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Série d'été sur le mercato 2003 - Chelsea, la révolution et ses excès précurseurs

Cyril Morin

Mis à jour 04/08/2023 à 10:33 GMT+2

A l'été 2003, un inconnu russe rachète Chelsea. L'oligarque Roman Abramovitch va changer le cours de l'histoire chez les Blues mais aussi sur le mercato. Pour son premier été, il met le feu au marché et investit à tout va, à coups de millions. L'Europe ne le sait pas encore mais son arrivée préfigure celle des capitaux étrangers dans les plus grands clubs mondiaux.

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Cette semaine, Eurosport vous fait revivre l'été où le football a changé d'ère. 2003 marque un tournant pour les Galactiques du Real Madrid, pour le FC Barcelone renaissant d'un certain Ronaldinho ou pour le transfert d'un prodige, Cristiano Ronaldo. Ce vendredi, dernier épisode de notre série avec l'été dingue vécu par le nouveau riche Chelsea, boosté par les millions de Roman Abramovitch.
L'histoire est ainsi faite. Les grandes lignes sont écrites par les grands hommes. Mais les étincelles, prémices des grandes révolutions, sont souvent le fait d'anonymes qui entrent de facto dans la mémoire collective. Le football n'échappe pas à la règle. Qui se souvient du footballeur qu'était Jean-Marc Bosman ? Pas grand monde mais son nom est associé au plus grand bouleversement des trente dernières années sur le mercato. De la même manière, qui se souvient de Jesper Grønkjær ? Le Danois présente certes un CV flatteur, avec des passages à l'Ajax, à Chelsea ou à l'Atlético, où figurent également 80 sélections. Mais il est surtout l'homme par qui est arrivé le grand chamboulement, l'auteur du but qui a sans doute changé à jamais la face du football.
11 mai 2003, 38e journée de Premier League : Chelsea reçoit Liverpool à Stamford Bridge. Marcel Desailly, William Gallas, Emmanuel Petit, Frank Lampard et Jimmy Floyd Hasselbaink qui défient Sami Hyypiä, Jamie Carragher, Steven Gerrard, El-Hadji Diouf et Michael Owen. La star du jour est Gianfranco Zola, idole des Blues, qui dispute son dernier match en Angleterre. Il sera vite éclipsé par l'improbable Grønkjær.
27e minute : Chelsea et Liverpool sont à égalité (1-1) tandis que le Danois se lance dans un raid à l'entrée de la surface. En déséquilibre, il balance une frappe enroulée du gauche qui finit au fond. Les Blues sont devant. Mais, plus important, les Blues sont en Ligue des champions. "Tout le staff savait que c'était un match important mais peut-être pas autant que ce qu'on pensait, rembobinait le Danois en 2020. A l'époque, il y avait des rumeurs de gros problèmes financiers. […] Avant le match, on avait parlé avec Claudio Ranieri (le manager) et Ken Bates (le propriétaire), c'était assez clair que Chelsea galérait mais on ne savait pas qu'on était à vendre".

"Le but à un milliard d'euros"

