, certains protagonistes ont été arrêtés, d’autres sont déjà rentrés en Croatie. Enfin, la surveillance sera telle qu’un nouvel incident est assez peu probable.
En plus d’un communiqué qui déplore la gravité du conflit sans revendiquer l’action menée vendredi dernier, la Torcida, groupe ultra du Hajduk Split a publié sur Facebook un faux plan d’attaque de la Matmut Arena pour se moquer de la presse qui a pourtant repris l’information comme si elle était vraie. Cela en dit long sur la panique et l’incompétence de certains.
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