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Melbourne et Flushing toujours plus lents ? Quand "l'âge d'or" du tennis s'enlise

Maxime Battistella

Mis à jour 29/03/2020 à 20:07 GMT+2

Comme l’Open d’Australie en début d’année, l’US Open a décidé en début de semaine de changer de surface. Si le circuit professionnel, suspendu par la pandémie de coronavirus, est confronté à des problèmes bien plus importants en ce moment, ces choix interpellent tant ils semblent favoriser un ralentissement du jeu, relançant ainsi un vieux débat quasi-idéologique sur le tennis.

Rafael Nadal et Daniil Medvedev en finale de l'US Open 2019

Crédit: Getty Images

La nouvelle est quasiment passée inaperçue. Et pour cause, elle semble bien futile au regard de la crise sanitaire exceptionnelle que le monde traverse. Mais le tennis reprendra bien un jour, et si cela arrive dès cet été, du côté de Flushing Meadows (31 août-13 septembre), les passionnés que nous sommes observeront avec une attention toute particulière la vitesse de jeu. Car lundi, la Fédération américaine (USTA) a annoncé que l’US Open faisait peau neuve. Adieu le Decoturf utilisé depuis 1978, place pour cinq ans à une nouvelle surface dure, le Laykold, utilisée à Miami depuis 1984 et réputée plus lente.
Pourquoi un tel changement ? Officiellement, les organisateurs ont juste fait jouer la concurrence et la société APT (Advanced Polymer Technology), qui fabrique le revêtement floridien, a remporté l’appel d’offres. Proposant les meilleures garanties environnementales – utilisation de 60 % de matériaux renouvelables, sans amiante, plomb ni mercure –, elle a le mérite de soigner l’image éco-responsable du tournoi du Grand Chelem new-yorkais. Mais dans un sport comme le tennis, et ses circuits aux voyages incessants, l’argument écologique est d’une crédibilité relative et ne peut, à lui seul, expliquer ce choix.
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Rafa Nafal cuartos de final US Open 2018 ante Thiem

Crédit: Eurosport

Dans les tournois du Grand Chelem, le choix des surfaces n'est jamais soumis à l'intérêt financier
Et si l’US Open avait voulu faire des économies tout simplement ? Là encore, pour un événement de cette envergure, l’explication ne tient pas. "Dans les tournois du Grand Chelem, le choix des surfaces n'est jamais soumis à l’intérêt financier. Quand je suis arrivé à Bercy, il y avait un contrat important avec Gerflor (entreprise spécialiste du revêtement dont le siège est à Villeurbanne, ndlr), et on l’a revu, quitte à l’annuler s’il fallait. La priorité, c’était le jeu", nous confie Jean-François Caujolle, directeur du Masters 1000 parisien de 2007 à 2011, et aux commandes actuellement de l’Open 13 Provence à Marseille.
La raison de ce changement de pied est donc peut-être à aller chercher, tout simplement, du côté de la qualité du produit. Souvent soumis à des conditions extrêmes de chaleur et d’humidité, les courts de Flushing Meadows ont parfois souffert. En 2011, alors que de multiples averses avaient perturbé le tournoi, une flaque d’eau stagnante sur le Louis-Armstrong avait contraint Andy Roddick et David Ferrer à s’exiler sur le court numéro 13 pour jouer leur huitième de finale. Seule surface équipée d’un pare-vapeur, le Laykold se targue d’assurer une grande étanchéité et une protection réelle contre la moisissure due à l’humidité. Néanmoins, ces dernières années, le problème d’imperméabilité des courts semblait avoir été réglé et la construction de deux toits a apporté une protection supplémentaire face à la pluie.
Ces considérations techniques avaient d’ailleurs présidé à un autre changement de surface dure voici douze ans, lors de l’Open d’Australie en 2008. Plus résistant aux variations de températures et aux chaleurs extrêmes, le Plexicushion avait alors remplacé le Rebound Ace. Mais Melbourne a encore changé de pied, et en janvier, la Fédération australienne a opté pour le Greenset. Gardant la couleur bleue caractéristique de l’événement depuis plus d’une décennie, le changement était difficilement perceptible à l’œil nu lors de cette édition 2020. Mais le constat a été unanime parmi les joueurs, la surface a bien été ralentie. Et cette fois, aucune explication n’a été avancée par l’organisation.
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La Rod Laver Arena et sa nouvelle surface à Melbourne en 202