Forcément, le but de Grønkjær change tout. Chelsea en C1, c'est l'assurance d'attirer du beau monde pour un nouveau repreneur. En coulisses, un inconnu total se délecte de cette idée, un certain Roman Abramovitch. Voilà plusieurs semaines que l'obscur oligarque cherche un point de chute en Angleterre, idéalement à Londres pour suivre la tendance de "Londongrad", à savoir l'exil de riches russes dans la capitale du Royaume.
Mais avant Chelsea, Abramovitch avait pensé à un autre club, bien plus connu, bien plus solide. Un certain Manchester United. "Il avait été à Old Trafford, il avait adoré le match mais n'avait pas aimé l'ambiance, expliquera ainsi Bates à la BBC au moment de revenir sur la vente de son club. En fait, il avait fait un audit sur les 20 clubs de Premier League et avait préféré un club basé à Londres. A Chelsea, on n'avait pas de problème structurel, on avait terminé quatrième donc on avait une bonne base sur laquelle s'appuyer". Voilà donc comment le but de Grønkjær devient "le but à un milliard d'euros".
Le 2 juillet, le deal est officialisé : Roman Abramovitch devient propriétaire de Chelsea pour 140 millions de livres (200 millions d'euros), le plus gros rachat d'un club à l'époque. The Telegraph résume bien l'impression générale de l'époque : "Bates vend Chelsea à un millionnaire russe". Factuel mais révélateur du statut anonyme du Russe, dont on sait seulement qu'il a fait fortune sur les ruines de l'URSS, notamment dans le pétrole et le gaz. Le vendeur, profondément attaché au club mais grand gagnant financier de l'opération, annonce la couleur. "Je pense que c'est le signal de départ pour l'arrivée des 'sugar daddies' étrangers, explique Bates. Si c'est le début des envahisseurs fortunés, je suis très très intéressé de voir comment les fans vont réagir".
Comme tout le monde, ils sont dans l'inconnue face à l'inconnu. Ils vont cependant vite découvrir ses méthodes et comprendre son envie : faire de Chelsea l'un des géants d'Europe, avec une stratégie très agressive sur le marché. La presse européenne s'affole et tous les grands noms sont annoncés à Chelsea, renommé "Chelski" pour l'occasion. Il faut dire que les Blues ne mettent pas longtemps à entrer dans leur nouvelle ère.
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Roman Abramovitch lors du rachat de Chelsea en 2003

Crédit: Getty Images

2003, prémices de 2023

Des offres pour Raul, Alessandro Nesta, Edgar Davids, Christian Vieiri ou Fernando Torres sont notamment formulées. Thierry Henry, Patrick Vieira, Steven Gerrard, Samuel Eto'o, Andrey Shevchenko ou Wayne Rooney sont aussi évoqués alors que le nom de Chelsea est aussi utilisé pour faire grimper les prix dans les dossiers Ronaldinho ou Cristiano Ronaldo.
En l'espace de deux mois, ce sont treize joueurs qui rejoignent les Blues pour une dépense totale estimée à 170 millions, record évidemment explosé à l'époque. L'argent russe renverse tous les obstacles qui se présentent à Chelsea, amorçant alors des transferts qui trouvent un écho encore aujourd’hui. Les exemples sont multiples.
Glen Johnson (West Ham), Damien Duff (Blackburn) ne veulent pas quitter leur club ? Ils finissent malgré tout par débarquer. "Ça a été un week-end long et difficile à vivre, reconnait d'ailleurs Duff au moment de l'officialisation de son arrivée. Difficile parce que je ne voulais pas vraiment quitter Blackburn…"
Manchester United ou l'Inter Milan ne sont pas vendeurs pour Juan Sebastián Verón ou Hernan Crespo ? Les millions londoniens font tourner les têtes et rendent les transferts inévitables. "C'est toujours difficile de laisser partir les très bons joueurs, glisse Sir Alex Ferguson au moment du départ de Verón, avec qui le coup de foudre n'a jamais eu lieu. Mais on est très très bien équipés au milieu de terrain et l'offre globale était trop intéressante pour qu'on puisse la refuser".
Le Real Madrid ne veut pas céder face aux demandes de Claude Makélélé ? Le Français part au clash et obtient gain de cause. Bref, tous les scénarios fréquents en 2023 sont déjà au rendez-vous en 2003.
A l'époque, Ferguson, Wenger et les autres pensent que c'est un épiphénomène, que le marché finira par s'auto-réguler. "On essaye d'être cohérent et logique dans un marché qui s'enflamme de manière incontrôlée en Europe", lâche le manager de MU. Ils n'ont pas saisi le virage qui se joue en cet été 2003. L'Ecossais perd même son directeur général, Peter Kenyon, qui rejoint les Blues en septembre après avoir abandonné la bataille pour Ronaldinho.
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Les faux maillots de "Chelski" avec le nom de trois recrues : Mutu, Verón, Cole

