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La Ligue 1 est-elle faible tactiquement ?

Christophe Kuchly

Mis à jour 25/10/2019 à 18:01 GMT+2

LIGUE 1 – Très dense au niveau du classement, le championnat de France vit un début de saison pauvre question spectacle. Et si le niveau des joueurs conditionne les matches, les approches des entraîneurs n'y sont pas pour rien.

Paulo Sousa (Bordeaux-PSG)

Crédit: Getty Images

S'il y a bien une expression mal utilisée dans le foot, ce serait celle de "match tactique". Souvent employée pour désigner des rencontres cadenassées, où on ne peut pas analyser les situations de but puisqu'il n'y en a pas, elle sous-entendrait que la tactique vise d'abord à faire déjouer l'adversaire et à protéger son but. La complexité des circuits offensifs de nombreux coaches actuels a beau prouver l'inverse, en ce début de saison, la Ligue 1 ne fait rien pour casser les préjugés. Dans le doute, plutôt que mal jouer, on préfère ne pas jouer. Tour d'horizon des raisons qui expliquent pourquoi, à défaut d'être mauvais, le championnat tarde à décoller.

La prudence sans ballon

Parmi les nouveaux indicateurs statistiques, il y en a un qui confirme les impressions visuelles. Le PDDA (passes allowed per defensive actions in the opposition half), indice qui calcule le nombre de passes de l'adversaire lors de la phase préparatoire d'une action, permet de quantifier le pressing. Plus le nombre est bas, moins l'autre équipe passe de temps à faire tourner dans son camp – soit parce qu'elle perd le ballon, soit parce qu'elle tente une attaque rapide, ce qui a été le cas de Paris pendant près d'une heure contre Bruges. En France, seulement quatre équipes sont sous les dix, contre sept en Bundesliga, huit en Premier League et dix en Liga et en Serie A.
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Marco Verratti (PSG) au pressing contre Sangaré et Toulouse

Crédit: Getty Images

Présentée comme ça, la démonstration est abstraite. Mais sur le terrain, match après match, le scénario se répète : hormis Paris, qui cherche à étouffer l'adversaire en jouant haut et en récupérant la balle dès qu'elle est perdue, aucune équipe ne semble confiante avec de grands espaces à défendre derrière. Cette absence de variété tactique sans ballon, compréhensible vu les risques en cas de mauvaise coordination, enferme les rencontres dans des scénarios répétitifs et baisse le rythme.
Celui qui a le ballon avance calmement, celui qui ne l'a pas l'attend en bloc médian, et il ne se passe quasiment rien jusqu'au rond central. Ensuite, il faut trouver des failles contre un adversaire attentif et qui évolue en supériorité numérique dans son camp. Pour cela, il n'y a que deux solutions : le dribble ou la passe. La Ligue 1, qui perd ses talents chaque été, ne possède pas quantité d'éléments capables de gagner des un-contre-deux. Et, sans volonté d'attaquer en nombre, il faut que les circuits offensifs puissent créer de l'espace. Sylvinho, qui ne voulait pas de latéraux trop offensifs, l'a appris à ses dépens : en gardant quatre joueurs en couverture, donc en attaquant à six contre dix, on n'arrive souvent à rien.
À l'inverse, l'exemple d'Eibar, qui presse à six dès la relance et joue avec ses défenseurs à la médiane peu importe l'adversaire, est emblématique. Ultra risquée, cette philosophie coûte des buts qui peuvent frôler le ridicule, mais elle a aussi permis de mettre 3-0 au Real et de tenir Barcelone en échec l'an dernier. L'Atalanta, qui évolue également très haut mais avec de meilleurs joueurs, brille en Serie A et explose en Ligue des champions. Et on ne parle pas de Bruges une fois Kylian Mbappé sur le terrain... Leurs postes fragiles, on comprend que les coaches de L1 ne tentent pas ce quitte ou double permanent – qui requiert bien plus de travail tactique, et d'adhésion de joueurs qui doivent énormément courir, que de tenir un 4-4-2 dans son camp. Mais le spectacle s'en ressent.
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Mbappe Bruges PSG

