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Matteo Trentin : "Le seul désavantage de Van der Poel : il est trop fort pour avoir de la tactique"

Benoît Vittek

Mis à jour 21/10/2019 à 21:05 GMT+2

TOUR DE GUANGXI - À l'occasion de ses derniers tours de roue sous les couleurs de la Mitchelton-Scott, Matteo Trentin, qui rejoindra CCC l'an prochain, revient pour Eurosport sur une saison marquée par sa victoire d'étape sur le Tour et sa 2e place aux Championnats du monde.

Matteo Trentin (Team Mitchelton Scott) au Tour de Grande Bretagne 2019

Crédit: Getty Images

À 500 mètres de l'arrivée des Mondiaux du Yorkshire, le monde entier et surtout l'Italie s'attendaient à voir Matteo Trentin (Mitchelton-Scott) remporter le premier titre transalpin depuis plus d'une décennie. C'était sans compter sur Mads Pedersen (Trek-Segafredo), sacré à seulement 23 ans. L'Italien a lui fêté son 30e anniversaire cet été. Et il continue de progresser année après année, imposant la finesse et l'étendue de ses talents de coursier au plus haut niveau. Après avoir grandi à l'école Quick-Step, il espère remporter une grande classique chez CCC, où il partagera l'affiche avec Greg Van Avermaet.
Quel bilan faîtes-vous de cette année ?
Matteo Trentin : Je suis plutôt content. J'en suis à six victoires et j'ai été régulier avec de bonnes performances pendant toute l'année. J'en suis à 48 Top 10 [NDLR : l'interview a été menée avant le départ du Tour de Guangxi, sur lequel il a fini troisième des trois premières étapes puis de la cinquième étape lundi]. Le plus grand moment, c'est ma victoire sur le Tour... Et, même si je ne l'aime toujours pas, ma deuxième place aux Mondiaux. Sur les classiques, on ne peut pas dire que je n'étais pas au niveau, mais je n'étais quand même pas satisfait. Tu as seulement quelques courses pour aller chercher des résultats et ça ne s'est pas passé comme je le voulais. J'étais dans le coup, mais jamais au sommet. C'est quelque chose que je peux améliorer, ça fait partie du plan.
Comment expliquez-vous ces frustrations ?
M.T. : Il y a plusieurs raisons. Avec un niveau aussi élevé, si tu fais la moindre erreur, ou si tu as une journée de moins bien comme je l'ai vécu sur le Tour des Flandres, tu ne peux pas être dans le bon coup. C'est aussi simple que ça. Sur plusieurs courses, comme à Sanremo, j'ai attaqué et à partir de là c'était tout au rien, et au final ce n'est pas passé. Sur Gand-Wevelgem, je suis dans l'échappée qui se fait reprendre à 10-15km de l'arrivée et je fais 7e au sprint. Il y a plusieurs manières d'observer une course, mais c'est le résultat qui compte à la fin. Si tu te caches toute la course et que tu gagnes, tout le monde s'en fout de ne pas t'avoir vu de la journée.
Peter Sagan s'en est souvent plaint...
M.T. : Oui… Mais c'est comme ça que le cyclisme fonctionne. Tu peux faire une course formidable pour le public, te battre toute la journée, mais si tu ne ramènes rien à la maison, c'est inutile.
Même Nibali, en Italie, n'est pas ce que Pantani était et ce qu'Alaphilippe a été cette année
Vous savez qui était le dernier Italien à s'imposer sur trois éditions différentes du Tour de France ?
M.T. : Aucune idée !
Matteo Trentin vainqueur de l'étape 17 du Tour de France 2019, à Gap
Marco Pantani...
M.T. : C'était un grimpeur, comme Nibali aujourd'hui. Ils courent pour le général donc ils remportent des étapes. Je ne suis pas surpris.
Vous avez dû faire parler d'autres qualités pour vous imposer...
M.T. : J'en ai gagné une au sprint au sein d'une échappée [Lyon 2013], un sprint massif [Nancy 2014] et puis en solitaire après une échappée [Gap 2019]. C'est pas mal ! Et je n'étais pas loin d'en gagner une en montagne… Ça pourrait faire quatre [rires]. Mais pour l'instant j'en ai trois, donc je vais travailler pour la quatrième.