Crédit: Imago

Ranieri, le job impossible

Sur le banc de Chelsea, Claudio Ranieri a résisté à la tempête de justesse. Les rumeurs autour de l'arrivée de Fabio Capello ou Sven-Goran Eriksson ont fleuri dans l'été mais c'est encore l'atypique Italien qui est aux commandes. Son amour du turnover lui offre le surnom de "The Tickerman" – soit "Le Bricoleur"- mais l'abondance de biens est un vrai défi, pour lui aussi. Avant Graham Potter qui galère à accueillir tous les joueurs de son effectif, Ranieri a dû gérer 34 joueurs dont 6 gardiens.
Fidèle à sa ligne de conduite, l'Italien la joue tout en souplesse. Il se prend même d'amitié avec son nouveau patron. "Quand il a acheté le club, on aurait dit un enfant dans une cour de récréation, il était jeune et enthousiaste, se souvenait-il pour So Foot en 2022. Il voulait tout comprendre, je voyageais souvent dans son jet privé après les matchs, c’est là que nous parlions de football".
Comme un symbole, pour la reprise de la Premier League en août, Chelsea affronte à nouveau Liverpool. Six changements dans le onze sont à noter par rapport au duel de mai 2003. Alors, face aux médias, Ranieri ne cesse de répéter que son objectif est d'abord de construire, pas encore de gagner. Une posture symbolisée par cette phrase : "J'adorerais avoir un jardin sur mon toit mais avant cela, il faut d'abord poser les fondations de la maison". Pourtant, dès septembre, il sait que son job sera impossible.
Vingt ans après, il se souvient du moment de bascule : "Pour sa première interview, Peter Kenyon avait dit 'si Claudio ne gagne aucun titre, ça sera un désastre. Je me suis dit à moi-même 'c'est fini Claudio, tu es mort'". Il n'a pas tort. Malgré les attentes démesurées, malgré la pression du résultat, son Chelsea progresse dans la hiérarchie anglaise (2e de Premier League) mais bute sur Monaco en demi-finale de C1 où ses choix tactiques font causer. Son sort est scellé d'autant que l'ascension du jeune José Mourinho a séduit Abramovitch pour en faire le symbole de ce nouveau riche moderne, arrogant mais franchement doué.
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Claudio Ranieri, alors entraîneur de Chelsea

Crédit: Getty Images

2 milliards plus tard, le football a durablement changé

C'est la tête haute que Ranieri quitte les Blues, fier des "fondations" au point de réclamer des années plus tard - à raison - avoir été à l'origine du tournant XXL pris par Chelsea. Et Abramovitch dans tout ça ? Il reste fidèle à sa sacro-sainte discrétion. Tout juste avoue-t-il à la BBC, après la signature de Verón, que le projet n'en est qu'à ses débuts. "Je n'ai pas encore fixé la somme totale que j'étais prêt à investir, explique-t-il alors. Ça dépendra sans doute de nos résultats. Si je constate qu'il nous faut acheter un joueur, quel qu'il soit, pour obtenir les résultats que nous souhaitons atteindre, alors je dépenserai plus".
Il le fera dans des proportions inimaginables, estimées à près de 2 milliards par The Sun au moment de la vente du club en 2022. Entretemps, toute la Premier League, ou presque, est passée sous pavillon étranger avec pas moins de 16 clubs dirigés par des consortiums ou hommes d'affaires américains, chinois, saoudiens ou pakistanais. Entretemps, les millions ont inondé l’Angleterre et donc l’Europe entière. Depuis, à Chelsea, c'est Todd Boehly et ses dépenses folles et démesurées qui sont au cœur des conversations et des polémiques, avec cette multipropriété qui risque de faire des dégâts ailleurs en Europe. 2003-2023 : Chelsea au cœur des révolutions mais aussi de ses excès.
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