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Institution bancale, politique paradoxale et fardeau national : Paris ne sait pas retenir ses titis

Vincent Bregevin

Publié 22/06/2020 à 01:02 GMT+2

TRANSFERTS - Malgré ses efforts consentis pour développer son centre de formation et le talent des joueurs qui en sortent, le PSG ne parvient pas à s'appuyer sur ses jeunes pousses. Pire, celles-ci quittent le club de plus en plus tôt. Une tendance qui tient à plusieurs raisons. Et que Paris aura bien du mal à inverser.

Tanguy Kouassi et Adil Aouchiche (PSG)

Crédit: Getty Images

Il fut un temps où l'exception qui confirme la règle s'appelait Francis Llacer. Au milieu des stars, de Bernard Lama à George Weah en passant par Ricardo, Valdo, Raï ou David Ginola, ce milieu défensif le plus souvent utilisé en arrière droit était le fleuron de la formation parisienne. Le seul joueur issu des catégories de jeunes à avoir fait son trou en équipe première, sans s'y imposer pour autant. Il incarnait à la fois les lacunes du PSG à exploiter le vivier du bassin parisien et l'incapacité du club de la capitale à former des espoirs pour les faire monter jusqu'au plus haut niveau.
Depuis trente ans, Paris a fait des efforts pour progresser dans les deux domaines. Il a développé son scouting, de l'Île-de-France à l'étranger en passant par la Province. Il a amélioré au fil du temps ses infrastructures pour leur offrir le cadre nécessaire à leur développement. Le club de la capitale a recueilli le fruit de son travail en un sens. Il a en effet formé d'excellents joueurs, de Nicolas Anelka à Tanguy Kouassi en passant par Mamadou Sakho, Adrien Rabiot ou Kingsley Coman. La liste est loin d'être exhaustive et les cas de figure diffèrent la plupart du temps. Mais le constat reste invariable. Ses propres fruits, le PSG ne les a jamais vraiment savourés.

Kouassi, le cas symbolique

En attendant le dénouement du dossier Adil Aouchiche, qui semble pourtant déjà écrit, le cas Tanguy Kouassi vient déjà confirmer la tendance. A première vue, il avait tout pour signer son premier contrat pro au sein de son club formateur. Quinze apparitions dans un groupe pro à 17 ans, c'est déjà une bonne base pour envisager de s'installer à moyen, voir à court terme, comme un élément régulier de l'équipe première. Voire mieux après le départ annoncé de Thiago Silva. Kouassi avait réussi son intégration dans le club phare du football français à l'heure actuelle, avec l'ambition de remporter la Ligue des champions. Un club riche aussi. Paris paie ses joueurs au prix fort, y compris au niveau des salaires. De ce point de vue, il s'est donné les moyens de retenir Kouassi. Cela n'a pas empêché son joueur de lui tourner le dos.
Son choix a de quoi surprendre. "Kouassi vient juste de fêter ses 18 ans début juin, il avait du temps de jeu, la confiance du coach, il décide de rejoindre le Bayern, résume Laurent Mommeja, fondateur du site Espoirs du Football. Dans ce cas-là, moi, j’ai du mal à entendre ses arguments." Ils existent pourtant. Kouassi ne part pas pour partir. Il part pour rejoindre le Bayern, son choix parmi les nombreuses formations qui le convoitait. Un club évoluant dans un championnat qui s'est fait la réputation de donner leur chance aux jeunes, en particulier quand ils sont Français. Un club considéré comme une référence mondiale depuis des décennies, contrairement au PSG. Un club, bien que surnommé "le FC Hollywood", qui doit surtout sa réussite à une certaine stabilité. Même si elle reste relative.
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Kouassi privilégie le "projet sportif" du Bayern au PSG ? "Quand on voit la concurrence…"

L'institution bavaroise sera toujours perçue comme plus solide que celle du PSG. C'est d'ailleurs l'un des points faibles sur lequel Paris doit impérativement travailler. Que le club soit au-dessus de tout, c'est le désir. La réalité est différente. C'est impossible de quantifier le nombre de personnes qui gravitent autour du club. Des plus proches, comme les directeurs sportifs qui changent régulièrement, aux plus lointains, comme ceux qui composent le fameux "entourage" des joueurs, en passant évidemment par les agents. Chacun avec des intérêts souvent différents et qui ne correspondent pas forcément à celui du club. Les relations entre le PSG et ses jeunes en sont fatalement affectées. Pour eux, c'est difficile d'avoir une idée claire de ce qui les attends sur la durée.