Qui était Pantani pour vous ?
M.T. : C'était l'un des plus grands coureurs, si ce n'est dans le monde, en tout cas en Europe. Et c'était une personnalité unique, quelqu'un qui attirait les foules dans la rue pour chanter son nom. Je pense qu'on a vécu la même chose cette année avec Alaphilippe. Ça faisait longtemps que personne n'avait fait ça dans un Grand Tour. Évidemment, il y avait Tom [Boonen] sur les classiques. Mais si on met les classiques à part, personne ne soutenait de cette façon Armstrong, Ullrich, les Espagnols, ou n'importe quel Italien. Même Nibali, en Italie, n'est pas ce que Pantani était et ce qu'Alaphilippe a été cette année. C'était extraordinaire.
Une autre icone du cyclisme italien a récemment disparu, avec le décès du patron de la Mapei, Giorgio Squinzi. Que représentait cette équipe ?
M.T. : Je n'ai jamais pu parler avec Squinzi mais Mapei est une équipe de légende en Italie, et peut-être aussi dans le monde. Ce qu'ils ont amené dans le cyclisme était formidable. Ils avaient déjà une équipe de développement, ils avaient les plus grands talents de cette génération. C'est dommage que personne n'ait véritablement suivi les pas de Mapei, une grande compagnie qui pouvait incarner et développer le cyclisme.
Les Mondiaux : "Une journée brutale, tous les favoris avaient disparu"
Vous imposer aux Mondiaux, 11 ans après Ballan à Varèse, ça aurait aussi été légendaire…
M.T. : Il n'y a pas de vainqueur avec des "si" et des "peut-être". Donc c'était une journée légendaire pour le cyclisme danois !
Comment vous sentez-vous trois semaines plus tard ?
M.T. : Toujours très mal. Vous savez, on continue à y penser, à retourner les choses dans notre esprit, voir ce qu'on aurait pu faire de différent… Mais je n'ai toujours pas de réponse. Et je pense que la réponse est simplement que [Mads Pedersen] était plus fort. J'ai revu les images. Au sprint, il me dépasse presque avec facilité. Peut-être que j'aurais pu faire quelque chose différemment, peut-être que je peux trouver des excuses, mais au final, c'était une journée brutale, épique, tous les favoris avaient disparu. J'étais le seul encore là, avec deux spécialistes du mauvais temps.
Comment les conditions jouent-elles ?
M.T. : En MotoGP, Kenny Roberts Jr ne faisait rien par beau temps, et il devenait le pilote le plus incroyable sous la pluie. Si vous prenez Stefan [Küng], il a gagné des étapes avec un temps horrible, en lâchant tout le monde grâce à un rythme élevé quand plus personne ne pouvait tenir, et Mads [Pedersen] est pareil. C'étaient deux coureurs dont on pouvait attendre qu'ils soient là dans une telle journée.
Ce n'est pas un problème de réservoir vide, comme pour Mathieu van der Poel ?
M.T. : On ne sait pas vraiment ce qui lui est arrivé. Et il est très difficile de savoir ce qui a pu mal se passer dans ce genre de courses. Je me souviens de l'Omloop, quand Stannard a gagné pour la première fois [en 2014], il pleuvait des cordes, il faisait super froid, 2ºC… Et je me suis retrouvé gelé. En un moment, mes lumières se sont éteintes. Aux Mondiaux, un coureur comme Teunissen était dans l'échappée et il a sauté d'un coup. C'était pareil pour les Belges. Dans ce genre de conditions, c'est vraiment bizarre, ça bouffe tout ce que ton corps a. Il faut y être pour le comprendre.
Ce n'est pas non plus un péché d'orgueil ?
M.T. : Vous savez ce qu'on dit en Italien ? "Mai vendere la pelle dell'orso prima di averle ucciso". On ne peut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Les coureurs qui étaient là, à ce stade de cette course, ils avaient forcément les jambes. Regardez Van der Poel, il n'avait pas les jambes. Alaphilippe était 10 mètres derrière nous quand on est sorti et il n'a pas suivi, donc il n'avait pas les jambes. Alors on ne peut sous-estimer personne. Dans la dernière montée, Stefan est probablement allé plus vite que dans tous les autres tours. J'étais avec deux très bons coureurs et on gagne seulement lorsqu'on franchit la ligne en première position. Personne n'a jamais gagné une course à 2 bornes de l'arrivée.
