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Arbitres harcelés et menacés : une dérive à combattre, une réflexion à mener

Anthony Tallieu

Mis à jour 01/11/2023 à 10:53 GMT+1

La Coupe du monde 2023 a connu, comme les éditions précédentes, son lot de polémiques arbitrales. Un cap a toutefois été franchi dans la virulence des attaques subies par les arbitres concernés, que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Un phénomène assez nouveau et qui pose question pour un sport qui se sentait à l'abri de tels débordements.

"La vidéo pendant ce mondial, c'était le silence des agneaux"

Le rugby aime se distinguer des autres disciplines en mettant en avant les belles valeurs éthiques qu’il prétend véhiculer. Le respect de l’arbitre en est une, cardinale, bâtie autour du vieil adage inculqué dès l’école de rugby qui dit que celui-ci a toujours raison, même quand il a tort. Si, sur le terrain, les joueurs n’ont guère été plus loin que d’ordinaire quand il s’agissait de manifester leurs désaccords avec les officiels – à des années lumières des attroupements chroniques et des invectives virulentes qui métastasent le football – ce fut une autre histoire en dehors, principalement sur les réseaux sociaux.
Motivés ou pas par les remises en question de zone mixte, dont la plus retentissante a été celle de l’ordinaire taiseux Antoine Dupont après le quart de finale perdu par les Bleus contre l’Afrique du Sud (28-29), des personnes pour la plupart courageusement planquées derrière un pseudo se sont lâchées comme jamais. Des quatre arbitres de champ engagés sur les quarts de finale, aucun n’a pu échapper au cyberharcèlement. Le Néo-Zélandais Ben O-Keeffe, au sifflet du douloureux France - Afrique du Sud, en premier lieu, mais pas que.
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Capture-écran d'une photo postée par Ben O'Keeffe sur son compte Instagram. Crédit Ben O'Keeffe

Crédit: Other Agency

Ce sont des maris, des pères, des fils
"Tu es une honte pour la France" a ainsi trouvé, entre autres, sur sa messagerie Instagram le Français Mathieu Raynal après un Angleterre – Fidji (30-24) où on lui reprochait d’avoir prétendument avantagé le XV de la Rose. L’Anglais Karl Dickson, qui a remplacé au pied-levé le Sud-Africain Jaco Peyper pour le quart entre le pays de Galles et l’Argentine, s’était de son côté protégé en mettant son compte Insta en privé. Mais des Gallois furieux de son interprétation controversée d’un contact à la tête qui aurait pu faire basculer le match en leur faveur ont trouvé la parade en déversant leur aigreur sous une photo postée sur son compte Twitter.
"Ta décision ridicule devrait te coûter ton travail, espèce d’imbécile" pouvait-on par exemple lire au cœur d’un florilège de méchancetés. Quant à son compatriote Wayne Barnes, il n’a pas plus échappé au lynchage virtuel ni aux menaces de mort, comme l’a dénoncé son épouse dans différents médias. Les mêmes menaces qui avaient poussé Ben O’Keeffe à désactiver les commentaires sur ses comptes personnels. Autant de coups de canifs aux dites valeurs de l’ovalie et qui ont même amené la très politiquement correcte institution World Rugby à réagir sans ambiguïté.
"L’explosion d’abus concernant les arbitres sur X et les autres réseaux est déplorable, s’est ainsi indigné son responsable de la communication Dominic Rumbles. Ce sont des maris, des pères et des fils comme nous tous. World Rugby continuera à les soutenir et engager des actions contre ceux qui menacent et harcèlent."

Cohérence et homogénéité

Passés la sidération et le rejet de ces comportements inacceptables qui salissent l’image de tout un sport, le moment est peut-être aussi venu de se poser les bonnes questions et de tirer des leçons. De réfléchir par exemple sur la complexité de juger sans faille, même pour la fine fleur de l’arbitrage mondial, les quelques deux-cent rucks qui s’enchaînent dans un match de très haut niveau, souvent disputés à l’extrême limite de ce que permet la règle et dont la marge de manœuvre est de l’ordre du centimètre ou de la milliseconde pour distinguer le licite de l’illicite.
D’apporter aussi, et peut-être prioritairement plus de clarté sur le fait de jeu le plus contesté de la Coupe du monde : les plaquages hauts qui engendrent des contacts avec la tête. En cela, cette Coupe du monde 2023 s’est révélée désastreuse, mettant en lumière une absence totale d'homogénéité et de cohérence. Parce qu’elle laisse trop de place à l’interprétation, la même situation a généré durant la compétition un éventail de sanctions allant de la relaxe à l'exclusion. Inexplicable et inaudible pour des spectateurs privés de surcroît d’explications depuis l’instauration du Bunker et la possibilité confortable pour les arbitres de champ de déléguer à un tiers une décision lourde, prise dans le huis-clos d’une salle connectée. Peut-être la vraie fausse bonne idée ce Mondial, pour sûr un terreau fertile à une contestation larvée.
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Mathieu Raynal, l'arbitre d'Angleterre - Argentine en phase de poules de la Coupe du monde 2023

Crédit: Getty Images

"Il faut savoir ce qu’on veut, tempère néanmoins l’ancien capitaine des Bleus Thierry Dusautoir. Il y a un enjeu qui va au-delà du résultat qui est la santé des joueurs. Il faut que les règles évoluent dans ce cadre-là. Des décisions ont pu paraître dures durant la Coupe du monde à l’image du carton rouge reçu par l’Anglais Tom Curry (contre l’Argentine en poule) mais cela a été fait par rapport à cette direction prise et qu’il faut saluer. Des adaptations pourraient effectivement avoir lieu après cette Coupe du monde mais tout en restant dans cette volonté de préserver les joueurs". Vaste mais nécessaire chantier de réflexion à mener par World Rugby, pour moins exposer ses hommes au sifflet aux bas instincts de caniveau.
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