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Pour qui se prend Noah ? Il se prend... pour Noah

Laurent Vergne

Publié 24/04/2015 à 10:07 GMT+2

Une semaine. C'est le temps qu'il aura fallu pour subir la première déflagration post-traumatique de la défaite contre la Suisse en finale de la Coupe Davis.

Pour qui se prend Noah ? Il se prend... pour Noah

Crédit: Eurosport

C'est sans doute parce qu'il noue depuis presque toujours un lien étroit, spécifique et presque charnel avec cette épreuve que le tennis français ne peut vivre ses triomphes et ses échecs dans cette épreuve, particulièrement en finale, que dans la passion. Donc l'excès, souvent. Depuis l'amortie finale de Roger Federer ayant scellé pour de bon une victoire helvétique qui paraissait inévitable depuis la veille, nous étions loin du psychodrame. Le non-dit régnait, plus que l'explication à ciel et cœur ouverts. Le tout symbolisé par le seul mot lâché par Gaël Monfils pour commenter ce week-end : "déçu".

Les joueurs ont peu parlé. Voire pas du tout. Le staff, d'Arnaud Clément à Arnaud Di Pasquale en passant par Lionel Roux, s'est contenté de marteler que les Suisses étaient plus forts. Point barre. Circulez, y a rien d'autre à voir. Ni à entendre. Oui, Federer et Wawrinka étaient au-dessus des Bleus au stade Pierre-Mauroy. Oui, leur victoire fut à la fois nette et logique. Pourquoi, dès lors, surnage depuis cette finale une impression lancinante que quelque chose n'a pas tourné rond ? Que pour une raison X ou Y, voire X et Y, ce groupe n'a pas été en mesure de donner toute la sienne, de mesure ?

Cela n'aurait peut-être pas affecté le résultat final. Sans doute pas. Et Arnaud Clément a raison de rappeler que si l'état d'esprit, remarquable, est une condition sine qua non, il n'est pas une garantie de succès. Il n'empêche. Personne ne reproche aux Bleus d'avoir perdu contre deux grands champions. Mais tout n'a pas été clair dans ce week-end nordiste. Cette impression d'impuissance, presque de renoncement, doublée d'une gestion maladroite de la parole officielle trois jours durant, a eu pour conséquence une fin en eau de boudin matérialisée par les sifflets contre Jo-Wilfried Tsonga le dimanche après-midi lors de la cérémonie finale. Sifflets terriblement injustes pour un joueur aussi fortement impliqué depuis de nombreuses saisons. Sifflets absurdes aussi. Et pourtant, cette absurdité est apparue comme la conséquence presque… logique et inévitable d'un week-end mal maitrisé de bout en bout, sur et en dehors du terrain.

Un cri du cœur au moins autant qu'un coup de gueule

C'est sans doute parce qu'il n'est pas envisageable que tout ce petit monde ronronnant gentiment reparte au combat en 2015 en tournant la page en douceur qu'il fallait un coup de pied dans la fourmilière. Or il ne pouvait venir que de Yannick Noah. Personne d'autre, dans le tennis français, absolument personne d'autre, ne possède à la fois la personnalité et plus encore la légitimité pour secouer le cocotier. "Pour qui se prend-il?" lit-on ci et là depuis lundi. Il se prend pour Noah. On peut ne pas aimer le personnage. Mais qu'on le veuille ou non, dans le tennis masculin français, Noah est le seul patronyme synonyme de victoire. Seul titre en Grand Chelem au cours du dernier demi-siècle ? Noah. En six saisons de capitanat de Coupe Davis, combien de victoires ? Deux.  Et sans forcément disposer du vivier actuel. Forget, c'est un titre (la moitié) en 14 campagnes (plus du double). Les autres ? Nada. Noah peut se permettre de l'ouvrir. Même si ça ne plait pas à tout le monde. Sa prise de parole est légitime.