Crédit: Getty Images

Les changements de dispositifs

C'est un peu l'histoire du bon et du mauvais chasseur. Il y a les entraîneurs qui changent la structure de leur équipe pour les bonnes raisons et les autres mais, dans l'absolu, leur choix est le même. Le problème de la Ligue 1 cette saison, c'est que la plupart des modifications sont faites dans des moments difficiles… et donc tournées vers plus de conservatisme. Si quelques exceptions existent, à commencer par des Amiénois qui préparent des plans de jeu offensifs précis chaque semaine, beaucoup d'entraîneurs pensent à se rassurer avant de chercher à embêter l'adversaire.
À ce titre, les nombreuses utilisations de systèmes à trois (ou cinq) défenseurs sont très intéressantes. En seulement dix journées, onze des vingt équipes du championnat ont débuté avec trois axiaux, un dispositif qui n'a jamais disparu en Italie mais avait été quasiment abandonné depuis que la Division 1 est devenue Ligue 1. Et pour cause : difficile à animer offensivement, avec le risque de perdre la bataille du milieu – potentielle situation de deux contre trois – et une grande importance donnée aux pistons, il nécessite de repenser totalement les complémentarités et couvertures des dispositifs plus traditionnels (4-2-3-1, 4-4-2, 4-3-3).
Sans travail préparatoire et compréhension rapide des joueurs, le principal intérêt est d'ajouter un défenseur, et donc de protéger son but. Sauf à jouer très haut, ce qu'a fait le LOSC mercredi contre Valence, dans un 3-4-2-1 inauguré la veille à l'entraînement. Une stratégie qui fonctionne d'autant mieux quand l'adversaire cherche à poser le jeu et casser le pressing, ce qui est rare en Ligue 1 – inefficace aussi répondront les Bordelais après leur incapacité à le faire contre Paris.
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Jonathan Ikoné lors de la rencontre entre Lille et Nîmes, le 6 octobre 2019

Crédit: Getty Images

Construire son équipe par l'arrière n'est en soi pas un tort, surtout pour les mal classés qui aimeraient souvent garder le point avec lequel ils entament les matches. Mais, dans un contexte de changement permanent, le travail est plus micro-tactique (tel adversaire a des lacunes qu'on peut exploiter en faisant ceci), que macro (en perfectionnant tel système, on arrivera systématiquement à créer des situations favorables dans une zone du terrain). Avec ce que cela comporte d'irrégularités et de risque que le premier quart d'heure consiste uniquement à regarder ce que fait l'autre.
Pas encore significatives, les bonnes places de Nantes et Bordeaux donnent envie de croire à la répétition, au modèle de jeu immuable. Très fonctionnel sur le plan défensif, le 4-4-2 de Christian Gourcuff a ainsi permis d'obtenir des résultats plus rapides que le système hybride de Paulo Sousa, qui oblige à bien coulisser quand la balle est perdue. Là-bas comme ailleurs, ce sont les joueurs qui feront basculer les rencontres. Mais la progression du contenu d'une semaine sur l'autre permet de porter un jugement assez objectif sur le travail et l'ambition des entraîneurs.

La faillite des gros

Dans un sport où les riches le sont chaque année un peu plus, on se fie d'abord aux performances des équipes censées jouer les premiers rôles. Même si le multiplex du samedi soir s'est déplumé depuis quelques années, la majorité de la France – même pourvue d'un abonnement dédié – voit rarement évoluer les mauvais élèves. Les matches estampillés ventre mou, qui intéressent avant tout les supporters des formations concernées, sont d'abord jugés sur le nombre d'occasions diffusées dans résumés. Un point de vue forcément incomplet quand la médiocrité défensive de certains (Caen et Guingamp l'an dernier par exemple) donne l'illusion que l'adversaire sait attaquer.
En ce début de saison, le constat est sans appel : chacun à leur façon, Lyon, Marseille, Lille, Monaco et Saint-Étienne peinent à produire du jeu. Pour des yeux habitués à la Ligue des champions et aux grands chocs étrangers, voir des blocs déstructurés ou des circuits offensifs qui tournent en rond sans oser passer par l'axe est forcément étonnant. D'autant que cette stagnation est contagieuse. Si le "gros" n'a pas de points forts bien identifiés, le "petit" n'a pas à travailler sur un contre-modèle, et le jeu reste dans un entre-deux où on attend l'opportunité pour se livrer.
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Dimitri Payet (Marseille)

Crédit: Getty Images

De là à dire que la Ligue 1 est faible sur le plan tactique, il y a un pas. Si les équipes qui jouent bien sont rares, la plupart sont cohérentes et animées de principes clairs. Le problème, c'est que ce sont souvent les mêmes : réduction des espaces de l'adversaire plutôt que création pour soi, recours à la prudence en cas de mauvaise période, pensée collective pour défendre et initiatives individuelles pour attaquer. Pas de quoi rendre excitant un championnat dont le futur vainqueur est (quasiment) connu avant que la saison débute. À l'approche des nouveaux droits télé, et d'un sacré pactole pour ceux qui éviteront la descente, il faut croire que le spectacle n'est pas la principale préoccupation.
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