Jardim, la revanche d'un mal-aimé

On entend souvent dire que les choses vont vite en football. Parfois, elles prennent plus de temps, mais aboutissent au même résultat. Passer de zéro à héros, c'est l'un des charmes de ce sport. Nous en avons un exemple éclatant, sous nos yeux, en la personne de Leonardo Jardim. L'entraîneur de Monaco était décrié, pour ne pas dire moqué, il n'y a encore pas si longtemps. Aujourd'hui, tout le monde ou presque se prosterne devant le Portugais. Il a réussi le tour de force de retourner l'opinion en sa faveur.

Jardim avait à peu près tous les éléments contre lui. Il est arrivé comme un cheveu sur la soupe à Monaco. A l'époque, il n'y avait pas grand monde pour comprendre le choix des dirigeants de l'ASM. Claudio Ranieri était sur le point de se faire débarquer après avoir conduit le promu monégasque à la deuxième place du classement derrière l'ogre parisien. Troquer un charismatique et réputé technicien italien qui avait atteint ses objectifs pour un coach portugais inconnu ou presque en France, ça avait de quoi interpeler. Et annoncer un début de mandat compliqué.

Ça n'a pas manqué. Rien ne lui a été épargné. Jardim a fait l'effort de parler français en conférence de presse ? Son accent n'a provoqué que plus de railleries au Petit Journal et dans J+1, mais il ne l'a pas trop mal pris. Le Portugais a maintenu son équipe dans le Top 3 de la L1 et l'a guidée jusqu'en quarts de finale de la Ligue des champions malgré le changement de projet incarné par les départs de James Rodriguez et Radamel Falcao. Il a quand même entendu bien plus de critiques sur la "qualité" de jeu de son équipe que de louanges sur ses résultats.

Jardim a avalé les couleuvres sans broncher. Encore davantage la saison passée, alors qu'il a dû faire face aux départs de deux de ses éléments majeurs dans le secteur offensif, Anthony Martial et Yannick Carrasco, durant le mercato estival. Le Portugais a trouvé le moyen de remettre Monaco sur le podium de la Ligue 1. Mais ça ne suffisait toujours pas. Il a quand même été taillé pour son style défensif. Il a encore été oublié parmi les nominés pour le prix de meilleur entraîneur du championnat. Il s'est senti dénigré et il s'en est offusqué.

La truelle d'or… Si ironique soit-elle, la formule était tellement bien trouvée. Car Jardim, sans mauvais jeu de mot, a bâti son équipe contre vents et marées. Sans jamais se détourner d'une méthode atypique qu'il a détaillée dans un entretien accordé au Monde. Une méthode "écologique". Une méthode faite de patience et de sensibilité. Qui place le développement de la jeunesse en tête de ses priorités, dans la lignée du projet mis en place par les dirigeants monégasques. Une méthode qui aujourd'hui porte ses fruits. Et ils sont magnifiques.

Monaco force l'admiration. On souligne constamment sa faculté exceptionnelle à enfiler les buts comme des perles (53 en… 17 matches de L1, soit une moyenne de ahurissante de 3,12 buts par match). A juste titre, mais ça ne doit pas focaliser l'attention sur l'attaque monégasque. Car l'ASM est surtout une équipe complète. Ce qui rend la formation de Jardim irrésistible, c'est bien son collectif. L'interaction entre ses lignes, la coordination des mouvements de ses joueurs, et la solidarité entre ses éléments. Tout ce qu'ils font, ils le font ensemble. Et ils le font avec talent.

L'effectif monégasque n'en manque pas. Mais s'il l'exprime de manière aussi éclatante, il le doit à Jardim. Parce que l'audace de cette équipe, c'est d'abord celle de son entraîneur. Ce n'est pas sans risque d'utiliser un système à deux attaquants de pointe. Parce que ça dégarnit l'axe dans l'entrejeu. Et quand les deux milieux sont un jeune inexpérimenté (Bakayoko) et un latéral droit de formation (Fabinho), parler d'audace ressemble presque à un euphémisme. Quitte à tordre le cou aux idées reçues, celles d'un entraîneur rigide, Jardim l'a vraiment fait avec la manière…

Le résultat est d'autant plus remarquable. Si la qualité du recrutement de Monaco doit aussi être soulignée, en particulier dans le secteur défensif, c'est bien le Portugais qui a transformé l'ASM une véritable machine de guerre. Et c'est bien lui qui l'a rendue romantique. Jardim a certainement été l'un des oubliés parmi les lauréats de la Ligue 1 en fin de saison ces deux dernières années. Il pourrait bien collectionner les honneurs au printemps prochain. Ce serait une belle revanche. Celle d'un mal-aimé qui a su gagner les cœurs.