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Après l'arrêt cardiaque de Tom Lockyer | Le football, une affaire de coeur

Philippe Auclair

Mis à jour 19/12/2023 à 20:48 GMT+1

Samedi, Tom Lockyer, le capitaine de Luton Town, s'est effondré sur la pelouse lors du match entre son équipe et Bournemouth, victime d'un arrêt cardiaque, le second de sa carrière. Ce qui pourrait passer pour un épiphénomène tragique est en fait une réalité du sport de haut niveau ou non, que le football ne doit pas négliger selon notre chroniqueur, Philippe Auclair.

Tom Lockyer, le capitaine de Luton, a été victime d'un malaise lors du match à Bournemouth

Crédit: Imago

Il y a moins de vingt ans de cela, Tom Lockyer n'aurait probablement pas survécu à l'arrêt cardiaque qui le foudroya samedi après-midi sur la pelouse de Kenilworth Road. Le capitaine gallois de Luton Town, toujours en observation à l'hôpital, doit sa vie aux protocoles mis en place presque partout en Europe suite à une directive de l'Union Européenne en 2005, deux ans après que Marc-Vivien Foé était mort lors d'une demi-finale de Coupe des Confédérations Cameroun-Colombie, sous les regards horrifiés de dizaines de millions de téléspectateurs.
Le football s'était alors éveillé, bien tard, au "syndrome de mort subite" qui menaçait bien davantage de sportifs de haut niveau, de footballeurs en particulier, que ce qu'on avait cru jusqu'alors. Comment imaginer que de jeunes hommes (*) en pleine santé, suivis d'aussi près par le corps médical puissent succomber ainsi dans l'exercice de leur métier ?

Foé, Fehér et les autres...

Foé, qui souffrait d'une malformation cardiaque qui n'avait pas été détectée, ne fut hélas pas le dernier à être fauché de la sorte. Six mois plus tard, le jeune attaquant hongrois de Benfica Miklos Fehér mourait lui aussi en direct dans les derniers instants d'un match de championnat du Portugal contre Vitória de Guimarāes. Lui aussi avait un "coeur trop gros". Lui aussi l'ignorait. Dans son cas, les secours étaient immédiatement intervenus, et une ambulance était venue sur le terrain pour le transporter aussitôt à l'hôpital. En vain.
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L'hommage à Marc-Vivien Foé

Crédit: Getty Images

D'autres noms remontent à la mémoire. Antonio Puerta, la merveille sévillane, 23 ans seulement, dont la fiancée attendait leur premier enfant, tombé au stade Sanchez Pijuan en août 2007, décédé trois jours plus tard. Dani Jarque, le capitaine d'Espanyol, 26 ans, qui succomba dans une chambre d'hôtel de Florence quelques heures après une séance d'entraînement de pré-saison. Davide Astori, le capitano de la Fiorentina, lui aussi retrouvé mort dans sa chambre juste avant que d'affronter Udinese, en 2018.
Il y aussi les miraculés. Marco Andriana, sauvé par l'intervention immédiate des médecins de Sedan et de Niort lors d'un match de Ligue 2, en janvier 2008. Fabrice Muamba, le milieu de terrain de Bolton dont le coeur s'arrêta de battre pendant 78 minutes à White Hart Lane, lors d'un match de FA Cup, en mars 2012. Fabrice prit sa retraite et entraîne aujourd'hui les jeunes des Wanderers. Christian Eriksen, lui, a retrouvé les terrains avec Manchester United, après être "mort" au Parken Stadium de Copenhague lors du match d'ouverture du Danemark à l'Euro 2020 (*).

500 sportifs meurent chaque année d'un arrêt cardiaque

Mais ceux-là sont les noms qu'on connait, parce qu'ils jouent dans de "grands" pays de football, dans des clubs réputés, ou parce qu'ils sont internationaux. Chaque année, selon un dossier publié par la Fédération française de cardiologie en 2021, "plus de 500 sportifs meurent chaque année d’un arrêt cardiaque au cours de l’effort physique". Une étude menée de 1997 à 2016 au Royaume-Uni, qui suivit 11 000 footballeurs âgés de 16 ans pendant cette période, montra que l'incidence de ces accidents était trois fois plus élevée que ce qu'on avait cru auparavant. Huit des adolescents qui avaient pris part à l'étude furent ensuite victimes d'arrêts cardiaques qui leur coûtèrent la vie. Six d'entre eux n'avaient pas présenté la moindre anomalie lorsqu'ils avaient été examinés.
La situation est encore plus préoccupante en dehors de la vieille Europe et des Etats-Unis. Selon une étude menée par le African Heart Network en 2018, seulement 44% des stades africains étaient alors équipés de défibrillateurs. On m'a relaté le cas d'un joueur qui fut victime d'un arrêt cardiaque lors d'un match de championnat de D2 disputé dans un pays d'Afrique de l'Ouest. Aucune ambulance n'étant présente au stade, et aucun brancard n'étant à la disposition des soigneurs, il fut transporté à l'hôpital dans une brouette. Il fut impossible de le réanimer. L'impact du fossé financier qui sépare les grands championnats européens des autres n'est pas seulement sportif.

L'UEFA, la FIFA et les cadences folles

D'où qu'ils soient, il est en tout cas une chose que tous les footballeurs professionnels de haut niveau ont en commun. On leur demande toujours plus, alors que le jeu n'a jamais été plus rapide et plus exigeant sur le plan physique. Or, comme le dit la fédération française de cardiologie, "l’activité sportive agit ici [dans le contexte des arrêts cardiaques] comme le révélateur d’une maladie cardiaque jusque-là ignorée", car trop souvent indétectable. Plus les efforts consentis sont intenses, plus grand est le risque d'être victime d'un accident. Une fatigue accentuée, le stress, la chaleur et la déshydratation peuvent aussi servir de déclencheurs.
Or, si le football - à tout le moins en Europe - a fait les efforts pour se doter des équipements médicaux nécessaires pour parer aux urgences absolues, il en va tout autrement de ce qu'il impose à ceux qui le pratiquent au plus haut niveau. On a le droit de frémir lorsqu'on entend un Mikel Arteta dire qu'un joueur de haut niveau doit être prêt à disputer soixante-dix matches par saison. On a le droit de s'inquiéter lorsque l'UEFA et la FIFA décident d'alourdir encore plus un calendrier déjà surchargé en ajoutant, pour les premiers nommés, quatre matches au programme de la phase de groupe de la Ligue des Champions et en mettant sur pied, pour les seconds, une nouvelle formule de la Coupe du Monde des Clubs à 32 équipes.
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Gianni Infantino

Crédit: Getty Images

Si ni les uns ni les autres n'avaient pris le soin de consulter les premiers concernés, à savoir les joueurs, c'est qu'ils se doutaient bien de la réponse qu'ils auraient reçue. On joue déjà trop, et surjouer peut avoir des conséquences catastrophiques. Au football de se souvenir que, parfois, y jouer est bien une affaire de vie ou de mort.
(*) Chez les sportifs de haut niveau, 93% des victimes d'accidents cardiaques de ce type sont de sexe masculin.
(*) Eriksen, qui venait d'être sacré champion d'Italie avec l'Inter, n'aurait pas pu reprendre sa carrière en Serie A, celle-ci ne délivrant pas de licence pas aux joueurs s'étant fait implanter un défibrillateur automatique (comme c'est son cas).
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