6 NATIONS | IRLANDE - FRANCE | Le jeu en losange, bijou tactique et arme fatale du XV du Trèfle

Samedi 4 février. Millenium Stadium de Cardiff. 118 secondes de jeu. A peine le temps d’entrer dans la rencontre, que les Gallois encaissent un premier essai face aux Irlandais. Déjà, le XV du Trèfle a fait parler la poudre au terme d’une offensive bien de son cru, et dont l’extrême maîtrise tactique dit beaucoup de la puissance du géant vert.

Si l’Irlande peut rouler des mécaniques, c’est aussi parce que ses joueurs se connaissent pour la plupart par cœur, puisqu’ils se côtoient presque exclusivement dans les grandes formations provinciales du pays. 9 des 15 titulaires samedi dernier face au pays de Galles évoluent au Leinster, sachant que Tadhg Furlong, Cian Healy et Jamison Gibson-Park, trois autres joueurs du Leinster habituellement titulaires en sélection, étaient forfaits. Plus facile, dans ces conditions, de créer des automatismes.

Mais la bonne, ou très bonne connaissance de ses partenaires ne suffit pas à expliquer l’aboutissement du système létal mis en place par le XV du Trèfle, qui au pire épuise, au mieux déchiquète la défense adverse dès lors qu’il est correctement mis en branle. Un système en losange, puisqu’il mobilise au départ quatre joueurs et se caractérise par une multiplication de possibilités pour le porteur du ballon, qui prend forme à la sortie des rucks et dont le chef d’orchestre s’appelle Johnny Sexton. Illustration avec le premier mouvement du 6 Nations de l’équipe d’Irlande.

Image 1 : Sexton a botté un long coup d’envoi, et les Gallois ont aussitôt joué au pied. L’arrière Hugo Keenan (ballon en main) va créer un premier point de fixation à 40 mètres de l’en-but gallois.

Image 2 : Keenan est très vite soutenu, et Conor Murray sort très rapidement le ballon. C’est l’une des forces de l’Irlande, que la France a réussi à contrecarrer lors de ses deux dernières victoires dans le Tournoi : ses déblayages sont très efficaces, et le ballon sort généralement très vite des rucks à l’avantage du XV du Trèfle.

Image 3 : Voici le premier losange d’école des Irlandais dans ce tournoi, celui que la France devra camisoler si elle veut résister aux assauts irlandais. Caelan Doris, casque noir et ballon en main, en est la pointe ; Josh van der Flier est à sa droite avec le casque rouge, et Finlay Bealham est à sa gauche. Jonathan Sexton est la pointe basse de ce losange qui regarde vers l’en-but gallois.

Dans cette situation, la menace vient de trois endroits. Doris peut :

Image 4 : Caelan Doris a décidé de garder le ballon. Il est donc aidé par Bealham et van der Flier, qui sont restés très proches de l’action. Le déblayage est très rapide, et laisse peu de temps à la défense galloise pour se positionner. On voit sur ce plan Murray (en bas à gauche) qui s’approche du ruck, et Sexton (numéro 10) qui commence à s’écarter, lui qui était resté proche aussi pour laisser planer l’incertitude.

Image 5 : Une seconde à peine plus tard, le ballon est dans les mains de Jonathan Sexton, qui peut partir au large : il sait que le surnombre est créé. Les deux joueurs de la deuxième ligne (Doris et Beirne, casqués), fixent la ligne galloise en offrant une solution à leur ouvreur, qui va aller chercher son centre Stuart McCloskey (numéro 12, aux chaussures jaunes).

Image 6 : McCloskey trouve d’une passe sautée James Lowe, l’ailier irlandais (hors du cadre sur l’image). Il lobe Josh Adams, le dernier défenseur de la ligne.

Image 7 : Lowe a eu du temps pour ajuster un bon coup de pied à suivre, et les arrières gallois ont péniblement obtenu une touche à 10 mètres à peine de leur ligne d’en-but. En un seul mouvement, les Irlandais ont mis la pression sur les Gallois. Ils marqueront quelques secondes plus tard au terme d’une intense séquence.

Face à la France, l’Irlande tentera souvent de recréer ce schéma, qui lui ouvre une myriade de possibilités et qui met en difficulté n’importe quelle défense. Mais ce système, aussi dangereux soit-il, est très exigeant mentalement et physiquement pour les Irlandais.

En plus de demander une grande concentration de tous les joueurs du XV du Trèfle ou presque pour être correctement mobilisé, il est particulièrement gourmand en efforts physiques, et requiert chez les avants une qualité de jeu à la main peu commune. L’absence des deux piliers titulaires, Cian Healy et Tadhg Furlong, est en ce sens une bonne nouvelle pour les Français.

La mise en difficulté des Irlandais dans les rucks rendra également la tâche bien plus ardue aux coéquipiers de Johnny Sexton. Si le temps d’avance vient à manquer pour lancer l’offensive, les vagues irlandaises ne se transformeront pas en tsunami à l’Aviva Stadium. Croire en les capacités de duel et de grattage au sol de Julien Marchand, Cyril Baille, Paul Willemse et consorts n’a rien d’une utopie.

Enfin, nul doute que Johnny Sexton recevra les soins spéciaux des joueurs français, qui n'hésiteront pas à attaquer de front dans sa zone pour l'user physiquement et limiter le plus possible son apport offensif. Les Français ont déjà battu l’Irlande, alors même qu’elle maîtrisait ce ressort tactique. Rien ne les empêche de le faire de nouveau.