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Énormes attentes, grosses déceptions : Épisode 2, Yoann Gourcuff, l’accident industriel de l’OL

Cyril Morin

Mis à jour 15/04/2020 à 14:29 GMT+2

A l’été 2010, Jean-Michel Aulas cherche à relancer son OL, privé de titre depuis deux saisons. Un nom ressemble à une évidence : Yoann Gourcuff. Formidable meneur de jeu, il est également une star marketing en devenir. Mais les blessures, physiques et psychologiques, auront raison de sa carrière. Deuxième épisode de notre série sur les gros transferts ratés en L1.

Yoann Gourcuff - échec de l'OL

Crédit: Eurosport

C’est une première en France. 25 août 2010, 15 000 personnes sont massées à Gerland pour l’occasion. Il n’y a pourtant pas de match ce jour-là. Mais c’est bien le destin de l’OL qui s’apprête à basculer devant une foule impatiente. Le joueur à même de relancer le club est là : Yoann Gourcuff. Du moins, c’est ce qui se murmure à l’époque. A la manière du Real ou du Barça, Jean-Michel Aulas décide d’organiser une présentation à la hauteur des attentes qui entourent la star du jour.
En ce mercredi estival, le boss lyonnais a évidemment le sourire. Il a de quoi. Le nouveau visage du football français, une star en puissance, rejoint le club le plus titré de la dernière décennie dans l’Hexagone et symbolise l’ambition retrouvée de son OL, privé de sacre depuis 2008 et demi-finaliste naïf de C1 quelques mois plus tôt. Le coup semble parfait.
Gourcuff à Lyon, c’est une longue histoire. Déjà du temps de son éclosion à Rennes, le club rhodanien a fait partie de ses courtisans. A l’été 2006, Milan rafle la mise certes mais Lyon n’était pas loin du compte. Ce n’est que partie remise. Quatre ans plus tard, le Breton a grandi. Peut-être un peu trop vite. Mais il est en passe d’incarner le foot français pour les années à venir. Sa saison 2008-2009 à Bordeaux l’a propulsé à toute allure en héritier de Zinédine Zidane dans les colonnes médiatiques. Ses coups d’éclats tricolores n’ont rien arrangé à la situation, au contraire.
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Yoann Gourcuff à son arrivée à Lyon à l'été 2010. Le temps des espoirs...

Crédit: AFP

Adidas en rêve, Aulas aussi

"Le gendre idéal du football français" tranche avec son milieu. Il attire à lui un public qui dépasse le simple cadre du terrain. Les marques se l’arrachent et, avant le Mondial sud-africain, Adidas dégaine une publicité qui fera parler. Bref, Gourcuff, c’est de l’or en barre. Sportivement bien sûr, en atteste son titre de meilleur joueur de L1 en 2009. Mais d’un point de vue marketing aussi. Et ça, Jean-Michel Aulas le sait mieux que personne.
Puisque le hasard fait bien les choses, l’OL aussi est désormais chez Adidas après de nombreuses années chez Umbro. Mi-juillet, c’est d’ailleurs une fête hors-norme qui est organisée place Bellecour pour présenter le nouveau maillot des Gones. "Je m’en rappelle encore, c’est dire, nous explique ébahi Jean-Alain Boumsong qui partira quelques semaines plus tard. La présentation Adidas à Bellecour, c’était unique. Même les plus anciens n’avaient pas connu ça". L’OL veut franchir un palier. Et Gourcuff doit être la pièce qui complète le puzzle.
Le club bruisse assez rapidement de la possible venue du virtuose bordelais. "Cette période, je m’en souviens bien, nous explique encore Boumsong. Je pars fin juillet au Panathinaïkós mais j’ai le temps de le voir arriver. Je vois Jean-Louis Legrand, directeur Adidas France, roder dans les parages..."
Le premier virage de ce transfert XXL se fera en sélection. "Tout a commencé quand j’ai reçu un appel d’Hugo Lloris lorsque les Bleus étaient en stage à Tignes (mi-mai, NDLR), résume Bernard Lacombe à l’époque. C’est là que les choses ont commencé à se décanter". Sous l’impulsion de ses amis Lloris et Jérémy Toulalan, Gourcuff se laisse tenter. Bordeaux a perdu Laurent Blanc et ne disputera pas la Ligue des champions. Jean Tigana, le nouveau patron des Girondins, compte évidemment sur lui mais prône un jeu plus direct, donc plus éloigné de la vision du meneur de jeu français.
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Yoann Gourcuff

Crédit: AFP

Transfert et contrat "hors norme"

Pourtant, les choses traînent. Jean-Michel Aulas confirme son intérêt dans ses interventions médiatiques mais dit se heurter aux intransigeances bordelaises. Le dossier se tasse et Gourcuff, marqué par le fiasco du Mondial (nous y reviendrons), semble reparti pour une saison sans saveur avec Bordeaux. Tout s’accélère fin août. Le 21, Gourcuff et son avocat, Didier Poulmaire, notifient à Jean-Louis Triaud leur volonté de rejoindre l’OL. Le 22, il est remplaçant au Parc des Princes mais délivre la passe décisive victorieuse à Michael Ciani après être entré en jeu (1-2). Ce sera sa dernière sous le maillot au scapulaire.
Le 23 août, c’est officiel : Yoann Gourcuff s’engage avec l’OL pour cinq saisons et 22 millions d’euros auxquels s’ajoute une prime que l’on considère presque comme acquise à l’époque : 4,5 millions en cas de vente du joueur dans les années à venir. Spoiler : Lyon ne paiera jamais ce bonus.
Le contrat aussi fait tourner la tête : 400 000 euros de salaire sur cinq ans. Aulas fanfaronne : "Je considère qu'un président réussit ce type de transfert une seul fois dans son parcours, sourit-il au moment de présenter sa star. On sent chez tout le monde une excitation me laissant penser qu'on vient de faire quelque chose d'hors normes". C’est le cas. Mais pour des conséquences bien éloignées de ce qu’il imagine.
Retour donc à ce 25 août qui doit marquer le début de l’histoire d’amour entre Gourcuff et l’OL. Il symbolisera, déjà, deux entités qui ne sont pas faites pour s’entendre. "Cette surmédiatisation, ce n’est pas moi, expliquera le Breton des années après à Stade 2. J’ai plus subi les choses, je n’ai pas choisi que les choses se passent comme ça. J’aurais préféré que ça soit plus discret, quelque chose qui me corresponde plus". La nuit de noces est gâchée. Elle annonce surtout un désastre qui va miner les deux entités durablement.