Former des jeunes et faire jouer les stars

Le projet parisien n'est ainsi pas lisible de la même manière par tous. L'ambition est là, ça ne fait aucun doute. Mais si Paris forme des jeunes de qualité à tour de bras, il mise essentiellement sur des stars internationales pour atteindre son objectif. Des joueurs déjà confirmés. Le message envoyé sur le projet sportif est assez clair. "Quand on compare à l’Allemagne, eux ils font vraiment confiance aux jeunes, insiste Laurent Mommeja. Et pas uniquement sur l’aspect trading, ils ne sont pas juste là pour exposer des jeunes, ils veulent aussi avoir des résultats avec ces jeunes." Le joueur a les raisons d'y voir un cadre plus favorable pour trouver le temps de jeu nécessaire à sa progression. Même dans un club comme le Bayern, où la concurrence est au moins aussi forte qu'à Paris.
Le PSG joue sur deux tableaux et il a bien du mal à les faire cohabiter en parfaite harmonie. D'un côté, c'est difficile de ne pas voir dans les recrutements de Neymar, Kylian Mbappé, Edinson Cavani et tant d'autres la volonté d'installer le club dans le gotha du Vieux Continent. De l'autre, la volonté des dirigeants parisiens de sortir "le Messi de demain" n'est pas forcément compatible avec cette politique. "Le PSG est un cas à part, explique Christophe Hutteau, agent de joueurs. C’est dommage, pour pas dire regrettable, que ces jeunes pépites partent très tôt, avant de signer pro. Mais ce n’est pas ce qui va les mettre à mal économiquement. En termes d’image, en revanche, c’est différent parce qu’on en vient à se demander si c’est pertinent pour un club comme le PSG de mettre autant d’argent dans la formation si c’est pour ne pas en récolter les fruits sportifs."
Paris devrait-il prendre le risque de faire jouer ses jeunes pour les convaincre de leur importance au sein du club, quitte à laisser des stars sur le banc alors qu'elles sont performantes ? Sur ce point, le PSG est rattrapé par sa propre identité. C'est un club qui n'attend pas. Il lui faut des résultats, et il est toujours dans l'urgence pour les avoir. Avec tout ce que cela implique. "C’est plus facile pour un entraîneur de donner du temps de jeu à un joueur confirmé, même moins talentueux, qu’un jeune joueur, souligne Christophe Hutteau. Parce que l’entraîneur joue sa place. Aucun président ira dire à un entraîneur en crise de résultat ‘je vais te garder parce que tu as lancé plusieurs jeunes’. Donc les entraîneurs ne peuvent pas se permettre ce risque parce que lancer des jeunes, c’est aussi un risque."
Au moins, Paris arrive parfois à récolter les fruits de sa formation sur le plan économique. C'était le cas l'été dernier quant le PSG s'est séparé de plusieurs éléments formés au club. Les transferts de Moussa Diaby, Christopher Nkunku, Stanley Nsoki, Arthur Zagre et Timothy Weah lui avaient ainsi permis de récupérer près de 50 millions d'euros. Une rentrée d'argent essentielle pour permettre au club de rester dans les clous du fair-play financier. Avec une perte sportive relative. Si Nkunku brille de mille feux en Allemagne, il n'aurait certainement pas eu le loisir d'en faire autant à Paris cette saison tant la concurrence est forte au milieu comme en attaque. Compte tenu de l'opération financière, cela peut ainsi être son intérêt de former des pépites pour les revendre.
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Christopher Nkunku, buteur face à Mainz, en novembre 2019

Crédit: Getty Images

La Ligue 1, ce fardeau

Mais dans le cas Kouassi, Paris ne récupère rien. Il traduit aussi l'éternelle réalité à laquelle le PSG est confronté : c'est un club français. Cela lui pose déjà des problèmes pour attirer des joueurs ou les retenir tant la Ligue 1 peine à tenir la comparaison avec la Liga, la Premier League, la Bundesliga et la Serie A. Mais c'est loin d'être son seul désavantage. "La charte du football professionnel signé par un joueur dans son club professionnel ne peut excéder trois ans, rappelle Laurent Momeja. Dans des clubs étrangers, on peut excéder de cinq à six ans. Donc, en termes d’engagement, le calcul est vite fait. L’aspect financier pèse aussi avec un salaire lissé sur cinq ou six ans." Pour la signature du premier contrat pro, les clubs français ne sont ainsi pas armés pour lutter face à la convoitise étrangère. Et même Paris n'échappe pas à la règle.
Le club de la capitale n'a d'ailleurs vraisemblablement pas fini d'en faire les frais. Derrière Kouassi ou Aouchiche, d'autres pépites sont en train d'éclore. Et le PSG s'expose à les perdre de la même manière. Même en s'y prenant tôt pour que cela n'arrive pas. C'est notamment ce qui lui pend au nez avec Timothée Pembele, jeune défenseur de 17 ans et international U18. "Il a signé pro dix ou onze mois après la signature de son contrat aspirant, sans passer par la case contrat stagiaire, explique Laurent Mommeja. Donc à 19 ans et demi, s’il ne décide pas prolonger son contrat, il sera déjà libre. Donc il y a une course à faire signer des contrats pros aux jeunes mais derrière, avant l’âge de 20 ans, ils se retrouvent libres. Cela repousse le problème de deux ou trois ans."
C'est toute la complexité du cas parisien. La volonté du PSG de s'appuyer sur un centre de formation de qualité peut difficilement être démentie. Les moyens mis en œuvre pour y parvenir et le talent de ses jeunes en témoignent. Mais il se heurte invariablement à de multiples obstacles. Et quand ils ne viennent pas de l'extérieur, Paris se les créé lui-même. Son rêve de voir des pépites formées au club le porter vers les trophées les plus convoitées n'en devient que plus difficile à réaliser. Cela peut paraître paradoxal tant sa jeunesse parait toujours plus talentueuse. Mais plus que jamais, c'est bien la réalité.
Avec Cyril MORIN
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Nasser al-Khelaïfi et Leonardo lors d'un entraînement du PSG

Crédit: Getty Images

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