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Roland-Garros - Chronique : Rafael Nadal, le champion que j'ai fini par adorer

Cyril Morin

Mis à jour 13/10/2020 à 12:33 GMT+2

ROLAND-GARROS - Vainqueur de son 13e Roland-Garros, Rafael Nadal a égalé Roger Federer et ses 20 Majeurs en carrière. A 34 ans, l’Espagnol rentre encore un peu plus dans les annales de son sport. Mais aussi dans le cœur de notre journaliste Cyril Morin, qui retrace sa relation, et celle d’une partie de sa génération, dans une chronique (très) personnelle.

Rafael Nadal, l'homme aux 13 titres à Roland-Garros

Crédit: Getty Images

Rangez d’entrée vos bazookas verbaux et autres tweets acerbes, je viens en paix. Ici, il ne sera nulle question du GOAT, Greatest of All Times, et de l’identité de celui-ci. Après tout, comme l’a si bien écrit mon collègue Laurent Vergne en début d’année, le meilleur c’est d’abord votre préféré à vous. Le mien ? Je ne suis pas sûr d’en avoir un. En revanche, des trois, Rafael Nadal est le seul à avoir longtemps suscité une forme de rejet.
Le mot est fort mais imaginez-vous : la première fois que je l’ai vu (pour paraphraser l’excellent podcast d’Antoine Benneteau), Rafael Nadal traumatisait déjà la France sur terre battue. Pas à Roland mais en demi-finale de Coupe Davis où un gamin de 18 ans mettait les Bleus à genoux pour emmener les siens vers le sacre final. C’était en 2004, j’avais 12 ans. Nous voilà seize ans plus tard. Nadal continue de traumatiser ses adversaires, plus uniquement des Français comme pourra en témoigner Novak Djokovic, balayé dimanche en finale de Roland-Garros.
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Une bulle et trois sets pour un 13e triomphe : Nadal a détruit Djokovic

Dans ma vie d’amateur de tennis puis de journaliste, j'ai donc vécu 16 Roland-Garros. 13 ont été gagnés par le même homme. Il paraît que les Français n’aiment pas les vainqueurs et qu’on prend fait et cause pour les "petits". Il y a toujours une part de vérité dans les clichés. Longtemps, j’ai donc naturellement penché vers les "petits", c’est-à-dire tout le reste du circuit quand il s’agit des adversaires de Nadal à la Porte d’Auteuil. Sans parler pour le reste de ma génération, je pense pouvoir dire qu’on aura été nombreux à vouloir assister à la première défaite de Rafa.
C’est bête mais on courait aussi derrière notre moment d’histoire, ce genre d’évènements où la terre s’arrête de tourner et où chacun se souvient où il était quand c’est arrivé. Le 31 mai 2009, Nadal redevenait humain et Söderling offrait aussi le plus beau des cadeaux aux fans, nombreux, de Roger Federer : une route enfin dégagée pour remporter son premier Majeur parisien et donc réaliser, finalement, le Grand Chelem en carrière après lequel il courait. Paradoxalement, c’est peut-être le souvenir le plus intense que j’ai de Nadal à Roland. Mais il dit tout, au fond, de son exceptionnelle domination.
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Vous pensiez tout connaître ? Les stats folles de Nadal qu'il vous reste à découvrir

2017, le vrai tournant

A côté de l’esthète Federer, l’Espagnol, ses "Vamos" bruyants, ses passings bout de courses et ce regard si habité n'ont longtemps eu aucun effet sur moi. Plus il gagnait, moins il me touchait. Le "robot" Nadal, dédié tout entier à sa mission de destruction de l’autre, m’irritait. Ses records, eux, m’énervaient : comment les interpréter et leur trouver une place dans l’histoire sans avoir de points de comparaison tangibles ? Comment comparer avec d'autres alors que l'on a connu que lui ?
Les années 2010 auront marqué une évolution. Bien sûr, Nadal a continué à tout rafler à Roland. Mais l’avènement de Djokovic aura modifié durablement ma perception de Rafa. Comparé à l’extraterrestre Djoko, il est redevenu humain à mes yeux. Ses blessures, récurrentes, l’auront rendu faillible. Des maux tangibles auxquels on s’identifie plus facilement, nous autres simples terriens.
Mais le vrai tournant fut 2017. D’abord à l’Open d’Australie avec cette finale de légende et cette défaite. Il parait que c’est dans les échecs qu’on reconnaît les grands hommes. A Melbourne, Nadal fut immense. De talent, de classe et de fair-play au moment d’accompagner Federer dans son retour à la lumière. Dans chacune de ses déclarations, le respect transpirait.
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Rafael Nadal et Roger Federer après la finale de l'Open d'Australie 2017.

