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Coupe du monde : La Mannschaft ou le nouveau modèle de la hiérarchie horizontale

David Lortholary

Mis à jour 17/06/2018 à 16:34 GMT+2

COUPE DU MONDE - L’équipe nationale allemande a toujours connu des leaders, devenus pour certains légendaires. Avant, il y avait un taulier comme capitaine – Beckenbauer, Vogts, Rummenigge, Matthäus, Kahn, Ballack, entre autres – et une hiérarchie verticale. Aujourd’hui, ce leadership au sein de la Mannschaft a totalement changé de nature et se fond plus subtilement dans le collectif.

Müller, Süle, Kimmich und Hummels im DFB-Team

Crédit: Getty Images

Les "aboyeurs". Ces joueurs, le plus souvent assimilés aussi à des "tauliers", qui vocifèrent, qui invectivent tant leurs coéquipiers que leurs adversaires, les arbitres, leur entraîneur parfois. Qui font un doigt d’honneur, comme Stefan Effenberg au public en plein Mondial en 1994, au point d’être renvoyés de l’équipe nationale sans autre forme de procès. Qui sont souvent le capitaine. En un mot, qui en imposent.
Par leur charisme, leur leadership, leur aura, leur style. Ces joueurs qu’on appelle en Allemagne "Führungsspieler" et dont Lothar Matthäus, avec ses 150 sélections, a incarné un apogée, dans la lignée de Karl-Heinz Rummenigge avant lui. Ces joueurs, la sélection allemande en a connu, presque par tradition, jusqu’à ce que le concept s’étiole, voire… s’éteigne, en même temps que la Mannschaft se reconstruisait sur le compost de cet arbre généalogique mort avec l’arrêt de la carrière de Michael Ballack.

Ballack, le dernier "aboyeurs"

Il faut revoir la finale de l’Euro 2008. L’ancien Allemand de l’est, auteur du but de l’année quelques jours avant contre l’Autriche d’un coup franc monstrueux, buteur décisif encore contre le Portugal dans l’intervalle, gesticule, interpelle, donne de la voix en permanence. Il se retirera de la sélection avec 98 capes et, avec son départ, les postillons s’évaporeront.
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Michael Ballack

Crédit: AFP

Depuis, l’Allemagne a révolutionné son management. En aucun cas Philipp Lahm n’a honoré cette image un peu rustre, ni Manuel Neuer, ni Thomas Müller, ni Sami Khedira après lui. Ces capitaines-là, en comparaison, semblent des agneaux. D’une hiérarchie verticale, avec un chef fort au sommet, la Mannschaft est passée à une gestion horizontale dont elle se vante aujourd’hui et sur laquelle elle communique jusqu’à la nausée. On la comprend : ce modèle a mené au titre mondial en 2014 et toujours au moins en demi-finale des grandes compétitions sous le règne de Löw.
Khedira en tête de cortège
Avant chaque tournoi, l’opinion publique allemande examine goulûment le groupe de joueurs sélectionnés pour y identifier les meneurs. Aujourd’hui, ils sont six. La fameuse réplique "Qui c’est le patron ?" n’a plus cours avec Joachim Löw : le sélectionneur a laissé naturellement éclore les choses au fil de ses douze années de règne. Un sextet varié, pluriel, où comme dans une formation de jazz chacun joue son rôle sans empiéter sur ses congénères, s’est doucement extrait de ce terreau inédit. D’abord, Sami Khedira. Personne ne s’est étonné, et personne n’a cru au hasard, quand le milieu défensif de la Juventus a été le premier à poser le pied en Italie du nord, menant le cortège pour le stage de préparation. Khedira mesure chacun de ses pas, chacun de ses propos. Un doux animal politique. Le Souabe est le premier, le Souabe est devant et c’est ainsi que son sélectionneur le voit.
C’est un meneur-né
"Il montre l’exemple, il dirige, il communique, il incarne un professionnalisme, une mentalité de compétiteur" ; décrit Löw. La raison pour laquelle ce dernier a opté comme capitaine pour Manuel Neuer, et non pour Khedira, au moment où Bastian Schweinsteiger s’est retiré, en juillet 2016, est simple : le premier était sportivement indiscutable, au contraire du second. Pourtant, même s’il n’est pas nécessairement dans le onze de départ, Khedira occupe une position centrale. La genèse remonte à 2009. Lorsque les Allemands deviennent champions d’Europe des moins de 21 ans, Khedira mène la troupe des Neuer, Boateng, Hummels et Özil comme capitaine. "C’est un meneur-né", avait lâché son sélectionneur, Horst Hrubesch, à l’époque. Il est aujourd’hui vice-capitaine de Neuer aux côtés de Thomas Müller.
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Sami Khedira (Germany)