Crédit: Getty Images

Wimbledon 2001, symbole d'un ralentissement compréhensible

Or, la vitesse d’un court a un impact non négligeable sur le type de tennis qui y sera efficace. Sur ce thème, l’exemple de Wimbledon est un cas d’école. En 2001, le All England Club avait opté pour un autre type de gazon, censé résister plus longtemps au traitement que lui infligeaient les joueurs, aux gabarits de plus en plus impressionnants, pendant la durée de la quinzaine londonienne. Gardant le sol plus sec et plus dur, cette nouvelle herbe a alors entraîné une modification de la trajectoire des balles avec un rebond plus haut. Et le jeu au filet, qui était jusqu’alors un impératif de la surface, en a payé le prix. L'année suivante, la finale entre Lleyton Hewitt et David Nalbandian n’a ainsi donné lieu à aucun service-volée. Une statistique inconcevable quelques années plus tôt à Wimbledon.
"L’herbe, c’est quand même très particulier : sur un gazon rapide, le service est primordial, le rebond est très bas et il est difficile de se déplacer à cause du manque d’appuis. Tout ça pouvait justifier qu’on veuille ralentir pour favoriser les échanges, d’autant que les gabarits sont de plus en plus grands et les services plus lourds. Un rééquilibrage sur gazon, je peux le comprendre", estime néanmoins Arnaud Di Pasquale. Quand le tennis se résume systématiquement à un ou deux coups, comme lorsque les rallyes s’avèrent monotones et interminables, l’ennui guette. Il ne s’agit donc pas ici de condamner de fait un style plutôt qu’un autre.
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Lleyton Hewitt et David Nalbandian après leur finale à Wimbledon en 2002

Crédit: Getty Images

L’abandon de certaines surfaces, pour préserver l’intégrité physique des joueurs, minimiser le risque de blessures, est d’ailleurs une affaire de bon sens. "Lorsque j’ai pris mes fonctions à Bercy, la surface était une moquette. C’était quelque chose d’assez souple, pas désagréable au pied, mais qui bloquait un petit peu sur les reprises d’appuis, avec un rebond bas. Il y avait beaucoup trop de services-volées, très peu d’échanges. Il y a eu une pétition pendant Roland-Garros, de la plupart des joueurs espagnols notamment, disant qu’ils ne voulaient pas jouer sur cette surface, trop rapide et traumatisante pour les articulations, et qu’ils pouvaient boycotter le tournoi si on restait dessus", se rappelle Caujolle.

Les stars aussi ont leur mot à dire

"Sur moquette ou sur parquet, ce sont des jeux très différents où l’explosivité prime par rapport à l’endurance. C’était aussi traumatisant. Le fait de ne pas trop multiplier le nombre de surfaces sur l’année, c’est plutôt une bonne chose", acquiesce d’ailleurs Di Pasquale. Mais le mouvement de ralentissement global des surfaces s’est intensifié au cœur des années 2000, puis 2010, tant et si bien que certains joueurs, dont Roger Federer, ont commencé à s’en plaindre. Battu deux fois consécutivement en 2007 sur les durs très lents d’Indian Wells et Miami par l’Argentin Guillermo Canas, pourtant spécialiste de la terre battue, le Suisse s’est agacé de la tendance à l’homogénéisation des conditions de jeu.
Lui-même en a pourtant profité, puisqu’il a su adapter son style de jeu offensif originel en acceptant l’échange du fond du court, dominant à l’époque le circuit de la tête et des épaules. Mais l’évolution du jeu se heurte à sa conception du tennis. Pour l’inciter à revenir à Bercy, Jean-François Caujolle, qui apprécie particulièrement Federer, l’a alors consulté. "Je demande à Roger quel type de surface lui plaît. Il me dit : ‘J’aime bien la surface du tournoi de Vienne’. A l’époque, ça remonte à 12-13 ans, on était allés à Vienne pour voir la société qui faisait les courts. C’était de la résine sur du bois, de l’acrylique et on avait choisi cette société." L’avis des stars du jeu n’est donc pas sans conséquence sur le choix des revêtements des tournois.
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Nadal Montreal

Crédit: Getty Images

Plus récemment, le directeur du Masters 1000 de Montréal Eugène Lapierre ne s’était pas caché d’avoir ralenti la surface pour qu’elle plaise à Rafael Nadal, la tête d’affiche principale du tournoi l’an dernier. La conception que se font les organisateurs de ce qui fait le sel du tennis joue donc un rôle beaucoup plus crucial qu’ils ne veulent l’avouer dans leurs décisions. La dernière édition de Wimbledon est à ce titre frappante. Sûrement traumatisé par la demi-finale interminable (7-6, 6-7, 6-7, 6-4, 26-24 en 6h36 de jeu) du tournoi 2018 entre les deux géants bombardiers Kevin Anderson et John Isner, le All England Club a instauré le tie-break à 12 jeux partout. Et il a encore ralenti les conditions de jeu pour s’éviter vraisemblablement une nouvelle joute entre serveurs.
Quel est l'intérêt d'avoir des surfaces différentes si on joue avec un rebond, une vitesse et une balle identiques ?
Si la surface n’est peut-être pas en cause cette fois – le Grand Chelem britannique a assuré que son gazon était identique aux éditions précédentes –, le choix des balles, plus grosses et plus lourdes, a assurément été primordial. Tant et si bien qu’un quart de finale a opposé l’Espagnol Roberto Bautista Agut à l’Argentin Guido Pella, pas franchement des spécialistes du gazon. Si certains s’en félicitent, d’autres ont été pour le moins interloqués lorsqu’ils ont ensuite assisté à des échanges à rallonge, dont un de 45 coups, entre le même Bautista Agut et Novak Djokovic en demi-finale.
Quand le ralentissement des conditions de jeu en arrive à ce point, il trahit l’essence du gazon et par extension, celle du tennis. Un sport tout-terrain qui permet à chacun de s’exprimer au mieux suivant ses qualités. "Grandir sur les surfaces dites plus lentes est devenu un avantage. Par exemple voir Andy Roddick, ou des joueurs aux schémas très courts, gagner à Roland, c’était impensable à l’époque, alors que le terrien, désormais, peut espérer gagner partout", analyse notre consultant Arnaud Di Pasquale.