Crédit: Panoramic

Mais 2017, pour Rafa, c’est surtout cette Décima. Cette marque symbolique déjà très lointaine trois ans après. C’est surtout ce retour en grâce, chez lui, sur cette terre parisienne qui a fini par devenir sienne. Le titre de Wawrinka en 2015 puis celui de Djokovic en 2016 laissaient à penser que sa domination était derrière lui et qu’il fallait s’y faire. Mais les champions choisissent et façonnent leur destin. C’est ce qui les rend si uniques. Nadal est revenu aussi fort que son revers croisé, aussi injouable que sa balle liftée et aussi infranchissable que ses passings uniques.
En somme, Rafa est redevenu Nadal mais en faisant évoluer son jeu de manière stupéfiante. Le voir sacré la même année à l’US Open, avec un service de feu et un jeu de volée parfait alors qu’ils ne ressemblaient pas spécialement à des armes fatales en début de carrière, avait un côté rafraîchissant. Des trois monstres, comme l’expliquait notre consultant Nicolas Escudé avant la finale, il est sans doute celui qui a le plus évolué. A force de travail. Ca aussi, c’est terriblement humain.
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Escudé: "Des trois monstres, Nadal est celui qui a le plus fait évoluer son jeu"

De Rafa à Nadal, de l’agneau à la brute épaisse

Mais pour admirer des champions, il faut aussi se rendre compte qu’ils font des choses inaccessibles au commun des mortels. Quiconque a déjà joué un match de tennis dans sa vie sait le poids de l’enjeu dans le bras. Sait la force mentale qui est réclamée sur chaque point. Sait combien la frustration, la déception, la colère ou la légèreté ont une incidence quasi-certaine sur notre façon de jouer. Chez lui, il n’y a rien de tout ça. Ou alors, c’est bien caché.
Le poncif "se battre à chaque point" trouve une réalité magnifique dans son personnage, car c’en est un. Combien auraient eu un petit moment de légèreté au moment de mener deux sets zéro en finale de Roland en ne laissant que deux jeux à son adversaire ? Combien auraient flanché à New York en voyant Medvedev revenir à fond les ballons à deux sets partout et électriser la soirée ? Combien auraient abandonné la mission dans le troisième set d’un Masters 2019 sans grande importance pour lui face au même Russe qui se procurait une balle de match à 5-1 dans la dernière manche ? Cette force de caractère, ce refus de la défaite est une qualité que tous les professionnels sont censés avoir. Mais au tennis, sport ô combien individuel, cette force ou cette faiblesse prend une ampleur démesurée. A ce jeu-là, hormis Djokovic, pas grand monde n’arrive à la cheville du "plus grand combattant de l'histoire".
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Comme toujours, Rafael Nadal repart au combat, comme toujours il réajuste son bandeau

Crédit: Getty Images

J'ai aussi pu constater de plus près à quel point Nadal était un homme au double visage. Aussi impitoyable sur le court que charmant et humble en dehors. L’Espagnol n’est pas le meilleur client face aux médias avec un anglais parfois incertain, rarement un mot plus haut que l’autre et aucune de ces petites phrases pleines de sous-entendus. Mais sa simplicité est réelle et mérite encore une fois d’être soulignée : ses discours évoquent presque systématiquement les petites mains des tournois, des ramasseurs aux facilitateurs de tels évènements. Même dimanche, même après un titre ô combien personnel qui fait de lui le co-détenteur du records de Majeurs, il a pensé aux autres et évoqué la pandémie qui a forcé le tennis à l’arrêt. Passage obligé, me direz-vous. Mais pas au point d’en remettre une couche face aux médias quelques minutes après avoir quitté le court. Brute épaisse sur le court, agneau en dehors.
Pour toutes ces raisons, et sans doute avec beaucoup de retard par rapport à certains, j’ai fini par tomber amoureux du champion Nadal et de l’homme Rafa. Le voir détruire méthodiquement des adversaires ne m’ennuie plus mais me fascine, au contraire. La beauté d’une violence inouïe qui se limite aux courts et aux coups de raquette. Nadal a vieilli, moi aussi (un peu). Dans mon adolescence, je rêvais de le voir battu ici. Mais depuis quelques années, je m’imagine plus un Roland-Garros sans lui avec la Coupe des Mousquetaires sous le bras. Quand le temps viendra, il faudra pourtant le laisser partir. Avec des émotions et des souvenirs qui font la grandeur des idoles, le sel des champions. Au fond, comme Thierry Champion, je ne sais plus bien "si Roland c'est Nadal ou si Nadal c'est Roland". Et c'est tant mieux comme ça.
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Rafael Nadal

Crédit: Getty Images

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