Crédit: Getty Images

Contrairement à Khedira, Neuer, Özil et Boateng, Mats Hummels n’a pas disputé le Mondial 2010. Sa confiance en lui n’en saute pas moins aux yeux et sa prise de parole fait toujours mouche car elle est pertinente. Avec le retrait de Lahm, Mertesacker et Klose, l’élégant défenseur central a pris du galon. C’est lui, par exemple, qui a décidé, un soir de septembre 2017, à l’issue d’un match contre la République tchèque à Prague, de refuser d’aller saluer au pied de leur tribune des supporters allemands aux chants extrémistes. Pendant que d’autres, à la fédération, bottaient en touche, lui s’est clairement positionné pour que de tels individus soient écartés des stades. Double effet positif, en interne et en externe.

Neuer, l’exceptionnel

Manuel Neuer n’est ni aussi beau parleur qu’Hummels, ni attiré par le pouvoir comme Khedira. Ça n’en est pas moins un élément exceptionnel, en particulier par la grâce de ses multiples titres de meilleur gardien du monde. Et, entre ses poteaux d’où il voit tout et au-delà, un garant de l’autorité, d’où son capitanat peu, voire très peu, discuté, aussi bien au Bayern qu’en sélection. Demandez au FC Porto ou à la sélection algérienne : l’aura de champion de l’ancien joueur de Schalke a peu d’équivalent. Non seulement Löw, contrairement à d’autres sélectionneurs, n’a pas hésité à confier le brassard à son gardien vedette mais le fait qu’il ait patienté jusqu’à la dernière minute pour lui garder une place au Mondial ne trompe pas.
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Manuel Neuer

Crédit: Getty Images

Un autre joueur bavarois joue, au sein du sextet, une partition très singulière : Thomas Müller. Les blagues du meilleur buteur du Mondial 2010 sont aussi légendaires que ses qualités mentales hors norme. Müller mouline – c’est un slogan incontournable des réseaux sociaux qui fera toujours sourire les germanophones – et l’atmosphère se détend. Déguisé en serveuse traditionnelle bavaroise, il a donné le ton du Mondial 2014. Mais derrière cette façade facétieuse, personne n’incarne le compétiteur mieux que lui. Avec 10 buts en Coupe du monde, à 28 ans seulement, il peut exploser, cet été ou dans 4 ans, le record de… l’entraîneur des attaquants de la Mannschaft, Miroslav Klose. "N’importe quelle équipe a besoin d’un gars comme ça", selon Löw. Précision superflue.

Kroos tire les ficelles

Du même âge mais dans un tout autre style, façonné lui aussi au Bayern mais magnifié au Real, Toni Kroos fait indéniablement partie des patrons. Le jeu, et l’équipe sur le terrain, c’est lui qui les dirige. Ce rayonnement, du reste, dépasse désormais le rectangle vert. "Aujourd’hui, a-t-il balancé au calme à la suite de la défaite en amical en mars contre le Brésil, certains ont manqué une occasion de se montrer." Cette phrase a pesé et pèse lourd, tant au présent qu’au futur.
En matière de poids, le sixième de la liste, Jerome Boateng, se pose évidemment là. La défense centrale la plus lourde du tournoi qui commence est celle de l’Allemagne, forcément, et pas seulement grâce au quintal de Niklas Süle. Boateng, il y a dix ans, était un timide. Il est devenu un boss. Personne ne délivre d’autocritique plus cinglante que le Berlinois après les matches. Un poids lourd de plus s’est ainsi imposé, et Löw n’y est pas étranger. Avec son management, les patrons de demain sont déjà en place. Nul doute que Joshua Kimmich, 23 ans, récupèrera le brassard à moyen terme. Julian Draxler, brillant capitaine de la Coupe des confédérations en 2017, a lui aussi exprimé un potentiel dans ce domaine. Les perspectives sont tracées. Ce sera après le Mondial 2018.
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Allemagne

Crédit: Eurosport

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