Melbourne 2017, l'exception qui confirme la règle

La profusion des styles était une des caractéristiques fondamentales du tennis, mais certains, comme les serveurs-volleyeurs, ont progressivement disparu. Accélérer une surface relève presque désormais de l’acte militant. "Quel est l’intérêt d’avoir des surfaces différentes si on joue avec un rebond, une vitesse et une balle identiques ? Lors de ma quatrième année comme directeur à Bercy, je n’ai pas pété un plomb, mais presque, je me suis dit : ‘Je vais faire une surface indoor beaucoup plus rapide, et je vais la justifier’", se souvient Caujolle. L’initiative avait à l’époque bien plu à Roddick, qui n’était pourtant pas allé très loin, beaucoup moins à Nalbandian qui avait qualifié le court de "patinoire".
Mais les spectateurs de cette édition 2010 du Masters 1000 parisien ne s’en sont pas vraiment plaint. Gaël Monfils avait triomphé de Roger Federer dans une demi-finale mémorable en sauvant des balles de match, tandis que Michaël Llodra s’était aussi frayé un chemin jusqu’au dernier carré, s’offrant au passage Novak Djokovic en huitièmes de finale. Pour ce qui est des Majeurs, seul l’Open d’Australie a osé, en 2017, haussé la vitesse de ces courts. Au-delà du come-back spectaculaire de Roger Federer après six mois d’arrêt, le tournoi avait mis en scène un tennis d’une grande qualité, la demi-finale entre Rafael Nadal et Grigor Dimitrov atteignant des sommets.
Mais on l’a vu, Melbourne a depuis fait machine arrière, dans le sillage de Wimbledon et avant même l’annonce de l’US Open en début de semaine. Difficile d’y voir un choix fortuit ou une simple coïncidence. "Ce qui est sûr, c’est que tu as plus de chances de retrouver toujours les mêmes vainqueurs en homogénéisant la vitesse des surfaces", fait remarquer Di Pasquale. Dans un sport dominé par trois monstres qui écrivent un peu plus l’Histoire à chacun de leurs succès en Grand Chelem, la lutte pour le titre officieux de "GOAT" ("greatest of all time", soit meilleur joueur de tous les temps) est devenu fondamentale. La tentation est grande pour les organisateurs de participer à cette scénarisation de leur sport, et les surprises apparaissent alors comme autant de coups durs.
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Grigor Dimitrov et Rafael Nadal lors de leur demi-finale épique à l'Open d'Australie en 2017.

Crédit: Getty Images

Quand la course au "GOAT" justifie l'aseptisation du jeu

Avant que les premières balles ne soient échangées à Flushing Meadows (si possible l'été prochain), gare toutefois aux conclusions hâtives. Si le Laykold est généralement plus lent que le Decoturf, la vitesse d’une surface peut être modulée en fonction du nombre de couches de peinture acrylique appliquées sur les courts, ou de la quantité de silice dans cette même peinture. Plus il y en aura, plus la surface sera ralentie, et plus le sable sera anguleux, plus les courts seront abrasifs et réceptifs aux effets comme le lift. Les jeux ne sont donc pas encore faits et les organisateurs de l’US Open détiennent encore bien des clés.
Mais la tendance au ralentissement du jeu est réelle et incontestable, que ce soit en raison des surfaces ou des balles – les Dunlop utilisées pendant le dernier Open d’Australie ont d’ailleurs été critiquées pour leur tendance à s’user rapidement. "Il y a peut-être cette crainte de voir le tennis s’orienter vers trop de services, de schémas de jeu courts, mais on n’y est pas. Les géants ne sont pas en train d’écraser le jeu au point de se dire qu’il y a urgence", considère notre consultant. Alors que beaucoup d’observateurs qualifient la période actuelle d’âge d’or grâce au trio Federer-Nadal-Djokovic, le tennis manque cruellement de vision globale pour son avenir. Si ses prochaines têtes d’affiche sont moins charismatiques et talentueuses, la diversité des styles de jeu pourrait être la clé de sa nouvelle popularité.
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