Open d'Australie - Ben Shelton, le prodige américain qui n'avait jamais quitté les US mais sera "top 10 dans six mois"

On pensait le ranger dans la catégorie des belles histoires, celles qu'on raconte en première semaine et qui filent le sourire. Il y avait de quoi. Le 27 décembre dernier, il affichait sa bouille enfantine en story Instagram. Son selfie depuis l'avion s'accompagnait d'un commentaire qui dit beaucoup de ce qu'il vit depuis. "C'est la première fois que je quitte mon pays, écrivait-il avec un émoji en pleurs. Bientôt, l'Australie"… Le 25 janvier, le voilà quart de finaliste à Melbourne et prétendant plus que sérieux à la demi-finale face à son compatriote Tommy Paul. On va finir par le ranger dans la case des grandes épopées.

Ben Shelton est la révélation de cet Open d'Australie pour la simple et bonne raison qu'il était le plus surprenant des quarts de finaliste. Le tout se prouve aisément : l'an passé, à pareille époque, il était… 568e mondial. Au sortir de cette quinzaine enchantée, il sera 43e, au pire. "Si vous m'aviez dit ça l'année dernière, je ne vous aurais pas cru, a-t-il souri au micro d'Eurosport lundi. Même être ici, c'est déjà une expérience incroyable. Alors, être en quart de finale, c'est juste surréaliste".

Surréaliste, comme son résumé de ces derniers jours à Melbourne : "C'est une semaine forcément spéciale. J'ai eu plein de trucs à gérer. Jouer mon premier Grand Chelem en dehors des Etats-Unis mais aussi mes cours qui redémarraient cette semaine. […] Je n'ai pas encore eu d'examens jusqu'à présent donc ça va mais c'est sûr que ça va devenir marrant quand mes dates d'examens entreront en conflit avec mes dates de matches". Après l'avoir vu jouer, on l'imagine mal en conseiller financier, métier auquel il se destinait.

Shelton ne surjoue pas et ne se prend pas pour un autre. Le teenager vit cette quinzaine comme une parenthèse enchantée dans un plan de carrière tracé. Alors qu'il avait déjà le niveau intrinsèque pour se lancer à fond dans l'aventure, il avait insisté auprès de ses parents pour concilier tennis et études, devenant d'ailleurs champion universitaire l'an passé. De ce passé récent et atypique, il a fait une force : les chaudes ambiances et la relation avec un public chauffé à blanc ont tendance à tirer le meilleur de lui-même.

Pour son 3e tour, face à Alexei Popyrin, il fut accueilli par des sifflets du public local. Devinez quoi ? Il a adoré. "En quelque sorte, ils ont donné le ton en me huant dès mon entrée sur le court, riait-il après sa qualification. C'était évidemment la première fois que ça m'arrivait en pro. C'était irréel. Mais je dois dire que je ne peux que respecter quand un pays se range derrière l'un des siens. C'était franchement génial à voir".

Balayé en trois sets malgré ce soutien bruyant, l'Australien n'en revenait pas. "Honnêtement, s'il joue comme ça à chaque match, le mec est Top 10 d'ici six mois, pronostiquait l'Aussie. Je ne sais pas s'il aurait pu mieux jouer que ça. Peut-être que si. Mais s'il continue comme ça, c'est un acteur sur lequel il faudra compter. Il joue les lignes, il a une moyenne de 190 km/h sur seconde balle donc vous ne pouvez pas faire grand-chose face à ça. Ajoutez-y le fait qu'il soit gaucher et ça complique encore les choses". JJ Wolf pourra confirmer : sur les cinq sets disputés en huitième de finale, il n'a jamais réussi à breaker le gamin.

Le bras gauche de Shelton, c'est une arme terrible, un générateur de violence et de fulgurances. Du haut de son mètre 93, il balance des parpaings au service mais aussi en coup droit. Attaquant athlétique, agressif au retour, il possède un jeu pourtant éloigné des standards actuels, ce qui avait d'ailleurs surpris Casper Ruud l'été dernier à Cincinnati. Un autre gaucher américain est tombé sous son charme, un certain John McEnroe : "Le mec a une puissance de feu. C'est un des bras les plus dingues que j'ai pu voir. Je pense qu'il a le service le plus puissant sur le circuit".

Un jeu hérité, aussi, de ses premiers amours. "J'ai grandi en jouant au football américain, j'étais quarterback et après j'ai aussi un peu joué au baseball, expliquait-il à Mats Wilander à propos de ce bras gauche de feu. J'ai toujours adoré frapper très fort dans des objets en mouvements, dès qu'il y avait une balle à frapper, j'adorais ça gamin, pour voir jusqu'où elle pouvait aller. Athlétiquement, je pense que ça a beaucoup contribué à mon jeu aujourd'hui".

Dans cet Open d'Australie, sa maturité lors des moments clés, notamment sur les nombreux tie-breaks qu'il a disputés – il en a remporté six sur huit – a impressionné. Mais Shelton peut se targuer d'avoir un bon conseiller : son père, Bryan. Ancien 55e mondial, il a accompagné son fils dans sa progression.

"Il m'a coaché dès l'heure que j'ai soulevé une raquette. C'est le gars qui m'a remis la tête à l'endroit quand je dépassais le cadre. C'est un modèle, tout simplement. Et c'est génial d'avoir un parent qui a connu ces expériences comme professionnel sur le court", témoignait Ben avant de s'excuser auprès de son mentor, resté aux Etats-Unis, d'avoir gâché son rythme de sommeil sur cette quinzaine australienne. On serait prêt à parier que ça ne le dérangerait pas de continuer…