15 blessures et 11,5 millions d’euros par saison

Sportivement, Gourcuff arrive à un poste déjà bien pourvu. Miralem Pjanic, jeune espoir de 21 ans, sort d’une saison brillante (11 buts et 13 passes décisives). Ederson s’est gravement blessé, certes, mais Clément Grenier, appelé à devenir un taulier à l’OL, peut dépanner tout comme Chelito Delgado ou Kim Kallström. Bref, l’arrivée du Bordelais ne fait pas que des heureux sportivement.
Dans le vestiaire, la nouvelle star est cependant bien accueillie malgré son statut à part. "Franchement, c’était un super mec, très charismatique, nous explique Delgado. Et un vrai grand joueur. Quelqu’un de très humble, de très travailleur. Mais je pense que la pression n’a pas aidé". Un euphémisme. Sa première saison lyonnaise n’est pas au niveau des attentes. Pourtant, Gourcuff joue. 36 matches au compteur. Jamais il ne fera mieux.
C’est alors que débute la vraie descente aux enfers. A l’été 2011, une blessure à la cheville persistante le prive d’un début de saison complet. Le début d’une succession ahurissante de pépins qui pourriront ses performances mais également son moral. "Toutes ces blessures l’ont tellement frustré, nous explique Delgado. Quand il arrive, il était encore en progression mais c’était le joueur du moment. Mais il n’a pas pu donner ce que lui voulait donner. Pas ce que les gens attendaient mais juste ce que lui espérait donner". Ainsi est fait Gourcuff : quand d’autres préfèrent jouer en serrant les dents, lui préfère être en pleine possession de ses moyens. Ce qui n’arrivera plus.
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Yoann Gourcuff touché, une image que l'OL verra pendant cinq saisons

Crédit: Getty Images

Au total, quinze blessures viendront jalonner son parcours lyonnais. Dont certaines finiront d’achever sa réputation. Joueur en cristal, il ne disputera que 128 matches en cinq saisons avec l’OL (sur 259 disputés, NDLR), dont seulement 23 en intégralité. Schématiquement, sur ses cinq ans, l’OL joue la moitié du temps sans sa star annoncée. Coût total du naufrage par saison pour le club : 11,5 millions d’euros.

Un échec qui enterrera Gourcuff… et la politique lyonnaise

Il devait être la nouvelle star du foot français, il en deviendra la risée par ses blessures au caractère bien trop répétitif. Pourtant, les supporters lyonnais vous le diront : Gourcuff aura réussi à les faire vibrer sur certaines actions, bien trop rares, rappelant à tous son immense talent. Mais les blessures n’étaient pas que physiques.
En réalité, en débarquant à Lyon en cet été 2010, Gourcuff est déjà meurtri par son Mondial complètement raté et le scandale de Knysna. "Il faut le dire, ce Mondial a eu un effet dévastateur sur Yoann, qui sera marqué par ça et ça aura un impact évident sur son séjour à Lyon", nous souffle Jean-Alain Boumsong. Entamé lors de sa deuxième saison bordelaise, le déclin du meneur de jeu ne fera que s’accentuer du côté de Tola Vologe. En 2015, il quitte le club libre, par la petite porte. C’est un Jean-Michel Aulas désolé qui l’officialise : "C'est avec un peu de nostalgie. C'est un grand joueur qui n'a pas su s'intégrer".
"Certainement l’attente était trop grande à Lyon, expliquera-t-il à Ouest-France en 2018. Je suis un joueur qui s’inscrit dans le collectif alors que l’on attendait peut-être de moi que je résolve les problèmes. J’ai fait ce que j’ai pu. Je me suis donné à fond. Il y avait un environnement qui n’était pas favorable." A Rennes ou à Dijon, il ne trouvera pas forcément de terrain fertile pour se relancer.
Son passage lyonnais n’aura pas été qu’un fiasco personnel. Sur ce coup de poker, Jean-Michel Aulas pensait faire grandir son club. Il le pénalisera pour les années à venir. Après Gourcuff, l’OL mettra plus de cinq ans à miser plus de dix millions d’euros sur un joueur. C’est le temps des Gaël Danic, Lindsay Rose, Arnold Mvuemba et autres Fabian Monzon. Clairement pas le même pedigree. Heureusement, le centre de formation a su offrir d’autres trésors aux lyonnais.
De ce transfert, finalement, ne reste qu’un goût de gâchis. Pour le joueur et pour le club. "Dans la planification, tout était parfait", avance Boumsong. La star française qui rejoint le plus gros club français des dernières années, le match devait être total. Il restera pour toujours un mariage inachevé.
Yoann Gourcuff et Jean-Michel Aulas
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