Kroos promesse tenue

Toni Kroos n'est pas un joueur comme les autres. Le prodige du Bayern l'a rappelé jeudi. Pas sur le terrain, mais en conférence de presse. "Ne soyez pas offensé si je ne vous regarde pas quand je réponds à votre question, a-t-il dit à un journaliste radio, mais je dois regarder en direction des caméras de télévision." Une attitude rarissime, à l'image du talent de ce meneur de jeu de 21 ans. En Allemagne, cela fait longtemps qu'il ne passe plus inaperçu. Dès 2006, il était sous les feux des projecteurs pour son transfert au Bayern Munich, surmédiatisé pour un gamin de 16 ans. "En ce moment, nous ne donnons le numéro 10 à personne car il est réservé à Toni Kroos", disait à l'époque Uli Hoeness, le manager du club bavarois. Cela en disait déjà long sur les attentes autour de l'adolescent originaire de l'ex-RDA.

Toni Kroos vient de loin, très loin même. De Greifswald, une ville d'environ 50 000 habitants à quelques encablures de la mer Baltique et à proximité de la Pologne, où il a effectué ses premiers pas de footballeurs à l'âge de 11 ans. Cinq ans plus tard, il rejoint le Hansa Rostock et fait le bonheur de l'équipe des moins de 17 ans, avec laquelle il termine vice-champion d'Allemagne. Le talent du tout jeune milieu offensif attire les recruteurs. Ceux du Bayern le suivent à partir de 2004.

En deux ans, ils sont définitivement convaincus par Kroos, qui rejoint le club bavarois pour un montant qui a fait beaucoup de bruit... à défaut d'avoir été révélé (officieusement, il serait de 2,3 millions d'euros, une somme colossale pour un joueur de 16 ans à l'époque). Un an plus tard, après avoir été l'un des principaux artisans du titre du Bayern en moins de 17 ans et du parcours de la Nationalmannschäft jusqu'aux demi-finales de l'Euro dans la même catégorie, Ottmar Hitzfeld fait monter le prodige en équipe première.

Le début de saison de Kroos est enthousiasmant. Il conduit l'Allemagne à la 3e place du Mondial des moins de 17 ans en Corée du Sud, dont il est élu meilleur joueur avec cinq buts et quatre passes décisives à la clé. Quinze jours après son retour d'Asie, il dispute son tout premier match de Bundesliga face à l'Energie Cottbus et devient à 17 ans et 265 jours le joueur le plus jeune à jouer un match de championnat d'Allemagne. Entré en jeu à moins de 20 minutes du coup de sifflet final, il trouve le temps de donner deux passes décisives à Miroslav Klose et le Bayern s'impose 5-0.

Malgré ce départ en fanfare, Kroos ne s'impose pas au Bayern, qui a finalement attribué le numéro 10 à Arjen Robben. En manque de temps de jeu sous les ordres de Jürgen Klinsmann, il est prêté au Bayer Leverkusen en janvier 2009, lors du mercato hivernal. Le jeune Allemand s'y révèle, et Jupp Heynckes n'y est pas pour rien. L'entraîneur du Bayer accorde toute sa confiance à Kroos, qui dispute 48 matches et inscrit 10 buts en un an et demi passé sous les couleurs du club rhénan. Avec les équipes de jeunes, en club comme en sélection, le joueur avait donné un aperçu de ses qualités. Un jeu de passe remarquable et inspiré, une lecture du jeu hors du commun, une énorme frappe de balle, une capacité à jouer des deux pieds, soit la panoplie idéale du numéro dix moderne.

Son passage au Bayer révèle un autre paramètre de son jeu : le besoin de confiance. "Cela procure un autre sentiment, le fait de ne pas sentir qu'on joue pour prouver ou pour remplacer quelqu'un", explique-t-il. De ce point de vue, Kroos, du haut de ses 21 ans, doit déjà beaucoup à Heynckes. "Il a été très important pour moi à Leverkusen, à un moment où j'avais besoin de progresser. Il a été le premier coach à me donner un stat de titulaire chez les pros. C'était du gagnant-gagnant : il m'a aidé et je l'ai aidé par mes performances avec le Bayer", reconnait-il. Le jeune Allemand est même gagnant sur toute la ligne. Profitant des blessures de Michael Ballack ou Simon Rolfes, il est sélectionné pour la Coupe du monde 2010 et se fait notamment remarquer lors de la demi-finale face à l'Espagne. Il n'a plus quitté la Nationalmannschäft depuis.

De retour au Bayern après l'aventure sud-africaine, Kroos ne semblait pas promis à un premier rôle. Mais les blessures de Robben et Franck Ribéry lui offrent du temps de jeu sur les ailes, dans le 4-4-2 de Louis Van Gaal. On découvre alors une autre facette de son jeu, sa polyvalence. Même si l'ancien pensionnaire des équipes de jeunes du Hansa a sa préférence : "dans l'axe, peu importe la position. C'est là que je m'exprime le mieux." Kroos visite les différents postes de l'entrejeu et dispute pas moins de 27 matches de Bundesliga, dont 19 comme titulaire. Sur les ailes donc, mais aussi en soutien de l'attaquant de pointe, ou un cran en-dessous aux côtés du milieu défensif. Il peut jouer partout, ce qui constitue aussi une aubaine pour une équipe d'Allemagne qui ne manque pas de talents au milieu, à l'image de Bastian Schweinsteiger, Mesut Özil ou Mario Götze, entre autres.

L'arrivée d'Heynckes au poste d'entraîneur du Bayern cette saison a cependant donné du corps à un débat qui agite la Nationalmannschäht. Comme à Leverkusen, il fait jouer son poulain en 10 et les discussions vont bon train outre-Rhin sur le joueur à placer au poste de meneur de jeu en sélection nationale, à savoir Özil ou Kroos, sachant que Götze a lui aussi prouvé sa faculté à briller dans ce rôle. Le joueur du Bayern défend plutôt bien sa cause en ce début de saison. Il a affiche notamment un ratio de 82% de passes réussies dans le camp adverse. Seul David Jarolim (Hambourg) fait mieux parmi les joueurs de Bundesliga. Face au Bayer Leverkusen, invité du Bayern samedi (18h30) pour le choc de la 7e journée, il aura l'occasion d'améliorer encore ce score. Et de se rappeler au bon souvenir d'une équipe qui aura joué un rôle déterminant dans sa jeune carrière.