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Quand l'Argentine a failli imiter la France de Knysna

Thomas Goubin

Mis à jour 29/06/2018 à 17:54 GMT+2

COUPE DU MONDE - Au bord du précipice après sa déroute face à la Croatie (0-3), l'Argentine n'a pas été loin de vivre son Knysna avant d'arracher sa qualification face au Nigeria (2-1). Retour sur ces journées de crise, entre rumeurs de putsch des joueurs et déclarations assassines.

Argentine Sampaoli

Crédit: Getty Images

"Qu'il dise ce qu'il veut !" Une phrase courte au tranchant d'une lame fraichement affûtée. Signée Sergio Agüero. Si besoin était, la réaction qui suivait ne laissait planer aucune ambiguïté sur la considération d'El Kun envers son sélectionneur, même si la question du journaliste était quelque peu imprécise : notre collègue argentin assurait que Sampaoli venait de déclarer que "les joueurs ne s'étaient pas adaptés au projet", alors que le bonze de Casilda avait seulement évoqué "un projet (de jeu) qui n'avait pas prospéré". Reste que l'attaquant de Manchester City a vécu assez de moments délicats dans sa carrière pour savoir jouer l'indifférence ou, au moins, pour être capable de serrer les dents face à la contrariété, et éviter ainsi de jeter de l'huile sur le feu. Agüero n'a pourtant pas pu, ou pas su, feindre un certain respect envers son sélectionneur. Là où un "le coach", ou "el profe", en espagnol, s'imposait, l'attaquant aux 88 capes employait un "il" méprisant, avant de quitter la zone mixte manifestement remonté, à l'image d'une équipe au bord de la crise de nerfs. Une équipe qui aurait même voulu se débarrasser de son sélectionneur, un peu comme les Bleus s'étaient unis contre Raymond Domenech, en 2010, à Knysna.
La tempête dans laquelle allait (sur)vivre l'Albiceleste lors des quatre jours séparant la Croatie du Nigeria venait de se déclencher. Tout semblait alors possible, même le plus invraisemblable. Quand Caruso Lombardi, entraîneur argentin connu pour sa faconde, assurait que les joueurs désiraient que le manager général de la sélection, Jorge Burruchaga, prenne la succession de Sampaoli, la déclaration devenait l'aliment principal du débat. Selon Lombardi, Messi avait "mal joué volontairement" contre la Croatie, pour creuser la tombe de Sampaoli.
Ce 21 juin, début de l'hiver en Argentine, le climat escortant la sélection allait devenir encore un peu plus orageux quand était filtrée une analyse de Diego Simeone envoyée - via Whatsapp - à son adjoint colchonero, German Burgos. El Cholo s'en prenait notamment à Willy Caballero, gardien trop téméraire dans son jeu au pied, mais aussi aux choix stratégiques de Sampaoli. "Quand les entraîneurs se trompent cela pénalise davantage l'équipe que quand ce sont les joueurs, disait Simeone. Il y a une responsabilité de l'entraîneur." L'ex-pilier de l'Albiceleste n'éludait pas non plus le débat autour du rendement de Messi en sélection, prisme favori des polémistes argentins. "Il est excellent (à Barcelone) car il est accompagné de footballeurs extraordinaires, disait-il aussi à son adjoint. Mais pour une équipe normale, qui préfères-tu, Messi ou Ronaldo ?"

Messi et Mascherano sélectionneurs ?

La préférence du Cholo était évidente et ne pouvait qu'alimenter la rumeur - ou la réalité, d'après divers journalistes argentins - selon laquelle Simeone refusera de diriger l'Albiceleste tant que Messi n'aura pas pris sa retraite internationale. La raison ? Le Barcelonais ferait l'équipe...
Au-delà du cas du quintuple Ballon d'Or, la thèse d'une prise de contrôle de la sélection par les joueurs a alimenté l'avant-match face au Nigeria, même si Burruchaga n'a pas imité Fernando Hierro en sautant du poste de manager à celui de sélectionneur. Quelques images ont ainsi suffi à conclure à un coup d'Etat. Le 23 juin, l'AFA (Association argentine de football) diffuse une vidéo où l'on aperçoit Angel Di María et Enzo Pérez s'entretenir avec Sampaoli. Selon le page internet du quotidien, Clarín, l'intention était de montrer un groupe uni où le dialogue existe entre joueurs et sélectionneur.
Mais ces images seront avant tout interprétées comme une prise de pouvoir de Messi et consorts. Pour appuyer cette thèse, il y avait surtout cette image de Mascherano au côté de Sampaoli, où El Jefecito pointait un doigt sur le cahier que tenait son sélectionneur, comme s'il donnait une indication. La conclusion était tirée sans attendre : "Mascherano fait l'équipe". Une interprétation qui conduira El Jefecito à monter au créneau sur Instagram. "Quand on parle (avec le sélectionneur) c'est pour imposer (nos idées), écrivait-il. Et si on ne le fait pas c'est qu'on est en conflit ou alors qu'on s'en fout." Une véritable quadrature du cercle.
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Argentine Sampaoli Mascherano

Crédit: Getty Images

Quoiqu'il en soit, à l'énoncé du onze élu pour affronter le Nigeria, l'influence des cadres sur les choix du sélectionneur apparaissait évidente. Higuain en pointe, Enzo Pérez et Mascherano dans l'entre-jeu, Marcos Rojo de retour, cette Albiceleste ressemblait davantage à l'Argentine du Mondial 2014 qu'à celle que voulait mettre en place Sampaoli. Beaucoup de vieux grognards, et peu de joueurs mobiles et polyvalents comme les aime l'ex-entraîneur de Séville. Paradoxalement, malgré des critiques qui n'épargnaient personne - des joueurs sans orgueil à un sélectionneur égaré - même les plus grands détracteurs de l'Albiceleste estimaient qu'elle pourrait dominer le Nigeria et se qualifier. "Avec notre arrogance nous avons trop confiance en notre condition de puissance footballistique prédestinée", avait toutefois alerté le champion du monde 1986, Jorge Valdano, dans un texte écrit pour The Guardian, une réflexion sur les maux du football argentin.
Au bord du précipice, l'Albiceleste finira tout de même par se sauver. Mais que se serait-il passé si Marcos Rojo n'avait endossé l'improbable habit de héros à quatre minutes du terme du temps réglementaire ? Des retraites internationales en pagaille ? Un Sampaoli devenu persona non grata dans son propre pays ? Un grand déballage ? Au lieu de cela, la soirée du 26 juin se terminait sur des images du bus qui ramenait les joueurs à leur hôtel. Euphoriques, Higuain, Otamendi et consorts, chantaient à tue-tête. Le Knysna argentin n'a pas eu lieu …
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