Bien sûr, Arnaud Clément a beau jeu de rappeler que Noah n'était pas là, au cœur du groupe, lors de cette finale. Sauf que le procès en légitimité est à double tranchant. Car l'animal a sans doute vécu suffisamment de campagnes, de victoires mémorables et de défaites frustrantes pour percevoir, même de loin, même devant sa télé, que quelque chose n'a pas fonctionné. Sur le fond, que dit Noah ? Pas qu'avec lui, l'équipe de France aurait gagné cette finale. Il ne prétend pas davantage savoir avec exactitude ce qui n'a pas fonctionné. Il évoque davantage un ressenti qu'il est, disons-le, loin d'être le seul à avoir éprouvé. "On peut perdre, dit-il, mais ils (les joueurs) n’ont pas donné le meilleur d’eux-mêmes. Pourquoi ? A définir. J’ai mes idées."

L'intervention de Noah est en tout cas un sacré coup de griffe dans  ce qui sert de discours officiel depuis dix jours : la Suisse était trop forte, il n'y a aucun regret à avoir, nous avons fait le maximum. Une absence d'autocritique perçue comme de l'aveuglement. C'est sans doute parce qu'il a jugé, comme beaucoup, le raisonnement un poil court, que Noah a souhaité réagir. C'est un cri du cœur au moins autant qu'un coup de gueule. Il n'a pas été le seul à véhiculer ce message. Dès le 23 novembre au soir, Henri Leconte, de façon plus feutrée certes, avait tenu le même discours sur le fond : ces Bleus-là n'étaient pas prêts à livrer la bataille d'une vie. On peut balayer leurs impressions d'un revers de raquette, au son du "vos gueules les anciens". On peut aussi, a minima, se demander s'ils n'ont pas raison de s'interroger. A moins que le simple fait de poser la question ne soit un crime.
Richard Gasquet et Jo Wilfried Tsonga Fra et Yannick Noah TENNIS France vs Australie Coupe Dav
Après la parole, forte, quels actes ?

On peut trouver la prise de paroles de l'ancien numéro 3 mondial maladroite sur la forme. Déplacée, même, pourquoi pas. Pour autant, elle ne sera pas forcément destructrice à condition de ne pas se limiter à ce qu'elle est à ce jour : une prise de parole. La sortie de l'ex-capitaine Noah débouchera-t-elle sur des actes concrets ? Ce serait la meilleure (la seule?) manière de donner du sens à ses propos. Il se dit prêt à revenir sur la chaise si son éventuel retour fait l'unanimité auprès des joueurs. Mais Arnaud Clément sera le capitaine de l'équipe de France en 2015 et ce sont les joueurs qui ont approuvé son maintien. Cette unanimité évoquée par Noah n'existe donc pas aujourd'hui. A court terme, la question de son retour est une non-question. Plus qu'un acte de candidature pour un nouveau capitanat, peut-être faut-il voir dans sa saillie une volonté d'aider à nouveau cette équipe. Dans un rôle de motivateur, de "canalisateur" des énergies ? Pourquoi pas. Si Noah veut s'investir d'une manière ou d'une autre, pourquoi s'en priver ?

Avant cela, il y aura sans doute des abcès à percer entre l'ancien et l'actuel patron des Bleus après l'échange par voie de presse interposée. Malgré la passe d'armes, sévère, rien n'est irréversible. Noah devra aller au-delà de l'engagement verbal. Mais si son désir de s'impliquer davantage se concrétise (et pour l'heure, ça n'a jamais été le cas, la "Clé" a raison), la balle sera dans le camp de Clément, aujourd'hui objectivement affaibli. Et en cas de refus, à l'heure où Noah repointe le bout du nez, il aura tout intérêt à ce que ses résultats parlent pour lui. Or dans l'esprit de Noah comme au regard de l'histoire de la France dans cette épreuve, seule une victoire, attendue depuis maintenant 13 ans malgré une génération très compétitive, aura valeur de parole suffisamment forte pour faire taire celle de Noah.

Laurent VERGNETwitter : @LaurentVergne
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