Le seul désavantage de Van der Poel : il est trop fort pour avoir de la tactique
Pedersen a 23 ans, Evenepoel est déjà un coureur d'élite à 19 ans, mais...
M.T. : Je suis vieux, en fait !
Mais Valverde est toujours là à 39 ans. L'âge veut-il encore dire quelque chose dans le cyclisme ?
M.T. : Oui, bien sûr. Valverde est une exception, on ne voit pas ça tous les jours. Si on regarde, maintenant on a beaucoup de jeunes comme Evenepoel, Hirschi, Pedersen, Bernal, Pogacar… Van der Poel n'a que 24 ans, Van Aert en a 25…
Mathieu van der Poel à l'arrivée des Mondiaux 2019
Qu'est-ce que ça montre ?
M.T. : Le cyclisme avance. Il y a une nouvelle génération qui monte. Et ils ont déjà fait de grandes choses. Mais je pense que la leçon de ce qui est arrivé à Van der Poel est que personne n'est imbattable. C'est la même leçon avec moi. Il venait en grand favori. Quand il était devant, tout le monde a dû mettre de l'argent sur lui, tu paries ta maison sur lui ! Et peut-être qu'ensuite tu mets deux maisons sur moi à l'arrivée ! Le plus dur pour tous ces jeunes va être de confirmer l'an prochain. Faire mieux sera très dur ! Et simplement confirmer ne va pas être facile. En 2012, Tom [Boonen] avait gagné tout ce qu'il pouvait gagner. On en discutait avant la saison suivante, et il était le premier à dire qu'il serait quasiment impossible de revivre une saison identique. Et c'était pareil pour Van Avermaet [après 2017].
Van der Poel doit-il aussi craindre que ses adversaires s'adaptent à lui tactiquement ?
M.T. : Non… Il sera plus contrôlé, mais les classiques ne sont pas comme les Grands Tours. Ce ne sont pas les mêmes scénarios, on ne peut pas courir contre quelqu'un. Il faut se lancer dans la course. Et c'est un coursier. On peut voir qu'il n'a pas peur de prendre ses relais et c'est peut-être son seul désavantage : il est trop fort pour avoir de la tactique.
Courir avec Van Avermaet sera un avantage pour nous deux
Vous avez passé sept saisons chez Quick-Step, maintenant deux avec Mitchelton avant de partir pour CCC. Quel est l'objectif ?
M.T. : C'est une nouvelle chance d'avancer, avec une équipe qui est plus orientée vers les courses d'un jour. Mitchelton, avec les Yates, avec Chaves, ça tourne plutôt autour des classements généraux et il faut prendre ça en compte. Je viserai principalement les classiques, mais pour gagner maintenant. Je peux toujours aider un mec pour le général, j'aime bien faire ça. Dans les étapes dures, ça s'ajoute à ce qu'on fait à l'entraînement. Mais les priorités ne seront plus les mêmes avec CCC.
Vous en avez discuté avec Greg Van Avermaet ?
M.T. : Non, la course, c'est la course, et on ne vit pas à côté l'un de l'autre [rires]. Je pense que ce sera un avantage pour nous deux, avoir une autre carte à jouer. Je suis probablement plus rapide que lui au sprint et il peut être plutôt quelqu'un qui lance des attaques de loin, ou provoque la sélection. C'est comme Quick-Step. S'ils ont trois leaders, et qu'ils travaillent ensemble, ils peuvent repartir avec une victoire chacun, ou deux victories pour un et une pour une autre… Et quand ton équipe gagne les Flandres ou Roubaix et que tu en fais partie, c'est toujours bien.
C'est une vision altruiste...
M.T. : Je ne suis pas égoïste. J'aime participer à une équipe. Les gars bossent beaucoup pour moi pendant la saison, mais si tu leur donnes quelque chose en retour, je pense qu'eux aussi peuvent se donner à 110% pour toi, plutôt que 100% ou 98%. Et c'est très important pour obtenir la victoire.
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